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Radios de proximité et gouvernance locale en Côte d’Ivoire : Enjeux et défis à travers les exemples de Radio Adjamé FM et de Radio Alobhé 

Local radio stations and local governance in Ivory Coast : Issues and challenges through the examples of Radio Adjame FM and Radio Alobhe

Philippe IBITOWA 

Résumé

Nées de l’éclosion du paysage médiatique des années 1990, suite au retour au multipartisme en Côte d’Ivoire, les radios de proximité, au nombre de 232 à ce jour, constituent le plus fort contingent de diffusion d’informations auprès de la population ivoirienne. Leurs rôles s’avèrent davantage importants quand il s’agit pour elles d’accompagner les collectivités territoriales décentralisées dans leurs missions de développement local. Dans cet article, à travers l’étude des cas de Radio Adjamé Fm et de Radio Alobhé, nous montrons comment ces médias parviennent à atteindre cet objectif et dans quelle mesure ils vulgarisent dans leurs programmes quotidiens les questions liées principalement à la sécurité, à l’environnement, à la santé, à l’éducation et à la culture en vue de la promotion sociale et humaine au sein de leurs communautés respectives. Cette mission parait, à la pratique, difficile à réaliser. C’est ce que montre notre étude, qui s’inscrit dans la théorie de l’agenda setting et est nourrie par des données issues de la recherche documentaire, d’entretiens et d’un focus group.

Mots-clés : Radio de proximité, gouvernance locale, agenda-setting, journalisme public, Radio Adjamé FM, Radio Alobhé

Abstract

Born from the emergence of the media landscape in the 1990s, following the return to a multiparty system in Côte d’Ivoire, local radio stations, numbering 232 to date, constitute the largest contingent of information dissemination to the Ivorian population. Their roles are more important when it comes to supporting decentralised local authorities in their local development missions. In this article, through the study of the cases of Radio Adjamé Fm and Radio Alobhé we show how these media manage to achieve this objective and to what extent they popularize in their daily programs issues related mainly to security, environment, health, education and culture for social and human advancement within their respective communities. This mission seems, in practice, difficult to achieve. This is shown by our study, which is part of the theory of agenda setting and is fed by data from desk research, interviews and a focus group.

Keyword : Local radio stations, local governance, agenda-setting, public journalism, Radio Adjamé FM, Radio Alobhé.

Introduction

En Occident et partout dans le monde, les médias ont contribué à l’avènement de la démocratie, favorisé et accompagné les mutations et les transformations sociales. Par leur capacité à informer le citoyen, à éclairer l’opinion et à questionner les actions des gouvernants, les médias demeurent le miroir et le porte-voix de la société. Les écrits, les propos et/ou les images qu’ils véhiculent contribuent à la régulation du climat social en apportant la bonne information aux populations et en les fédérant autour d’idéaux communs. De la révolution française en 1789 au printemps arabe au début des années 2010, en passant par le retour au multipartisme dans la plupart des pays d’Afrique à l’orée des années 1990, la presse, la radio, la télévision et aujourd’hui internet favorisent la liberté d’expressions ainsi que la pluralité des opinions, et concourent par la même occasion à la construction de la démocratie (Cagé 2016 : 123).

Aux États-Unis par exemple, l’introduction des premiers quotidiens s’est accompagnée d’une augmentation de la participation des populations aux élections, comme l’ont montré (Gentzkow, Shapiro & Sinkinson 2011 : 1) en étudiant l’effet des journaux quotidiens américains sur les comportements de vote de 1869 à 1928. Un journal supplémentaire augmente la participation aux élections législatives et présidentielles de 0,3 trois points de pourcentage ; le premier entrant sur le marché d’un point de pourcentage, un effet massif (Cagé Op. cit. : 124).

De même, en Côte d’Ivoire, la politique de décentralisation de l’État, marquée par la communalisation accélérée du pays au début des années 1980 et plus tard par la création des conseils généraux puis régionaux et les districts autonomes, traduit le besoin du pouvoir central de se rapprocher de ses administrés. À ce titre, la loi n°2012-1128 du 13 décembre 2012 portant organisation des collectivités territoriales stipule en ses dispositions générales (Article premier) que « les Collectivités territoriales concourent avec l’État au développement économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et scientifique des populations et, de manière générale, à l’amélioration constante de leur cadre de vie. À cet effet, elles jouissent d’une compétence générale et de compétences spéciales attribuées par les lois et règlements ».

