La régionalisation des dispositifs agricoles au Gabon : une solution à la problématique de sécurité alimentaire ?
The regionalization of agricultural systems in Gabon : a possible solution to the food safety problem ?
Waddle Nziengui Malouana
Résumé
Face au défi actuel relatif à l’insécurité alimentaire et agricole qui est le sien, le Gabon, avec à sa tête ses autorités en coopération avec des partenaires au développement (AFD, BAD, FAO, PNUD, Banque mondiale etc.) s’est lancé dans une course effrénée de sécurité alimentaire. L’une des pistes choisies a été celle de la régionalisation des dispositifs agricoles, à l’exemple du PRODIAG (projet de développement et d’investissement agricole au Gabon). Ainsi, sur la base d’une recherche empirique. Nous analysons et mettons en lumière quelques pratiques et réalités, ne permettant pas nécessairement de garantir et de rendre pérenne l’optimisation et l’efficacité d’une telle stratégie, dans l’optique d’une réalisation de la sécurité alimentaire de cet État.
Mots-clés : régionalisation, sécurité alimentaire, dispositif agricole, développeurs, exploitants agricoles, agence de développement.
Abstract
Faced with the current challenge relating to food/agricultural insecurity. Gabon in the lead containing its authorities in cooperation with development partners (AFD, ADB, FAO, UNDP, World Bank etc.) has embarked in a frantic race for food safety. One of the avenues chosen was that of the regionalization of agricultural systems following the example of PRODIAG (agricultural development and investment project in Gabon). Thus, on the basis of empirical research, we analyze and shed light on a few practices and realities that do not necessarily make it possible to guarantee and make sustainable the optimization and effectiveness of such a strategy, with a view to achieving food safety.
Keywords : regionalization, food safety, agricultural system, developers, farmers, development agency.
Introduction
Dans l’optique de solutionner les problèmes liés à une sécurité alimentaire plus que jamais importante et qui se posent avec acuité depuis plus d’un demi-siècle dans le pays, les autorités gabonaises ont entrepris durant les dix voire les vingt dernières années de poursuivre la stratégie de coopérations agricoles via l’édification de projets d’envergure dans ce secteur. Ces coopérations agricoles qui se sont effectuées d’une part avec des organismes internationaux tels que la FAO (Organisation Mondiale pour l’Agriculture et l’Alimentation), le PNUD (Programme de Nations Unies pour le Développement), le PAM (Programme Alimentaire Mondial), etc. D’autre part, avec des banques internationales telles que la BAD (Banque Africaine de Développement), le FIDA (Fond International de Développement Agricole, Banque mondiale), la Banque Mondiale, etc.En plus, des agences de développement telles que l’AFD (Agence Française de Développement), ont souvent donné lieu à leur tour à une multitude de programmes ou projets de développement agricole qui ont touché soit une partie du pays, soit l’ensemble du territoire national. Gittinger (1985 : 4) rappelle à juste titre qu’ « en général, lorsque nous parlons de projets agricoles, nous pensons à un investissement dans lequel les capitaux seront utilisés en vue de la création d’un avoir productif dont nous comptons tirer des avantages pendant une longue période de temps ».Aussi, au rang des projets agricoles ayant vu le jour au Gabon, figurent des dispositifs tels que le CIAM (Centre d’Introduction, d’Adaptation et de Multiplication de Matériel Végétal Vivrier, Fruitier et Maraîcher), GRAINE (Gabonaise des Réalisations Agricoles et des Initiatives des Nationaux Engagés), le PDAR 1 et 2 (Projet de Développement Agricole et Rural), le PADAP (Projet d’Appui au Développement de l’Agriculture Périurbaine) ou encore le PRODIAG (Projet de Développement et d’Investissement Agricole au Gabon) ; projet autour duquel s’est articulée notre recherche dans le cadre du présent travail. Ces dispositifs ont pour la plupart connu des régionalisations ou des extensions nationales, et ont constitué pour les autorités étatiques, leurs partenaires/acteurs au développement, une stratégie de premier choix. Ce, dans l’optique de résoudre le problème de sécurité et même de dépendance alimentaire vis-à-vis de l’extérieur, et donc l’importation tous azimut de produits agricoles/alimentaires (manioc, bananes, tomates, piments, volaille, pommes de terre, épices, etc.), provenant aussi bien de la sous-région Afrique centrale (Cameroun et Congo Brazzaville), de la France que du reste du monde, comme le notent Pourtier (1980 : 42) ou encore Caroline Chauvet dans Jeune Afrique.
Malheureusement, les résultats escomptés par ces derniers dans le cadre d’une régionalisation des dispositifs agricoles n’ont pas toujours été au rendez-vous, car les besoins nationaux encore fortement couverts par les paysans congolais et camerounais comme le notait déjà Vennetier (1988 : 218) au siècle dernier. Accentuant parfois, bien au contraire, la crise agricole locale et en favorisant une insécurité alimentaire devenue chronique. Ce qui nous a amené à nous poser une question fondamentale, à savoir qu’est-ce qui explique que les dispositifs agricoles élaborés au Gabon, ou du moins certains d’entre eux ne parviennent pas à favoriser l’efficience totale ou partielle d’une sécurité alimentaire en contexte gabonais ? Le présent travail s’inscrit dans une perspective anthropologique, et tout particulièrement dans la socio-anthropologie du développement et du changement social. Une anthropologie qui vise l’analyse des processus de développement (y compris la pratique de l’aide au développement) comme le mentionne Bierschenk (1991 : 2). Par régionalisation des dispositifs agricoles, nous entendons la mise en exécution ou l’extension d’un projet de développement agricole non pas sur une seule province ou région, mais sur l’ensemble ou la quasi-totalité du territoire national, dans le but de favoriser la sécurité alimentaire pour les populations et pour ces régions.
