Espaces Africains

Revue Espaces Africains - Groupe de recherche pluridisciplinaire et international « Populations, Sociétés & Territoires » (PoSTer)

 


Analyse des mesures de résolutions du conflit Homme-éléphants au Gabon : entre solutions insuffisantes et inadaptées ?

 Analysis des measures to resolve the human-elephant conflict in Gabon : Between inadequate and inappropriate solutions ?

Leticia Nathalie SELLO MADOUNGOU (Épouse NZÉ)

Résumé

Les politiques environnementales traduites en actes par chaque entité étatique à travers le monde, rencontrent des difficultés dans leur faisabilité. Au Gabon, depuis quelques temps, le conflit Homme-faune et particulièrement celui dit « Homme-éléphants » est récurrent. Jusqu’en décembre 2021, près de 12 000 plaintes ont été déposées par les agriculteurs à la Direction Générale de la Faune et de la Flore. Ainsi, cette étude se propose d’analyser les mesures préconisées à la fois par les ONG internationales, nationales et l’État en vue du règlement du conflit Homme-éléphants. Pour cela, la méthodologie adoptée s’est appuyée sur la recherche documentaire, les entretiens directifs et semi-directs auprès des personnes ressources et l’enquête quantitative auprès de 144 chefs de famille en 2011 et de 30 agriculteurs en 2022. Les résultats obtenus tendent à démontrer, d’une part, que les clôtures électriques et l’emploi du répulsif organique, qui sont des mesures importées d’autres pays d’Afrique subsaharienne, restent encore des solutions insuffisantes voire inadaptées pour régler le conflit. D’autre part, 63,33 % des agriculteurs interrogés en mai 2022 trouvent sporadiques et insuffisantes les indemnisations reçues. Parallèlement, le perfectionnement des méthodes traditionnelles de protection des champs pourrait être l’une des solutions adaptées à envisager au Gabon.

Mots-clés : Gabon, conflit, Homme-éléphants, populations, solutions

Abstract

Environmental policies translated into action by each state entity throughout the world encounter difficulties in their feasibility. In Gabon, for some time now, the conflict between humans and wildlife, and particularly between humans and elephants, has been recurrent. Up to December 2021, nearly 12,000 complaints have been lodged by farmers with the Direction Générale de la Faune et de la Flore. Thus, this study aims to analyse the measures recommended by international and national NGOs and the state to resolve the human-elephant conflict. The methodology adopted was based on documentary research, direct and semi-direct interviews with resource persons and a quantitative survey of 144 heads of household in 2011 and 30 farmers in 2022. The results obtained tend to show that, on the one hand, electric fences and the use of organic repellents, which are measures imported from other sub-Saharan African countries, are still insufficient or even unsuitable solutions to the conflict. On the other hand, 63.33% of the farmers interviewed in May 2022 find the compensation received sporadic and insufficient. At the same time, the improvement of traditional methods of protecting fields could be one of the appropriate solutions to be considered in Gabon.

Keywords : Gabon, conflict, elephant-people, populations, solutions

Introduction

Les politiques environnementales naissent de la volonté de protéger la planète contre les activités néfastes des hommes sur l’environnement (Sello Madoungou 2017 : 72). Ainsi, les organismes internationaux en charge des questions environnementales, dont la plus symbolique est l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), ont permis aux États en général, et ceux du Sud en particulier, de s’approprier ces questions à travers des politiques environnementales nationales (Chartier et Ollitrault 2005 : 96). Le but est de promouvoir, encourager et de soutenir ces politiques pour le bien-être des populations et le bien de l’environnement (Chartier 2005 : 114). Mais, les politiques environnementales, très influencées par les ONG internationales, se faisant parfois à travers des subventions, des projets et des aides, n’ont pas toujours été sans heurts.

Les forêts du Bassin du Congo en l’occurrence sont très importantes pour la protection de la planète, avec une superficie de 200 millions d’hectares en 2020 (Eba’a Atyi 2022 : 392). Pour Saatchi et al. (2011), cités par Eba’a Atyi (2022 : 392), environ 40 Gt de carbone sont en effet séquestrées par les forêts du Bassin du Congo à travers leurs arbres, plus grands et de gros diamètres, contrairement à ceux des forêts amazoniennes, premier poumon forestier de la planète. Néanmoins, leur importance ne se révèle pas que dans le domaine environnemental, elles sont aussi très importantes pour les économies nationales des pays qui les regorgent. Selon Eba’a Atyi (2022 : 393) :

« les forêts du bassin du Congo contribuent de manière diversifiée aux économies des pays d’Afrique centrale. Une partie importante de la contribution des forêts au développement socio-économique des pays d’Afrique centrale se fait à travers les chaînes de valeur des produits forestiers non ligneux, du bois-énergie et de l’exploitation de la faune sauvage pour des fins alimentaires, chaînes de valeurs qui sont cependant encore dominées par l’informel ».