Selon l’Article 182 de la loi no 2012-1128 du 13 décembre 2012 portant organisation des collectivités territoriales, Section IV, « sans préjudice des autorisations, décisions ou avis préalables du Conseil Municipal et de la Municipalité, le Maire est chargé en particulier de veiller à la protection de l’environnement, de la mise en œuvre, dans la commune, de la politique de développement économique, sociale et culturelle définie par le Gouvernement. En sa qualité de représentant du pouvoir exécutif, sous le contrôle de l’autorité compétente, le Maire est responsable du maintien de l’ordre, de la sûreté, de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité publics ».

Cette volonté de rapprocher le pouvoir central de l’administration s’accompagne également d’outils et d’instruments de gouvernance locale au nombre desquelles les radios de proximité dont se dotent la plupart des communes à partir de juin 1998.

Aujourd’hui, selon les données de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA), 80 mairies, 16 Conseils régionaux et 2 Districts disposent de radios de proximité pour promouvoir leur politique et leurs activités auprès des populations locales. Des chiffres qui montrent l’intérêt de ces médias.

En réalité, émanation des communes, les radios communales sont censées porter et promouvoir le cahier des charges dévolu à ces collectivités décentralisées, aux termes du titre II, article 32 de la loi no 2014-451 du 05 août 2014 portant orientation de l’organisation générale de l’Administration Territoriale. Aussi, convient-il de savoir dans quelle mesure ces radios, à travers le cas de Radio Adjamé Fm (102.3 FM) et de Radio Alobhé (100.8 FM), reflètent-elles la vision et la politique de développement du gouvernement au plan local. En quoi les programmes de ces radios sont-ils conformes aux missions assignées aux mairies dans le cadre de la politique de décentralisation ? Telle est la question centrale du présent article intitulé « Radios de proximité et gouvernance locale en Côte d’Ivoire : enjeux et défis à travers les exemples de Radio Adjamé FM et de Radio Alobhé ». Les lignes qui suivent mettent en relief le cadre théorique et méthodologique de notre travail ainsi que le contexte de création des radios de proximité et leurs missions. Ils s’en suivent les résultats de notre étude et la phase de discussion.


1.Approche théorique et méthodologique

L’étude convoque le modèle de l’agenda-setting élaboré par (McComb & Shaw 1972 : 176). Il désigne la façon dont les préoccupations des citoyens sont structurées par les médias. Selon ces auteurs : « Il existe dans les domaines politiques, économiques et sociaux des choses que les citoyens ne maitrisent pas. Ils ont donc besoin des médias pour s’informer ».

La notion d’agenda-setting indique un modèle qui établit une relation causale entre l’importance que les médias accordent à certains sujets (issues) et la perception qu’ont les consommateurs de nouvelles de l’importance de ces sujets. Les médias influencent l’ordre du jour des affaires publiques dans la mesure où le public ajuste sa perception de l’importance relative des sujets à l’importance que les médias leur accordent (Charron 2009 : 81). En ce qui concerne notre étude, ce postulat suppose comme préalable à toute influence, l’offre d’un contenu conforme aux attentes des populations locales, spécifiquement de programmes en relation avec le développement à la base et la promotion humaine.

Du point de vue méthodologique, nous avons associé l’approche qualitative à la méthode quantitative dans le recueil, le traitement et l’analyse de contenu thématique des données relatives aux programmes diffusés sur Radio Adjamé Fm et Radio Alobhé. Ce choix a pour but de tirer le meilleur profit des données recueillies. En effet, les Méthodes de Recherches Qualitatives (MRQ) visent à comprendre les expériences personnelles et à expliquer certains aspects de phénomènes sociaux tels que la santé et la maladie (…) (Christiaens & Kohn 2014 : 68). Contrairement à la méthode qualitative, centrée sur l’interprétation et la description des résultats, la méthode quantitative attribue des valeurs numériques aux éléments du phénomène étudié, afin d’appliquer au résultat des techniques statistiques ou formelles.