Le PRODIAG a servi de cadre d’étude et d’analyse à travers des recherches effectuées sur ce projet de développement agricole, dans le cadre de notre champ d’investigation. Nous avons à ce propos, pu ethnographier certains périmètres aménagés à travers le pays et notamment dans quatre provinces. Nous nous sommes par exemple rendu sur trois périmètres agricoles implantés dans la province de l’Estuaire (dans le Nord-ouest), notamment les périmètres de Bolokoboué (dans la commune d’Akanda au Nord de Libreville), d’Okolaci (dans la commune de Ntoum sur la Nationale 1) et à d’Akok (sur la R10 reliant la ville de Ntoum à Cocobeach, dans le département du Komo-Mondah). Nous avons également ethnographié d’autres périmètres et dispositifs tels que le périmètre maraîcher dénommé Miang-Ayat dans la ville de Mitzic (dans la province du Woleu-Ntem, au Nord du Gabon), le périmètre agropastoral de Ntchenguè dans la ville de Port-Gentil dans la province de l’Ogooué-Maritime (dans l’Ouest du Gabon), le périmètre agropastoral de Mbolè et une unité de transformation de manioc dans la ville de Lambaréné dans la province du Moyen-Ogooué (au centre du Gabon) et une autre unité de transformation au village Benguiè 3 sur l’axe Lambaréné-Bifoun toujours dans la province du Moyen-Ogooué.
Au-delà des périmètres que nous avons ethnographiés, nous nous sommes entretenu avec des populations et tout particulièrement des exploitants agricoles exerçant sur ces différents dispositifs agricoles. Autrement dit, nous avons effectué des entretiens semis-directifs auprès de ces derniers afin de recueillir des données empiriques relatives au questionnement qui est nôtre. Soit des entretiens réalisés auprès de quarante-cinq individus, pour trente (30) exploitants et quinze (15) membres d’administrations (répartis entre des agents de l’AFD, de l’Institut Gabonais d’Appui au Développement (IGAD) et du Ministère de l’Agriculture).
Pour une meilleure élucidation de notre propos, deux articulations orientent cette analyse. La première traite de la régionalisation des dispositifs agricoles comme stratégie en vogue au Gabon et la deuxième partie fait état de la présentation de quelques écueils ne favorisant pas l’optimisation de la régionalisation du dispositif agricole dénommé PRODIAG.
1. La régionalisation des dispositifs agricoles : une stratégie en vogue au Gabon
1.1. Bref rappel historique sur la question de coopération agricole au Gabon
Avant que de mettre en exergue les faits de régionalisation des dispositifs agricoles au Gabon, il y a lieu de rappeler que cette stratégie est très souvent le fruit de coopérations agricoles nouées entre l’Etat gabonais et ses partenaires au développement. Ainsi, au cours de ces vingt (20) dernières années, les coopérations dans le secteur agricole n’ont cessé de se multiplier. Notamment entre l’Etat gabonais et ses partenaires au développement que sont la FAO, la BAD, le PNUD, l’AFD, le PAM, le FIDA, la Banque mondiale ou avec des partenaires privés (à l’exemple d’Organisations non-gouvernementales), et parfois avec des multinationales (OLAM Gabon, SIAT Gabon, etc.), intervenant dans l’agroalimentaire. Ces coopérations ont donné lieu à d’innombrables programmes agricoles tels le CIAM en 1975 dans le cadre du projet PNUD/FAO/Gabon et mis en branle dans les villes de Booué, Oyem, Tchibanga et Lambaréné. On a également le cas du Plan Directeur Agricole évoqué par Galley (2010 : 180). Exécuté en 1977, il visait à promouvoir l’activité agricole paysanne dans ses volets production et commercialisation, à élever les revenus et le niveau de vie de la paysannerie en vue de la formation d’une épargne, à introduire dans les campagnes gabonaises, l’autogestion des structures socio-économiques, pour une nouvelle ruralité. À ce jour, l’action de l’APG[1] (Appui au Paysannat Gabonais) s’étend à une centaine de villages gabonais. Elle a permis de mettre en place une quarantaine d’associations pour un total d’environ 1700 adhérents en 2003. On a l’exemple aujourd’hui de GRAINE en 2014-2015, le Plan National d’Investissement Agricole et de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle (PNIASAN), le PRODIAG en 2010-2012, la Stratégie Nationale de Mécanisation Agricole au Gabon (SNMAG), le PDAR 1 et 2, etc. Mais, généralement, ces institutions financières (Banque mondiale, FAO, FIDA, PNUD etc.) ont dû se retirer des projets devant les incohérences des modalités de gestion qui finissent toujours par paralyser les actions à mener. Les organes nationaux de financement n’ont pas échappé à la règle comme le souligne Galley.
1.2. Présentation de quelques exemples de territorialisation de dispositifs
L’initiative dénommée CIAM qui voit le jour sous l’impulsion de la FAO et du PNUD qui comptent parmi les partenaires du pays en matière agricole, fut implantée à Ntoum dans la province de l’Estuaire, avec des antennes dans quatre zones agricoles du pays : Booué (Ogooué-Ivindo), Lambaréné (Moyen-Ogooué), Oyem (Woleu-Ntem) et Tchibanga (Nyanga). Sa mission a consisté en la maîtrise des cultures locales par la recherche agricole appliquée, la multiplication et la distribution aux paysans des variétés nouvelles, résistantes aux maladies et adaptées aux conditions agro écologiques du pays. L’aide financière dont bénéficiait le CIAM avait permis la création d’un laboratoire de biotechnologie végétale (avec la possibilité de recherche in vitro) et des champs de démonstration. Cependant les semences de maïs, arachide, manioc, patate douce, bananier et divers légumes élaborés, n’ont pas pu être multipliés et mis à la disposition des planteurs, faute de crédits, au stade de la mise en œuvre (vulgarisation et maintien du centre).
Le dispositif créé (PEINDI 2001 : 5) en janvier 1975 dans le cadre du projet PNUD/FAO/Gabon, ce projet faisait suite aux recommandations d’une mission multidisciplinaire FAD/PNUD de programmation pour le secteur agricole. Confronté à la crise alimentaire mondiale des années 1970, qui compromettait les importations et stimulait un exode rural important, le Gouvernement avait développé une stratégie pour assurer son propre ravitaillement et des revenus satisfaisants pour la main-d’œuvre rurale pour la maintenir dans le secteur agricole.