Dans les forêts du Bassin du Congo, la forêt gabonaise y occupe une place importante (23 millions d’hectares). En effet, « le Gabon présente le taux de couverture forestière le plus élevé d’Afrique et la forêt recouvre plus des trois-quarts du pays. La diversité biologique de ce milieu n’est pas encore totalement évaluée et de nouvelles espèces régulièrement découvertes » (Brugière 1998 : 45). Par ailleurs, la forêt gabonaise, grâce à l’exploitation forestière, l’exploitation des mines, l’agriculture, la pêche, la chasse et la cueillette, est importante à la fois pour son économie et sa population. Cependant, les politiques environnementales en général, et celles du Gabon en particulier, ont tendance à restreindre les actions humaines dans l’utilisation des ressources naturelles forestières. C’est notamment dans les aires protégées, principal mode de protection environnementale dans lequel il s’est inscrit que ces restrictions sont importantes.

De plus, elles sont à l’origine de nombreuses oppositions dans le monde rural gabonais, dont le conflit Homme-faune et particulièrement le conflit Homme-éléphants s’illustre bien. En effet, la recrudescence de la dévastation des cultures depuis plus d’une décennie par les pachydermes dans les zones rurales gabonaises induit le mécontentement des agriculteurs (Sello Madoungou 2017 : 200-201). Ce problème révèle la forte sollicitation des milieux naturels par plusieurs acteurs, notamment les populations rurales qui disposent de territoires de plus en plus réduits. Or, « la terre est une ressource indispensable au développement des activités agricoles. Son appropriation par les paysans détermine parfois le caractère de la culture agricole qu’elle supporte » (Coulibaly 2021 : 115). Ainsi, le problème des terres au Gabon et dans son monde rural nécessite une attention particulière. Quelles solutions actuelles sont mises en place par les pouvoirs publics pour résoudre le conflit Homme-éléphants et quels en sont les résultats ? L’objectif de ce travail consiste à porter notre analyse sur les solutions déjà expérimentées pour résoudre le conflit Homme-éléphants au Gabon.

1. Cadre géographique

1.1. Localisation de la zone d’étude

C’est dans les provinces de l’Ogooué-Ivindo et de l’Ogooué-Lolo (fig. 1) que nous avons choisi d’analyser le problème que pose la politique de conservation, à travers le conflit Homme-éléphants qu’elle génère.

                                                            Fig. 1 : Localisation de la zone d’étude

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L’Ogooué-Ivindo, avec une superficie de 46 075 km², est la province la plus grande du pays. D’après le Recensement Général de la Population et des Logements (RGPL) de 2013, sa population de 63 293 habitants et sa densité de 1,4 hbt/km² fait d’elle, par contre, la province la moins peuplée. Cette province a un large espace forestier destiné à la conservation à travers la présence de ses parcs nationaux, comme indiqué sur la figure 1 (les parcs de Minkébé sud, de La Lopé, de Mwagné et de l’Ivindo). Quant à l’Ogooué-Lolo, sa superficie est de 25 380 km², pour une population de 65 771 habitants et sa densité de 2,6 hbt/km² d’après le RGPL de 2013. Trois parcs y sont présents, notamment Lopé, Ivindo et Monts Birougou. Comme pour l’ensemble du pays, leur climat est de type équatorial caractérisé par deux saisons sèches (petite saison de décembre-février ; grande saison sèche de juin-août) et deux saisons pluvieuses (petite saison de pluie de septembre-novembre ; grande saison de mars-mai). La forêt sempervirente dense est arrosée par un réseau hydrographique dominé par l’Ogooué et ses affluents (l’Ivindo et la Lolo). Quant aux sols, ils sont constitués de kaolinite, quartz et hydroxydes comme ceux de l’ensemble du pays. Ce sont des sols « de faible richesse chimique, mais dont les caractéristiques physiques sont correctes, quand les teneurs en argile sont suffisantes » (Martin et al. 1981 : 8). Des éléments physiques favorables au travail de la terre.

1. 2. Des territoires toujours en compétition et sans réelle démarcation

Les territoires forestiers gabonais convoités par plusieurs acteurs et l’absence de démarcation ou la répartition inégale de ces territoires continuent d’alimenter le conflit Homme-éléphants. Dans le monde rural en général et dans les provinces étudiées en particulier, plusieurs actions anthropiques sont entreprises. Ces activités peuvent parfois se révéler contradictoires, dans la mesure où en même temps que les activités de conservation pour protéger les milieux et les ressources naturelles sont entreprises, d’autres de production telles que les exploitations minière et forestière jugées parfois néfastes par les ONG nationales telles que Brainforest sont dénoncées. La figure 2 permet d’observer l’inégale répartition forestière du territoire gabonais.