L’analyse thématique, ou plus exactement l’analyse de contenu thématique (ACT), est une méthode d’analyse consistant « à repérer dans des expressions verbales ou textuelles des thèmes généraux récurrents qui apparaissent sous divers contenus plus concrets » (Mucchielli 1996 : 259).

Relativement à l’approche qualitative, nous avons eu recours à la recherche documentaire dans le cadre de la recension de textes juridiques et de documents numériques (programmes) sur les radios de proximité et sur les collectivités territoriales, tout comme du recueil de documents sonores (enregistrements d’émissions). En outre, nous avons eu des entretiens semi-directifs avec la Rédactrice en chef de Radio Adjamé Fm et le Directeur des programmes de Radio Alobhé. À cela, il faut ajouter l’observation directe, à travers l’écoute de certaines émissions, et un focus group avec 5 auditeurs de Radio Adjamé Fm.

Il convient de préciser que l’objectif principal de notre étude étant de déterminer dans quelle mesure les programmes des radios de proximité sont conformes à leur mission de promotion du développement local, l’avis des auditeurs sur les émissions diffusées sur ces stations radiophoniques apparait subsidiaire.

Le choix de Radio Adjamé Fm et de Radio Alobhé relève vise à déterminer la réalité des radios de proximité dans leur fonctionnement quotidien. Adjamé est l’une des dix communes de la métropole Abidjan. Elle est située au centre de la capitale économique de la Côte d’Ivoire et s’étend sur une superficie de 12, 1 km². Cette cité est devenue une commune de plein exercice selon la loi no 80-1180 du 17 octobre 1980. C’est aussi une ville essentiellement commerçante avec une population cosmopolite composée à la fois d’autochtones ébriés, d’allogènes et de non nationaux d’origines diverses. Selon les chiffres du recensement général de la population et de l’habitat 2021, communiqués par le Ministère du plan et de développement de Côte d’Ivoire, Adjamé compte une population de 340 892 dont 180 917 hommes et 159 974 femmes[1].

Bingerville est quant à elle, une commune du Sud de la Côte d’Ivoire. Elle est située au bord de la lagune Ébrié. Elle fut, après Grand-Bassam et avant Abidjan, la deuxième capitale de la Côte d’Ivoire. Autrefois appelée Alobey en ébrié, c’est à l’arrivée de Louis-Gustave Binger, premier gouverneur de la Côte d’Ivoire, qu’elle fut baptisée par son nom Bingerville. Toute comme Adjamé, c’est en 1980 que la ville est érigée en commune de plein exercice avec pour premier maire élu Léonard Offoumou Yapo. Ses habitants y pratiquent l’élevage, l’agriculture, la pêche et le commerce. La principale culture est le manioc pour la fabrication de l’attiéké et du placali. Elle s’étend sur une superficie de 10 200 km² et compte une population de 204 656 habitants dont 101 397 hommes et 103 259 femmes, selon les chiffres du recensement général de la population et de l’habitat 2021 (RGPH).

2. Résultats

2. 1. Les radios de proximité en question

Au mois d’octobre 2022, la Côte d’Ivoire comptait 247 radios (haca.ci, 2022) classées comme suit :

– 2 radios de service public (Radio Côte d’Ivoire, Fréquence 2)
– 1 radio institutionnelle (Radio de la Paix, ex-ONUCI FM)
– 5 radios non nationales (BBC, Radio Medi 1, RFI, Africa Radio, La Voix de l’Amérique)
– 7 radios privées commerciales (Hit Radio, Trace FM, Nostalgie, Vibe Radio, One Radio, JAM FM, Radio Jeunes)
– 232 radios privées non commerciales dont 190 radios de proximité, 25 radios confessionnelles, 10 radios école et 7 radios rurales.

Nées dans la foulée du boom de l’espace public et politique des années 1990, les radios de proximité sont venues enrichir et colorer le paysage médiatique déjà investi par la presse nationale quotidienne. Ces radios visent, dans leurs programmes, l’information et l’animation locales, le développement culturel et l’éducation permanente. Leurs zones de couverture se limitent généralement à la localité ou à la commune dans laquelle elles sont implantées, avec un rayon n’excédant pas 10 Km. Parmi les cent quatre-vingt-dix (190) radios de proximité répertoriées en 2022, 92 appartiennent à des personnes morales et physiques, 80 à des mairies, 16 à des Conseils régionaux et 2 à des districts[2].