Le projet dénommé GRAINE est un programme mené par la société SOTRADER, issue d’un partenariat entre le Gouvernement gabonais (51 %) et le groupe singapourien OLAM (49 %). Il a été lancé officiellement par la Présidence en décembre 2014, avec une campagne de communication de grande ampleur. Il repose essentiellement sur le soutien apporté à la création de coopératives agricoles industrielles sur le plan national, au travers notamment de la distribution de parcelles de terres aux agriculteurs et la mise en place de modalités propres de préfinancement pour faciliter en particulier, l’accès à un équipement moderne. Plusieurs productions sont concernées : banane, manioc, piment, tomate et huile de palme etc. Ambitieux, le programme devait principalement être mis en branle dans 5 provinces du pays, à savoir le Haut-Ogooué, la Ngounié, la Nyanga, l’Estuaire et Woleu-Ntem et devrait se déployer à l’échelle nationale par la suite. Le lancement de ce projet visait l’autosuffisance alimentaire d’ici à 2030.
Financé par l’État gabonais, OLAM International et les bailleurs de fonds dont la Banque Africaine de Développement (BAD), la Gabonaise des Réalisations Agricoles des Initiatives Engagées (GRAINE) qui a pourtant bénéficié d’une enveloppe cumulée de 880 milliards sur la période de 2015-2025 dont 276,8 milliards de francs CFA déjà mobilisés, est déjà dans le creux de la vague. Entre sa mise en œuvre et des difficultés structurelles, ce programme n’a abouti jusque-là qu’à des résultats mitigés. Alors qu’il est censé pallier à l’absence d’une politique agricole clairement définie, ce programme lancé en 2014 n’a pas été en mesure de développer cette filière qui ne contribue pour l’instant qu’à hauteur de 6% de la création des richesses dans le pays. Mieux, cinq (5) ans après son lancement, ledit programme a vu quasiment 90% des coopératives qui y ont été créées devenir progressivement inactives.
Le PRODIAG, projet figurant dans le Plan Stratégique Gabon Emergent (PSGE), constituait l’un des points focaux de la feuille de route du candidat Ali BONGO lors du scrutin électoral de 2009 au Gabon dans le domaine agricole. D’un budget total de 20.000.000 d’euros, soit près de 13.100.000.000 de nos francs (CFA), il est financé à hauteur de 20% par l’Etat gabonais et 80% par l’AFD sous forme de prêt. Il est mis en œuvre sous couvert de l’IGAD dans les neuf (9) provinces que compte le pays, à savoir l’Estuaire, le Haut-Ogooué, le Moyen-Ogooué, la Ngounié, la Nyanga, l’Igooué-Ivindo, l’Ogooué-Lolo, l’Ogooué-Maritime et le Woleu-Ntem. Le projet a touché différentes localités au sein de ces provinces respectives et s’est mis en place aussi bien en milieu urbain, périurbain que rural. Il visait cinq types d’activités agricoles notamment le maraîchage, vivrier (banane plantain, manioc), l’élevage et transformation de produits alimentaires (manioc principalement) et la multiplication de bananiers (pépinières). Bien que par la suite et avec les difficultés rencontrées par certains éleveurs, des provenderies ont dû être construites. Les cibles du projet sont des petits et moyens producteurs agricoles qui s’inscrivent dans une logique entrepreneuriale avec une attention particulière pour les femmes et les jeunes. Entre 2011 et 2016 (1ère phase du projet), près de 1 000 exploitations (maraichères, vivrières, élevages, ateliers de transformation) ont ainsi été installées permettant une production de 7 000 tonnes/an pour un chiffre d’affaires annuel de 2.900.000.000 de FCFA. Le projet est entré dans sa dernière année de réalisation et s’achèvera en mai 2017, sinon en 2018 par endroit. Certains sites et ateliers de transformations peuvent déjà afficher des résultats de production intéressants et prometteurs en termes de durabilité économique et d’extension des activités. La suite de ce projet, avec une ampleur accrue, est en cours d’instruction et devrait faire l’objet d’une décision début 2017. A l’heure actuelle, il s’agit du projet le plus opérationnel. Au-delà de ces différents dispositifs susmentionnés, il y a lieu de mettre en évidence les avantages d’une telle stratégie, comme nous le verrons dans les lignes qui suivent.
1.3. Les avantages d’une telle stratégie de développement au plan local et national
Avant d’aller plus loin, il y a matière à mettre en lumière les éventuelles retombées d’une telle stratégie sur la sécurité alimentaire recherchée par les différents acteurs au développement. Ainsi, l’enquêté interrogé évoque des détails à ce propos :
« La régionalisation sur lequel s’est accentué le PRODIAG visait à réduire au maximum les dépendances agricoles et alimentaires de nos différentes régions. C’était une des solutions préconisées dans le cadre même du projet, et ce, en favorisant l’autonomisation tant de ces régions que celle des populations des dites régions. Dans la première phase, on a élaboré un projet national, et dans la seconde phase, il devait être question de renforcer ces acquis-là. Afin que les choses soient bien intégrées dans l’esprit des gabonais ». (EDZANG MBA J.-J.)
La mise en place de politiques ou de stratégies développementales semblables sont supposées être hautement bénéfiques pour les régions ou provinces dans lesquelles ces dispositifs s’exécutent, car impactant directement ou indirectement différentes dimensions de la vie sociale, politique, économique, culturelle voire scientifique des populations à ces endroits. Car, l’agriculture mise en avant par ce type de dispositif a ceci d’intéressant, qu’elle permet de « contribuer au développement humain en tant qu’activité économique, en tant que moyen de subsistance et en tant que source de services environnementaux […]. Outre ses effets directs sur le développement humain, l’agriculture exerce d’autres effets qui transitent par le canal de la sécurité alimentaire ». Laquelle sécurité alimentaire met l’accent sur la disponibilité des produits alimentaires, l’accès à ces derniers, la stabilité des produits et leur utilisation comme le rappelle VichoT (2018 : 15).
Régionaliser les dispositifs agricoles, c’est créer des emplois aussi bien dans le secteur agricole dit primaire que dans le secteur secondaire (industriel) et même dans le tertiaire (les services). Autrement dit, c’est rendre autonome des régions/provinces en matière de sécurité alimentaire. C’est aussi et surtout une parade permettant de réduire les importations agricoles sur le plan national, afin de maîtriser ce que consomment les populations. Ce d’autant plus que les conditions de transport et de conditionnement des produits importés ne sont pas toujours connus ou maîtrisés des importateurs, comme le mentionne un informateur :
« …Aujourd’hui, si on a plein de maladies, c’est parce que ça vient de là-bas, ça vient de là-bas. En fait c’est parce que notre police sanitaire n’est pas assez équipée. Aujourd’hui, la plupart de boutures de manioc qu’on plante ça a des pourritures. Pour quelle raison ? C’est juste que des insectes nuisibles quasi invisibles à l’œil nu qui détruisent les plantes parviennent ici maintenant. Il vient d’où ? Mais simplement des boutures qu’on amène de l’autre côté (Cameroun) ou simplement quand les voitures traversent ».
Cette procédure consistant à régionaliser les dispositifs de développement agricole permettrait également d’avoir un impact sur les marchés internationaux et favoriseraient de fait l’entrée de devises étrangères. Gaymard (2009 : 267) note notamment qu’« il faudrait que l’Afrique quadruple sa production de biens alimentaires d’ici à 2050 pour combler son déficit nutritionnel et faire face à la croissance de sa population. Pour que l’Afrique puisse développer son agriculture et nourrir sa population, elle doit durablement protéger ses marchés de la concurrence des pays plus compétitifs, au premier rang desquels les grands pays émergents… La priorité doit être donnée à l’agriculture vivrière, qu’elle soit destinée à l’autoconsommation, qui permet de tenir compte à la fois des traditions et des habitudes alimentaires des peuples mais aussi des réalités agronomiques, ou à l’exportation vers les autres pays du continent, par la consolidation des marchés régionaux ».
L’autre aspect et non des moindres relatifs aux avantages de la régionalisation des dispositifs agricoles dans le cas du Gabon serait qu’il permette de limiter ou de réduire au maximum l’exode rural des populations des villages vers les centres urbains. Aspect représentant un enjeu plus qu’important dans le siècle présent avec la question des mobilités humaines. Pour Nguema-Obame (2015 : 2), « le monde rural, au Gabon, s’est rapidement réduit comme peau de chagrin : il ne compte plus que 20 à 25% de la population totale ». Cependant, ce type de procédé peut favoriser l’inversion d’une telle courbe peu favorable pour le pays dans son ensemble.
Après avoir mis en évidence quelques uns des avantages de la régionalisation des dispositifs de développement agricole dans le contexte de la réalisation de la sécurité alimentaire du pays, intéressons-nous aux retombées effectives du PRODIAG au Gabon.
1.4. Quelques retombées issues de la régionalisation du PRODIAG au Gabon
Dans cette partie, nous tenons à présenter quelques résultats pratiques obtenus dans le cadre de la régionalisation du PROADIAG dans l’optique de la sécurité alimentaire au Gabon. En effet, en plus du terrain effectué, nous avons pu entrer en possession de quelques données statistiques issues du rapport de clôture de ce projet. Aussi, nous avons tenu à présenter quelques aspects relatifs à l’opérationnalisation de ce projet d’un point de vue global.
1.4.1. Les secteurs d’activités pris en compte et formations exécutées par le projet
En termes de résultats, 210 sessions de formation ont pu être réalisées, ce qui a permis de former 3064 stagiaires dans les différents domaines d’activité. Le tableau suivant consigne les détails des résultats obtenus, et le taux de réalisation des objectifs.
Tabl. 1 : Résultats de la formation et secteurs d’activités
Libellé | Objectifs du projet | Réalisations du projet | Taux de réalisation | ||
Nbre de stagiaires | Nbre de sessions | Nbre de stagiaires | Nbre de sessions | ||
Formation en maraîchage | 285 | 19 | 545 | 36 | 191% |
Formation en cultures vivrières | 870 | 58 | 1533 | 102 | 176% |
Formation en élevage de poule pondeuse | 180 | 12 | 108 | 7 | 60% |
Formation en élevage de porc | 140 | 10 | 36 | 2 | 26% |
Formation en élevage de poulet de chair | 120 | 8 | 0 | 0 | 0% |
Formation en élevage d’ovin | 70 | 5 | 0 | 0 | 0% |
Formation en transformation agroalimentaire | 480 | 40 | 369 | 31 | 77% |
Formation en multiplication du matériel végétal (PIF) | 30 | 2 | 46 | 3 | 153% |
Formation en protection des cultures | 300 | 20 | 17 | 1 | 6% |
Formation en arboriculture | 250 | 17 | 0 | 0 | 0% |
Formation en OP | 150 | 10 | 56 | 4 | 37% |
Formation en gestion | 750 | 50 | 354 | 24 | 47% |
Total | 3625 | 251 | 3064 | 210 | 85% |
Source : PRODIAG Rapport bilan de clôture – 2018
A travers le tableau qui précède, on peut aisément se rendre compte des statistiques relatives au projet en matière de formations apportées aux populations. Mais aussi et surtout, on peut noter les secteurs agricoles dans lesquels les populations des zones urbaines, périurbaines et rurales ont été formées dans le cadre précis du projet. Il faut également souligner que de telles formations contribuent à garantir la sécurité alimentaire locale via le pan qualité des produits mis à disposition sur les marchés ou écoulés auprès des populations locales. Dans le tableau qui suit (2), il est question du pourcentage de répartition des formations offertes aux populations en fonction des différentes régions.