Les radios des mairies sont destinées à accompagner la politique communale de développement local. C’est à ce titre que Radio Adjamé Fm et Radio Alobhé nous servent d’étude de cas.

2.1. 1. Radio Adjamé Fm

Radio Adjamé Fm est une jeune radio, l’une des dernières nées des Radios Communales de la capitale économique de la Côte d’Ivoire. Elle a commencé à émettre à partir du jeudi 23 Juillet 2020, suite à une convention d’exploitation temporaire d’un service public de radiodiffusion sonore signée entre l’État de Côte d’Ivoire et la commune d’Adjamé, qui en est la propriétaire. Cette station émet en modulation de fréquence sur les 102.3 FM. Radio Adjamé Fm a pour principale cible la population vivant à Adjamé et à proximité qu’elle informe sur les activités de la commune ainsi que sur l’actualité du moment. Son slogan est « Radio de la Cohésion et de la Solidarité ». Elle a pour vision de promouvoir les valeurs de paix, de cohésion sociale et de solidarité pour un vivre ensemble effectif dans la commune. Sa ligne éditoriale repose sur deux principes complémentaires :

– La Cohésion dans le but de réduire les inégalités, en particulier celles auxquelles sont confrontées les populations issues d’autres nations vivant à Adjamé pour un mieux vivre. En quelque sorte créer un esprit de fraternité entre toutes les communautés d’ici et d’ailleurs vivant à Adjamé.

– La Solidarité pour permettre à toutes les populations adjamoises d’accéder à une même qualité de vie. La radio relaie l’intérêt de chaque individu au sein de la commune et l’implique dans toute activité qui affecte l’autre, peu importe sa nationalité (N. D. Rédactrice en Cheffe de Adjamé Fm, communication personnelle, 14/09/2022).

Au titre du personnel, Radio Adjamé Fm compte 4 journalistes, 10 animateurs et 3 techniciens. Qu’en est-el de Radio Alobhé ?

2.1.2. Radio Alobhé

Radio Alobhé est une propriété de la mairie de Bingerville. Elle a été autorisée à émettre sur la fréquence 100.8 FM suite à la signature, le 19 décembre 2003, d’une convention d’exploitation temporaire d’un service public de radiodiffusion sonore, entre l’État de Côte d’Ivoire et la commune de Bingerville. Elle émet dans un cercle de 10 kilomètres de rayon. Radio Alobhé a pour principale cible la population de Bingerville dans ses différentes composantes et diversités.

La radio a pour vision de concourir au développement économique, social et culturel de Bingerville avec pour mission de produire et de diffuser des émissions dont le contenu est exclusivement d’intérêt local. Sa ligne éditoriale consiste à rendre compte de l’ensemble des activités apolitiques qui rythment le quotidien des bingervillois sans prise de position. Elle accompagne également les actions de développement de la mairie. Radio Alobhé a pour slogan ‘‘Oui. Etre auditeur, un vrai bonheur’’.

Au titre du personnel, Radio Alobhé compte 15 agents : un directeur général, un directeur de programmes, une assistante de direction, un chef d’antenne, un responsable technique, trois techniciens, cinq animateurs et deux journalistes.

2. 2. Un principe globalement respecté 

L’analyse de contenu thématique des données recueillies au sujet de ces deux médias montre que, dans l’ensemble, Radio Adjamé Fm et Radio Alobhé remplissent leur cahier des charges en ce qui concerne la promotion du développement social et humain à travers leurs programmes respectifs, mais de manière cependant insuffisante.

A Radio Adjamé Fm, la grille des programmes couvre les principales missions que l’État a transférées aux collectivités décentralisées : « les Collectivités territoriales concourent avec l’État au développement économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et scientifique des populations et, de manière générale, à l’amélioration constante de leur cadre de vie ; le Maire est responsable du maintien de l’ordre, de la sûreté, de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité publics » (loi n°2012-1128 du 13 décembre 2012 portant organisation des collectivités territoriales, Op. cit.). Les émissions mentionnées dans le tableau ci-dessous semblent couvrir ces champs.