Tabl. 2 : Pourcentage des populations formées par région/province
Provinces ou régions touchées | Pourcentage de formations réalisées par province |
Estuaire | 28% |
Haut-Ogooué | 14% |
Moyen-Ogooué | 5% |
Ngounié | 18% |
Nyanga | 8% |
Ogooué-Ivindo | 5% |
Ogooué-Lolo | 6% |
Ogooué-Maritime | 7% |
Woleu-Ntem | 9% |
Total | 100% |
Source : PRODIAG Rapport bilan de clôture – 2018
1.4.2. Déclinaison des régions touchées par le dispositif
Comme cela a été évoqué précédemment, le projet s’est étendu à travers le pays, il a touché toutes les provinces que compte le pays. Il s’est installé dans plusieurs localités, villes, villages, etc. Le tableau qui suit est la parfaite illustration du condensé des provinces touchées et aussi des exploitants installés en plus des activités menées.
Tabl. 3 : Exploitations créées par le PRODIAG à travers les différentes régions/provinces du pays
Maraîchage | Vivrier | Élevage | Transformation du manioc | Multiplication de bananiers | Total | |||||||
Eng* | Réal* | Eng | Réal | Eng | Réal | Eng | Réal | Eng | Réal | Eng | Réal | |
Estuaire | 36 | 36 | 44 | 44 | 23 | 21 | 5 | 5 | 4 | 3 | 112 | 109 |
Haut-Ogooué | 0 | 0 | 114 | 114 | 2 | 2 | 3 | 3 | 4 | 4 | 123 | 123 |
Moyen-Ogooué | 0 | 0 | 73 | 73 | 0 | 0 | 3 | 3 | 3 | 79 | 79 | |
Ngounié | 15 | 15 | 162 | 162 | 3 | 3 | 12 | 12 | 1 | 1 | 193 | 193 |
Nyanga | 4 | 4 | 95 | 95 | 0 | 0 | 3 | 3 | 3 | 105 | 105 | |
Ogooué-Ivindo | 10 | 5 | 107 | 107 | 1 | 0 | 2 | 2 | 2 | 122 | 116 | |
Ogooué-Lolo | 5 | 5 | 76 | 75 | 1 | 1 | 5 | 5 | 4 | 4 | 91 | 90 |
Ogooué-Maritime | 25 | 22 | 62 | 62 | 3 | 3 | 3 | 3 | 4 | 97 | 97 | |
Woleu-Ntem | 22 | 22 | 81 | 81 | 2 | 2 | 4 | 4 | 3 | 3 | 112 | 112 |
Total | 117 | 112 | 814 | 813 | 35 | 32Source | 40 | 40 | 28 | 27 | 1034 | 1024 |
Engagés non finalisés | 5 | 1 | 3 | 0 | 1 | 10 |
Source : PRODIAG Rapport bilan de clôture – 2018
*Engagés / *RéaliséeDans le tableau qui précède, on se rend compte à travers les chiffres exprimés, du nombre d’exploitations engagées et aussi réalisées sur l’ensemble du territoire via les différents types d’activités. Ces exploitations créées auront permis de réduire les circuits de distribution entre producteurs et consommateurs, permettant de résoudre le problème lié à l’accès des aliments et à leur disponibilité. Deux des composantes importantes dans la question de sécurité alimentaire. En effet, plus il a d’exploitations disséminées à travers les régions, plus il y a d’exploitants à même de produire, ce qui permet de fait d’assurer une meilleure mise à disposition des produits agricoles en toutes saisons. Les 1024 exploitations réalisées ici dans le cadre du PRODIAG, constituent un apport certain dans le cadre de la réalisation de la sécurité alimentaire recherchée par l’Etat et l’AFD. Comme on peut le noter, la régionalisation d’un tel dispositif peut générer des avantages certains sur les lieux où ce dernier est mis en exécution. Il est à cet effet bénéfique à plusieurs niveaux pour les populations des régions qui en héritent directement ou indirectement à travers l’accès à l’aliment, sa disponibilité en toute saison ou presque, mais aussi et surtout en matière de qualité du produit fourni. Cependant, si la régionalisation des dispositifs a des avantages certains, il y a tout de même matière à discussion comme nous le verrons. Car, il en va de l’efficacité et de la durabilité de cette stratégie dans l’édification d’une sécurité alimentaire locale certaine.
2. Présentation de quelques écueils ne favorisant pas l’optimisation de la territorialisation du dispositif agricole dénommé prodiag
2.1. La désertion des courtiers du développement et des exploitants des périmètres
Virginie Diaz Pedregal et Danielle Kamelgarn-Cerland (2013 : 7) font état de ce que « la prise en compte du terrain d’intervention avant, pendant et après l’action de développement, est primordiale. Elle assure la pérennité des résultats du projet de développement. Bien entendu, le praticien du développement sait que, pour que son intervention soit bien reçue localement et appropriée durablement, il doit prendre en compte les dimensions historique, symbolique, culturelle et sociale des objets (lutte contre la pauvreté, accès au crédit, à la terre ou à l’eau, etc.) sur lesquels il agit. Néanmoins, « dans l’atmosphère d’urgence chargée de stress qui caractérise souvent l’organisation d’un projet, le chef de projet accorde une importance prioritaire à ce qui lui permettra de tenir ses délais. Pour des raisons de calendrier d’exécution et surtout de coût mais peut-être aussi de doute sur l’utilité générale des données sociologiques, la plupart des chefs de projet ne veulent pas (…) avoir d’autres données que celles qu’ils pensent, à tort ou à raison, immédiatement nécessaires aux actions en cours » ». Ce qui ne fut pas nécessairement le cas dans le cadre précis du PRODIAG, et qui a de facto favoriser que plusieurs facteurs n’aient pas permis à ce que ledit dispositif soit à même de favoriser la sécurité alimentaire sur le long terme une fois le projet bouclé. Nous nous appesantissons ici sur deux facteurs en particulier qui gravitent autour de l’humain et qui intéresse plus spécifiquement l’anthropologie qui nous a servi de socle d’analyse et de lecture.