Tabl. 1 : Emissions de Radio Adjamé Fm en lien avec les missions des collectivités décentralisées

                                                              Source : Radio Adjamé Fm, 2022

Cette situation, à quelque différence près, semble la même à Radio Alobhé comme l’indique le tableau ci-après :

Tabl. 2 : Emissions de Radio Alobhé en lien avec les missions des collectivités décentralisées

                                                                 Source : Radio Alobhé, 2022

Une brève comparaison des tableaux 1 et 2 montre qu’il y a plus d’émissions en lien avec les missions assignées aux collectivités décentralisées sur la première radio communale que sur la seconde où, par exemple, les questions liées à l’environnement, au social et à la sécurité ne sont pas explicitement prises en compte dans la grille des programmes. Une grille des programmes qui, pour l’une comme pour l’autre, reste marquée par une sous-représentation des émissions liées aux secteurs prioritaires.

2.3. Une sous-programmation des informations relatives aux secteurs prioritaires

Notre exercice s’est concentré sur la grille des programmes de Radio Adjamé Fm mieux élaborée. Les tableaux 3 et 4 ci-dessous représentent respectivement la grille des programmes de cette radio et les taux horaires consacrés aux émissions des secteurs dits prioritaires. Dans la grille, nous avons intégré la thématique du sport dans le secteur de la culture et celle de la santé dans celui de la sécurité, au regard des champs similaires que partagent ces domaines de développement en termes d’objectifs et d’impact sur la population.

                                      Tabl. 3 : grille des programmes de Radio Adjamé Fm


Source : Radio Adjamé Fm, 2022

Tabl. 4 : Emissions en lien avec les secteurs prioritaires du gouvernement dans la grille de programmes de Radio Adjamé Fm

Source : Radio Adjamé Fm, 2022

Du point de vue des statistiques, malgré la prise en compte quasi-complète de tous les secteurs clés en lien avec le développement local et la promotion humaine, les émissions identifiées représentent une infime partie, comparées à l’ensemble des émissions diffusées sur Adjamé Fm. Du lundi au dimanche, la grille hebdomadaire des programmes de cette radio affiche un volume horaire de 17 heures d’antenne par jour (06 H à 23 H), soit 7 140 minutes par semaine. Dans cette grille, les émissions concernées par notre problématique représentent 16, 33 H (980 minutes) par semaine, soient une proportion de 13,73% contre 86,27% pour le reste du programme hebdomadaire.

Fig. 1 : diagramme circulaire représentant la place accordée aux secteurs prioritaires dans les programmes de Adjamé Fm

Source : Notre étude, sur la base des données fournies par Adjamé Fm, 2022

La figure 1 et le tableau 5 illustrent bien la disproportion entre les deux catégories d’émissions. Les programmes en lien avec les missions de développement local et de promotion humaine assignées aux collectivités décentralisées (en bleu sur la figure 1) sont minoritaires, au bénéficie d’autres genres d’émissions qui sont surreprésentées.

            Tabl. 5 : Fiche synthétique des volumes horaires hebdomadaires consacrés aux secteurs clés

Source : Notre étude sur la base des données fournies par Adjamé Fm, 2022.

Dans le détail, nous avons les temps d’antennes hebdomadaires suivants pour les catégories d’émissions indiquées ci-après par ordre décroissant :

– Sport et culture : 6, 58 H (5,53%)
– Sécurité, santé, sûreté et tranquillité : 3,25 H (2,73%)
– Autres secteurs prioritaires (Jeunesse, femme, enfance) : 2,25 (1,89%)
– Développement économique : 1,75 H (1,47%)
– Développement social : 1,5 H (1,26%)
– Protection de l’environnement, Salubrité publique : 1 H (0,84%). Ainsi, le Sport et la Culture occupent la première place tandis que les questions d’environnement et de cadre de vie sont reléguées au dernier rang avec un taux horaire hebdomadaire d’une (1) heure. Ces chiffres montrent le peu d’intérêt accordé par cette radio aux questions aussi importantes que celles liées à l’environnement.

2.4. Étude de cas : le magazine Santé plus de Adjamé FM

Nous avons réécouté ou suivi en direct plusieurs émissions à thème, diffusées sur Adjamé Fm. Il s’agit notamment de ‘‘Notre cadre de vie’’ du 19/08/2022, ‘‘Planète Culture’’ du 25/03/2021 et ‘‘Santé Plus’’ du 12/10/2022. Cette dernière émission, sous format magazine de 45 minutes, que nous avons suivie en direct, a porté sur la paralysie cérébrale des enfants. Elle a eu pour invitées une Kinésithérapeute[3] et une présidente d’une ONG[4]. L’émission a traité :

– des causes primaires de cette pathologie : infection néonatale, ictère, contraction et compression du cerveau de l’enfant lors de l’accouchement lorsque la délivrance tarde, accouchements rapprochés qui ne favorisent pas le développement normal du cerveau.

En effet, le cerveau d’un enfant commence à se former pendant la grossesse. Quelques milliers de neurones sont alors créés chaque seconde. Ainsi, quand le bébé vient au monde, son cerveau possède déjà environ 100 milliards de neurones, soit tous ceux (et même plus !) dont il aura besoin pendant sa vie (Vallerand 2018 : 1).

– de ses symptômes : yeux jaunis du nouveau-né, excès de sommeil du nouveau-né

– de ses conséquences : lésion cérébrale ; déformation au niveau des membres de l’enfant ; troubles d’articulations ; troubles d’élocution ; poids social ; stigmatisation de l’enfant malade et de ses parents ; dépendance de l’enfant ; charge pour les parents qui sont totalement absorbés par l’accompagnement permanent du malade. Ce qui ne leur laisse pas assez de temps pour vaquer à d’autres occupations

– et des conseils à suivre pour empêcher la survenue de cette maladie : procéder aux consultations prénatales ; surseoir à la consommation de l’alcool, du tabac ou de la drogue au cours de la grossesse ; éviter l’excès d’exercices physiques chez la femme enceinte.

Au cours de l’émission, Madame G. M., mère d’un enfant atteint de paralysie cérébrale, présidente de l’ONG ‘‘Cœur de Maman Amour d’Enfant’’, a partagé son expérience, évoqué les difficultés qu’elle éprouve à s’occuper de son enfant de 6 ans qui a les réactions d’un bébé de 2 mois et qui est entièrement dépendant. En raison de cette situation, elle a dû arrêter toutes ses activités pour s’occuper de son enfant.

Dans la forme, l’émission a été bien menée aussi bien dans le découpage (introduction, causes, symptômes, conséquences, conseils et préventions) que dans l’animation ; toutes choses qui dénotent du professionnalisme de l’animatrice de ce magazine de santé.

2.5. Un avis favorable des auditeurs pour une faible connaissance des émissions prioritaires 

Adjamé Fm diffuse la plupart de ses programmes en permanence au sein du ‘‘Forum d’Adjamé’’, le plus grand centre commercial de la commune, grâce à des haut-parleurs qui y ont été installés. Elle dispose d’un ‘‘club des auditeurs’’ qui compterait un peu plus de 800 membres selon monsieur D. C., coordinateur dudit club. Des membres de cette association avec qui nous avons eu une rencontre le 23 septembre 2022, dans le cadre d’un focus group, ont de façon générale exprimé une opinion favorable aux programmes de la radio. Mais à la question de citer des émissions qu’ils écoutent régulièrement, seulement 2 interlocuteurs sur 5, soit 40% ont pu en énumérer. Certains comme C. A.[5] sont passés à l’émission ‘‘Sur mes traces’’, qui retrace le parcours professionnel de l’invité.

La ‘‘Discothèque à Papa’’ me rappelle beaucoup mon enfance. C’est une émission retro[6]. Mais de manière spécifique, aucun des cinq interlocuteurs qui ont participé à l’entrevue n’ont pu énumérer ou évoquer des émissions liées aux secteurs prioritaires, en rapport avec les missions des collectivités territoriales, telles que mentionnées en début d’étude. Ce déficit est sans doute la résultante du faible taux horaire consacré à cette catégorie d’émissions. Un plus grand temps d’antenne aurait sans doute multiplié les opportunités pour les auditeurs d’en être familiarisés et d’en avoir une meilleure connaissance.