2.1.1. La désertion des agents de développement
Le premier facteur a énoncé ici est celui relatif à la désertion des courtiers du développement ou développeurs (entendons les agents de l’institut IGAD) qui avaient en charge la mise à exécution du projet à travers le pays. Nombreux sont les exploitants qui, durant notre enquête de terrain nous expliquaient que la disparition soudaine des agents et la cessation de leurs aides avaient très vite favorisé le désespoir des populations à la différence de l’engouement de départ. Un des agents IGAD avait d’ailleurs corroboré cet argumentaire en soulignant :
«… ce qui fait tomber les choses c’est quand il n’y a plus d’experts derrière pour accompagner les exploitants. Car ils sont dès lors livrés à eux-mêmes. C’est l’absence de suivi derrière. Car, quand vous formez quelqu’un, ce n’est pas après deux (2) ans qu’il va être autonome. Maintenant s’il n’y a pas de continuité comme aujourd’hui, c’est tout à fait normal que les choses tombent malheureusement. Mais il y a cinq (5) voire six (6) ans les choses fonctionnaient très bien quand il y avait un technicien qui suivait les populations impliquées dans le projet. Y a un gros problème de gestion des exploitations quand il y a manque d’experts sur place sur les périmètres, ça moi je le reconnais. Quand il n’y a pas un technicien qui colle l’exploitant, ça constitue dès lors un gros problème aussi bien pour l’exploitant, pour le périmètre que pour le projet en général. Et donc le fait d’avoir arrêté le PRODIAG II a été un coup porté aux exploitants tout particulièrement et aux exploitations mises en place ». (EDZANG MBA J.-J., coordonnateur technique à IGAD)
Cette réalité qui touchait tous les sites que nous avions visité, étaient de fait de nature à impacter directement l’incapacité à réaliser la sécurité alimentaire recherchée par les développeurs et concepteurs dans ces régions à travers un tel dispositif.
Il est également important d’aborder les éléments relatifs à la désertion afin d’avoir une idée plus poussée sur les écueils mis en évidences dans le cadre de ce travail.
2.1.2. La désertion des exploitants agricoles
L’autre facteur important à mettre en exergue est celui relatif cette fois-ci à la désertion non pas des développeurs ou des agents de développement, mais davantage relative aux exploitants agricoles des différents périmètres ethnographiés. En effet, après avoir constaté avec stupeur la désertion des agents de développement et la cessation des aides matérielles et techniques apportées par ces derniers, les populations agricoles n’ont eu d’autres alternatives à leur tour que d’abandonner et de tourner le dos aux périmètres ou dispositifs agricoles. Cette situation aux antipodes d’un développement local a grandement favorisé l’abandon des périmètres agricoles aménagés des années avant pour favoriser à juste titre la sécurité alimentaire locale tant recherchée par les concepteurs et les autorités locales. Ce fait est mis en relief par un informateur dans les lignes qui suivent :
« […] la réalité de Mitzic par rapport à ce site ça va encore. Y a des gens qui ont déserté bien avant nous. Par exemple le site PRODIAG d’Oyem par exemple, ils n’ont même pas fait un an et demi. On ne sait pas les réalités qu’ils ont rencontré là-bas, s’ils ont manqué de volonté. Par contre, ici on a forcé, et s’il faut dire la vérité. Y a deux (2) ou trois (3) qui sont ici, qui sont restés. Quand moi j’ai décidé de m’extirpé, il restait trois (3), mais y a un autre qui est sur le point de partir. Donc il restera peut-être deux (2). Ça va s’écrouler tôt ou tard ».
Nous découvrons en effet qu’en dehors de la désertion des développeurs, la désertion des exploitants agricoles s’en est suivie quelques temps après au grand désarroi du développement agricole local.
Ces faits de désertions ou d’abandons de périmètres agricoles qui ne sont pas propres à ce dispositif agricole viennent démontrer à suffisance, l’urgence de revoir la méthodologie et la conception de ces derniers et surtout la nécessité d’affilier les populations en amont. Ce, au vu des objectifs et ambitions attendus, et devant être profitables aux régions/provinces en particulier, qu’au pays dans son ensemble et compte tenu des moyens faramineux investis pour une telle cause visant assurément la sécurité alimentaire et une certaine souveraineté alimentaire locale.
2.2. Des raisons naturelles pas suffisamment maîtrisées des développeurs
Dans le cadre de cette recherche empirique, la récurrence d’un fait aura attiré notre attention. En l’occurrence, celui relatif aux dévastations des plantations des exploitants agricoles par les pachydermes. Avec une population d’éléphants de forêt estimée à près de 95.000 individus, le Gabon n’est pas épargné par les conflits hommes-faune et ses conséquences notoires sur la vie du monde rural. Et dans le cadre précis du projet dénommé PRODIAG, nombreuses sont les populations affiliées au projet qui ont dû faire face à cette réalité comme le mentionne un des responsables et expert du projet :
« […] A côté de cette situation, on a eu 20 à 30% de perte de nos périmètres notamment vivriers causée par les dévastations des éléphants qui fut une grosse perte pour les populations enrôlées et formées dans le cadre même du projet. Donc cela a fortement favorisé le découragement des exploitants un peu partout dans l’arrière-pays. Donc imaginez-vous un seul instant 20 à 30% de périmètres dévastés par les pachydermes, ça constitue une perte énorme aussi bien pour les populations que pour les initiateurs du projet ». (EDZAND MBA J.-J., coordonnateur technique à IGAD). On peut à travers cette assertion se rendre compte que cette situation n’a nullement arrangé aussi bien les concepteurs du projet que les exploitants agricoles, et de facto la sécurité alimentaire pensée à travers la territorialisation/provincialisation du projet. Etat de fait confortant l’idée de DOZON (1991 : 1) quand il rappelle que « les échecs ou résultats médiocres des multiples projets de développement, tout particulièrement en Afrique, seraient dus à une très insuffisante connaissance, voire à une totale méconnaissance des sociétés locales […] ». Dans ce cas très spécifique, même si les acteurs derrière le projet ont connaissance ou prétendent avoir des connaissances du milieu comme mentionné supra, l’on se rend bien compte de ce qu’il y aurait quelque part une volonté de vouloir ramer à contre-courant, très précisément ici contre la sécurité alimentaire recherchée. Ce qui de fait, ne pourrait favoriser la réalisation de l’objectif de sécurisation alimentaire, car évoquer la perte de 20 à 30% de périmètres dévastés par les pachydermes, réduit considérablement les attentes fixées dans le cadre précis d’un développement agricole nourri des autorités locales.
2.3. Des populations aux antipodes du travail collectif et /ou coopératif
Dans de nombreux projets agricoles, il est de plus en plus recommandé aux populations tant en zone rurale qu’urbaine ou périurbaine de se constituer en coopérative pour se donner de meilleures chances de réussite et s’alléger le travail, compte tenu de la pénibilité du travail agricole. Qu’il s’agisse en effet de l’aménagement des parcelles, de l’ensemencement, des récoltes, de l’achat des engrais ou du matériel, de la commercialisation des produits, du transport, etc. Le travail connait un bien meilleur rendement et une meilleure productivité, avec à la clé un gain de temps et une économie des forces. Malheureusement, il s’avère dans le cadre de la recherche sur le terrain, que dans les quelques rares sites/périmètres qui essayent tant bien que mal de survivre, la question de coopérative ou de travail en collectif n’est pas suffisamment assimilée quand par endroits elle n’existe tout simplement pas. Situation qui accroît de fait la pénibilité des exploitants agricoles rencontrés. Lopes-Cardoso (1964 : 18) met par exemple en lumière le fait que « la coopérative se présente en même temps comme une des pierres de l’édifice coopérativiste et comme un organisme militant qui, par son action, doit favoriser la création d’unités nouvelles et le développement de l’ensemble du mouvement », et continue en mentionnant que « la coopérative a permis aux petits et moyens agriculteurs d’élargir le champ de leur activité et d’améliorer leurs indices technico-économiques de production et de commercialisation, en perfectionnant les conditions d’approvisionnement, l’utilisation des divers facteurs et l’écoulement des produits ». Cependant, les exploitants n’ont pas nécessairement cette vue d’esprit lorsqu’une telle prescription leur est faite et, c’est par conséquent le rôle que doivent, là aussi, jouer les développeurs à travers la sensibilisation et l’accompagnement. Cette posture se donne à lire dans le propos qui suit : « […] sur le site chacun fonctionne comme bon lui semble. Y a pas de véritable organisation entre nous nous permettant d’être performants. La caisse au contraire de la coopérative a été mise sur pied, mais il n’y a rien de consistant permettant de pour répondre aux besoins immédiats tels que l’achat de brouettes, l’achat d’engrais, la réparation de la pompe qui lâche un peu plus chaque jour. Or, dans sur d’autres sites, ça a très bien marché, surtout là où les gens se sont mis en coopérative ».
Cette situation qui n’est pas propre à ce site met en exergue une des faiblesses expliquant en partie la non-opérationnalisation des dispositifs agricoles sur le long terme, et partant la non-opérationnalisation de la sécurité alimentaire au travers des nombreux dispositifs agricoles implémentés à quelques endroits ces dix dernières années à travers le pays. Au-delà des faits que nous qualifions d’écueils qui précèdent, il y a aussi matière à s’interroger sur la question de la consultation et l’implication, voire de l’absence des sciences humaines et sociales dans les instances de conception même de ce type de dispositif.
2.4. La mise à l’écart des sciences sociales et humaines : une faiblesse dans l’efficacité et la durabilité des dispositifs ?
La stratégie ayant consisté en la régionalisation du PRODIAG ou de GRAINE au Gabon qui dans le fond constitue un véritable enjeu agricole pour le pays. Dans une perspective visant à favoriser la sécurité alimentaire n’a cependant pas permis d’atteindre cet objectif sur le long terme, ce que Jacob et Lavigne Delville (2016 : 81) conceptualisent par irréversibilisme. Car, de nombreux sites ont été abandonnés ou désertés par les populations, fragilisant par là même cette sécurité alimentaire tant recherchée. Cela s’explique notamment par un fait majeur, résidant très souvent dans la manière même dont peut être pensée ces dispositifs dès le départ, et notamment avec l’exclusion des sciences humaines et sociales dans la conception et la planification même de ces derniers. Nous insistons en particulier sur l’anthropologie qui étudie l’homme sous toutes coutures.
En effet, les développeurs ou agences de développement qui orientent leurs études vers les aspects purement économique, agronomique, biologique, technique, écologique et que de Sardan (1995 : 147) qualifie de « savoirs technico-scientifiques » ont souvent tendance à minimiser la portée des facteurs culturel, psychologique ou social pouvant influer directement sur le projet. Dans le même élan, Cernea (1998 : 27) souligne le fait consistant à dire que « si de nombreux programmes censés favoriser le développement ont échoué, c’est bien parce que le rôle déterminant des « facteurs sociaux » n’avait pas été pris en compte. Ceux qui estiment qu’il faut « penser d’abord aux gens » dans l’élaboration des politiques et programmes de développement ne sont donc ni radicaux, ni des altruistes, ni des moralistes. Ils sont réalistes. ». Or, cet élément important n’a pas nécessairement été pris en compte dans le cadre du PRODIAG, quand on sait qu’en matière de déterminants socioculturels, les anthropologues et les sociologues sont les plus à même d’analyser ce facteur. Cela se laisse à voir dans le propos de l’un des coordonnateurs IGAD qui affirmait :
« Nous avons l’expérience dans le domaine car y étant depuis 1994. Donc on a très clairement la faculté de savoir ce qui fait les points fort et les points faibles des projets. On connaît les activités agricoles des gens, on connaît comment ils fonctionnent, où il faut mettre l’accent pour booster les producteurs. On connaît leur frein, leur goulot d’étranglement ». (EDZANG MBA J.-J., coordonnateur technique à l’Institut Gabonais d’Appui au Développement (IGAD).