3. Discussion

Les résultats de cette étude montrent bien les efforts que font les radios communales pour accomplir leurs missions d’accompagnement de la politique de développement du gouvernement sur le plan local. Un effort néanmoins largement insuffisant, au regard de la très faible proportion (13,73%) des contenus relatifs à cet objectif, en comparaison avec les autres éléments des programmes diffusés par ces radios, qui privilégient souvent les sujets de divertissement et les programmes musicaux, moins coûteux en production, aux émissions de sensibilisation et de formation de la conscience citoyenne.

Force est donc de constater que cette tâche n’est pas aisée pour la plupart de ces médias. Des visites effectuées en 2014, au sein des radios de proximité, par la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA), tant à Abidjan qu’à l’intérieur du pays, révèlent que de nombreux agents travaillent dans des conditions assez précaires. Ces radios sont souvent mal équipées, avec du matériel très vétuste. La rémunération du personnel est souvent insignifiante ou n’existe pas du tout. Elles ne disposent pour l’essentiel pas de journalistes professionnels (René Bourgouin, Secrétaire général de la HACA, communication personnelle, 25/05/2017). Ce constat souligne les difficultés de fonctionnement des radios de proximité.

Au nombre des difficultés que vivent ces structures et qui préoccupent Sy Savané[7], se trouvent le statut et le traitement salarial des journalistes et autres agents qui en assurent le fonctionnement (…). Hormis les radios confessionnelles à savoir “Fréquence vie” et “Al Bayane” qui fonctionnent selon un organigramme bien établi, avec un traitement salarial dans la fourchette de l’acceptable, dans les autres notamment “Radio Amitié” et “Radio Fraternité” qui émettent toutes deux à Yopougon, le statut socioprofessionnel et salarial des employés reste à améliorer (Doudou 2014 : 8).

Cette situation, bien qu’alarmante, n’exonère pas les radios de proximité, en général, et les radios communales, en particulier, du principe du journalisme public. Ce concept, en émergence depuis la fin des années 1980, peut être défini comme une approche selon laquelle les médias doivent jouer un rôle beaucoup plus actif au sein de leur milieu : 1) en apportant des solutions concrètes aux problèmes quotidiens des citoyens ; 2) en incitant ces derniers à s’impliquer davantage dans la vie démocratique (Beauchamp & Watine 2000 : 93). Il vise à accroître l’utilité sociale des professionnels de l’information au sein de leur environnement immédiat afin de garantir un meilleur fonctionnement de la vie démocratique (Watine 2003 : 231).

Et c’est ce que semblent confirmer les résultats d’une étude initiée par la HACA et réalisée en 2016 par la Cellule d’analyse des politiques économiques (CAPEC), du Centre Ivoirien de Recherche Economique et Sociale (CIRES). Ces résultats montrent qu’en ce qui concerne les radios privées non commerciales, dans leur majorité, les populations en zone urbaine (72,17%) et en zone rurale (46,66 %) perçoivent la radio de proximité comme une réponse pertinente aux besoins d’information. De même, 49,35% des auditeurs des radios de proximité, d’une part, et 45,83% des auditeurs des autres radios, d’autre part, s’intéressent essentiellement aux informations en lien avec l’actualité locale. Par ailleurs, sur la population d’auditeurs interviewés, 69,47% d’auditeurs considèrent que la radio de proximité intervient très suffisamment (20,41%) ou « suffisamment » (49,06%) dans le traitement des questions ou des problèmes spécifiques à la communauté (Ibitowa 2021 : 149).

Une appropriation du principe du journalisme public pourrait ainsi conduire les promoteurs des radios communales à rechercher davantage de ressources en vue de la promotion humaine et du développement local, conformément aux compétences qui leur sont transférées par le gouvernement ivoirien, tout en consacrant plus de temps d’antenne aux problématiques y afférentes.

De même, au regard de l’importance des médias locaux dans la construction du territoire, leur essor contribuerait au développement à la base ainsi qu’à la consolidation de la paix sociale. En effet, outre leur importance économique et leur place dans le paysage de l’information, les presses quotidiennes régionales (PQR) et locales (PQL) ont par ailleurs toujours assuré des rôles et des fonctions particulières. Facteurs de constructions identitaires des territoires géographiques sur lesquels elles interviennent, elles sont aussi des presses de service, indispensables à l’organisation sociale des collectivités humaines. Localement, la pqr (Presse Quotidienne Régionale et la pql (Presse Quotidienne Locale) font aussi partie intégrante de la scène politique et ont longtemps constitué le seul support médiatique du débat public au niveau le plus proche des citoyens (Martin : 2002) cité par Smyrnaios & Bousquet (2012 : 5). Ainsi, les fonctions de la presse locale dépassent largement la simple information. Le journalisme du local (…) rappelle avec force que l’information est aussi un élément du simple lien social : les êtres qui vivent en collectivité ont besoin d’une somme variable d’informations pour se situer et développer leur activité ; ils ont aussi besoin d’instrument de transparence de la vie politique (Rochard & Ruellan 2004 : 201).

Conclusion

Cette étude a eu pour objectif de montrer comment les radios de proximité en général, et les radios communales en particulier, remplissent leur fonction de service public en Côte d’Ivoire, du fait qu’elles sont appelées à soutenir et accompagner la politique de développement du gouvernement au plan local, à travers les collectivités décentralisées, tout comme la RTI et Fraternité Matin sur le plan national. L’étude des cas de Radio Adjamé Fm et de Radio Alobhé a montré deux réalités : d’une part les médias qui réussissent plus ou moins cet exercice (Radio Adjamé Fm), en prenant en compte la plupart des thématiques en lien avec le développement et la promotion humaine -d’autre part ceux qui éprouvent des difficultés à le réaliser pleinement (Radio Alobhé).

Mais pour les premiers comme pour les seconds, l’insuffisance des moyens matériels et financiers et de personnels qualifiés, pourtant indispensables à la mise en œuvre de leur cahier des charges, est de nature à réduire l’impact des programmes auprès des populations à la base. Une faiblesse à corriger si l’on tient à faire de ces outils de communication de véritables canaux de paix et de développement, au regard de leur proximité avec les populations, tout en renforçant leurs capacités (aux plans matériels, structurels et financiers) à s’engager dans le journalisme public. Aussi, dans le cadre de sa politique de promotion du développement, l’État de Côte d’Ivoire gagnerait-elle à y contribuer fortement, pour tirer le meilleur profit de l’audience naturelle de ces radios dont les modèles économiques mériteraient par ailleurs de faire l’objet d’une étude approfondie.

Références bibliographiques

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AUTEUR

Philippe IBITOWA
Maître-Assistant
UFR Information, Communication et Arts (UFRICA)
Laboratoire des Sciences de la Communication, des Arts et de la Culture (LSCAC) Université Félix Houphouët-Boigny (RCI)
Courriel : phililippeibito@yahoo.fr

 © Édition électronique

 URL – Revue Espaces Africains  https://espacesafricains.org/
Courriel – Revue Espaces Africains : revue@espacesafricains.org
ISSN : 2957-9279
Courriel – Groupe de recherche PoSTer : poster_ujlog@espaces.africians.org
URL – Groupe PoSTer  https://espacesafricains.org/poster/

© Éditeur
– Groupe de recherche Populations, Sociétés et Territoires (PoSTer) de l’UJLoG
– Université Jean Lorougnon Guédé (UJLoG) – Daloa (Côte d’Ivoire)

© Référence électronique

Philippe IBITOWA, « Radios de proximité et gouvernance locale en Côte d’Ivoire : Enjeux et défis à travers les exemples de Radio Adjamé FM et de Radio Alobhé », Revue Espaces Africains (En ligne), 2 | 2022 (Varia), Vol. 3, ISSN : 2957- 9279, mis en ligne, le 30 décembre 2022.

  1. Ministère du plan et du développement (2022). RGPH-Résultats globaux.2021. Disponible en ligne :

    https://plan.gouv.ci/assets/fichier/RGPH2021-RESULTATS-GLOBAUX-VF.pdf

  2. HACA (2022). Liste des radios et télévisions. Consulté le 30/10/2022 sur http://haca.ci/annuaires/repertoire-des-operateurs-radio.
  3. G. Mélissa
  4. G. Marcelle
  5. Technicien radio au black market d’Adjamé
  6. D. C., peintre
  7. Président de la HACA, Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle.
 
 
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