Cette expérience et expertise vantée n’a cependant pas permis d’éviter certains écueils rencontrés dans le cadre de ce dispositif qu’est le PRODIAG en particulier. Kobira (2012 : 3) rappelle à ce titre que « les politiques de développement, pour n’avoir pas su intégrer des aspects autres que ceux économiques, se sont soldés par des échecs prévisibles ». Tout en ajoutant à cela qu’« une intégration des sciences sociales notamment l’anthropologie non seulement au niveau de la recherche mais aussi dans la mise en œuvre des politiques est nécessaire. Cette philosophie peut permettre de : « servir d’intermédiaires culturels (« courtiers ») entre le monde du développement et celui de communauté, recueillir les savoirs et les points de vue locaux, situer les communautés locales et les projets, dans des contextes plus larges d’économie politique, appréhender holistiquement la culture. Ce sont là autant de contributions importantes, sinon indispensables, de l’anthropologie au processus de développement ». Il est donc, dans ce type de cas précis, souvent nécessaire d’y adjoindre d’autres approches que celles technico-économiques et agronomiques pour ce monde rural, urbain et périurbain. Ce qui permettrait d’éviter de ne par exemple pas parvenir à des résultats pourtant nobles comme celui de la sécurité alimentaire au sein des régions ou dans l’ensemble des provinces, quand on est au fait des potentialités dont elles regorgent en matière agricole. Mais bien évidemment et avant toute chose, il serait impératif de cerner et de coopérer avec les acteurs qui vivent et font ces milieux et qui par extension doivent constituer le socle de toute agriculture locale et nationale dans une optique de sécurité alimentaire. Pour Mathieu (2012 : 8) par exemple, « l’anthropologie est et reste l’une des seules disciplines qui continue à s’opposer avec toutes les autres en tenant un discours sur la volonté de dialogue, de collaboration et de contribution. C’est aussi la discipline qui affirme ne pas viser la reproduction de modèles occidentaux dans tous les pays du Sud ». Aussi, pour une meilleure opérationnalisation des projets de développement agricole à l’instar du PRODIAG, nous serions d’avis d’y adjoindre les sciences sociales et humaines telle que l’anthropologie ou la sociologie. Ceci, dans l’optique de favoriser une vue plus globale de ce type de dispositif qui en sortirait grandi.
Conclusion
Pour finir, il y a lieu de se référer à Garnier (2018 : 23), qui rappelle que « la sécurité alimentaire est assurée grâce à une alimentation de bonne qualité et en quantité suffisante pour la nation ». Cette dernière, qui repose cependant sur les quatre piliers que sont la disponibilité, l’accès, la stabilité et l’utilisation peut être, dans le contexte Gabonais, réalisée par l’entremise des dispositifs agricoles régionalisés. Cette approche, préconisée par les autorités gabonaises et ses partenaires au développement à l’exemple de l’Agence Française Développement (AFD) l’ont bien compris et ont rendu cela possible à travers la mise sur pied du PRODIAG. Bien que les retombées de cette entreprise d’envergure soient aujourd’hui peu perceptibles sur le terrain (quatre ans après la fin du projet) et notamment dans les régions ou provinces ciblées par le projet.
Il n’en demeure pas moins que cette stratégie a, à un moment donné du projet, montré que des résultats probants pouvaient être possibles, bien que cela n’ait pas mis du temps, causant de fait une sorte de sécurité alimentaire cyclique, périodisée et chancelante pour le pays tout entier. Ce qui conduit à tenir compte de certaines insuffisances pouvant être enregistrées dans la conception, le déroulement et les résultats issus d’un projet tel que le PRODIAG et partant, plusieurs autres à venir. Mais à l’heure où la question de l’accroissement démographique, de la faim dans le monde, des enjeux sécuritaires sous-régionaux, du réchauffement climatique, des épidémies à l’exemple de la Covid-19, etc., deviennent légion. Il est plus que temps de se donner les moyens de rendre ce type de stratégie plus résiliente, efficace et optimale.
Dans l’optique de redynamiser les régions sur le plan agricole, pour une véritable réalisation de la sécurité alimentaire dans le pays. Il y a lieu, à cet effet, de s’appesantir pour les concepteurs de ce type de dispositifs sur de meilleurs critères de sélection des populations, à mettre sur pied de meilleures stratégies pour éviter les désertions des périmètres. Aussi bien du côté des agents de développement que des exploitants. Les développeurs et les agents de développement gagneraient également à mettre un accent tout particulier sur le conflit homme-faune pouvant fragiliser une telle configuration développementale. En plus ciblant efficacement les régions d’implantations des dispositifs, et surtout en aidant les populations ou du moins les exploitants à établir des circuits de distributions de leurs productions.
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Auteur
Waddle NZIENGUI MALOUANA
Doctorant, Anthropologie, Université Omar BONGO (UOB)/Libreville, Gabon.
Laboratoire Universitaire de la Tradition Orale et des Dynamiques Contemporaines (LUTO-DC)
Adresse Postale : 17036
Courriel : wnzienguimalouana@gmail.com
© Édition électronique URL : https://espacesafricains.org/
© Éditeur – Groupe de recherche Populations, Sociétés et Territoires (PoSTer) de l’UJLoG – Université Jean Lorougnon Guédé (UJLoG) – Daloa (Côte d’Ivoire)
© Référence électronique Waddle NZIENGUI MALOUANA, « La régionalisation des dispositifs agricoles au Gabon : une piste de solution à la problématique de sécurité alimentaire ? », Revue Espaces africains (En ligne), 1 | 2022, mis en ligne le 1er septembre 2022.
Idem, Galley, p.181 ↑