Fig. 2 : Gestion des forêts gabonaises

Source : Chevalier et al. 2009 ; Brugière 1998 ; Ondo Ze et Ndong Ndong 2019

En référence aux documents officiels et aux articles scientifiques (Chevalier et al. 2009 ; Brugière 1998 ; Ondo Ze et Ndong Ndong 2019), les résultats mentionnés dans la figure 2, résultent des données connues. La superficie du Gabon qui est de 267 667 km² en y ajoutant les eaux, est constituée de 85 % de forêt et l’ensemble des aires protégées (parcs nationaux, réserve naturelle intégrale, réserve de biosphère, réserve de faune, jardin botanique) occupent 25,13 % d’aire forestière. L’État qui est le propriétaire et le gestionnaire des terres a subdivisé les terres forestières en deux domaines : les forêts de l’État constituant plus de 85 % du territoire national et les forêts rurales dont l’étendue n’est pas très nette. Cette figure montre également l’importance de l’exploitation forestière, à travers le territoire qu’elle occupe (60 %).

Pour Chevalier et al. (2009 : 5), les superficies agricoles n’occuperaient que 5 % du territoire national. Cette inégale répartition territoriale forestière est à l’origine de plusieurs conflits entre les différents acteurs. La population rurale estime que leur terroir est déjà restreint par les sociétés qui pratiquent les exploitations minière, forestière et pétrolière en plus des éléphants qui détruisent leurs champs.

2. Méthodologie

C’est à la fois sur les données qualitatives résultant des entretiens, de la documentation consultée, des observations sur le terrain, et sur les données quantitatives, grâce aux questionnaires effectués, que cette analyse s’est faite.

2.1. Les données qualitatives

La recherche documentaire a été utile pour obtenir les informations générales pour cette étude. De plus, pour analyser les interactions dans les territoires forestiers gabonais, occasionnant le conflit Homme-éléphants, trois périodes ont été choisies (2011, 2012 et 2022). Deux séjours ont été effectués dans la province de l’Ogooué-Ivindo dans le cadre du travail de terrain de la thèse de Sello Madoungou (2013). Le premier séjour en mai 2011 a permis de nous rendre dans les villages (Ayem, Kazamabika, Makoghé, Mikongo, Ebe, Messe, Melane, La Scierie, Nzé-Vatican) et dans la ville de La Lopé pour y observer les problèmes relatifs au phénomène à l’étude dans cette zone. Le deuxième séjour dans les mêmes localités de juillet à octobre 2012, a permis d’entreprendre une nouvelle observation de ces problèmes.

Cette province est marquée par une forte action de conservation, entraînant de facto plusieurs restrictions relatives à l’utilisation des ressources naturelles et des milieux forestiers. En conséquence, des entretiens semi-dirigés et dirigés avec les chefs de village, des regroupements de villages, les responsables d’associations, les conservateurs des parcs de La Lopé et de l’Ivindo, le responsable des Eaux et Forêts et les écoguides de la Lopé, ont permis d’avoir plus d’informations sur le conflit Homme-éléphants dans les villages. Aussi, des visites dans les champs ont également été faites et un appareil photo a parfois été utile pour montrer l’importance des faits observés. Le tableau 1 fait un récapitulatif des entretiens semi-dirigés faits, abordant les aspects agricoles, environnementaux et sociaux.

                           Tab.1 : Récapitulatif des entretiens effectués les zones de l’Ogooué-Ivindo

Source : données de terrain 2011, 2012

Cette même province est le reflet d’une politique d’aménagement du territoire, grâce au projet sur les forêts communautaires, comme l’une des solutions aux conflits résultant des interactions des acteurs (villageois, forestiers, gestionnaires des parcs) qui interviennent dans la gestion et l’exploitation de la forêt de cette province. Bien que les données de 2011 et 2012 semblent être anciennes, elles ont tout de même permis de constater l’ancienneté du conflit dans les villages proches des parcs nationaux et de voir que les éléphants menacent également les agriculteurs des autres localités considérées être loin des parcs. C’est ce qui a permis de choisir la province de l’Ogooué-Lolo, à travers les villages (Bikoula Sonadessi, Ngongui, Ndjolé village, Mbegho, Moukoumou, Kouagna, Mibaka) et la ville de Koulamoutou. En effet, leur éloignement d’avec certaines parties des parcs nationaux (Lopé, Ivindo et Monts Birougou), ne les épargne pas de subir eux aussi l’action dévastatrice des éléphants sur les cultures agricoles. Le séjour de mai 2022 a permis d’observer le conflit et ses conséquences ainsi que les solutions envisagées pour le résoudre. De même, des entretiens dirigés avec 5 agents du ministère des Eaux et Forêts (juin 2022) et un agent du ministère de l’Agriculture (novembre 2022) à Libreville, ont permis d’avoir un éclaircissement sur les solutions préconisées ou mises en œuvre pour résoudre le conflit Homme-éléphants.

Enfin, les Assises nationales tenues du 15 au 17 décembre 2021 à Libreville, ont constitué une source d’informations qui a permis de constater la généralisation du conflit à l’ensemble du pays. De même, grâce aux témoignages recueillis auprès des agriculteurs de plusieurs provinces, et aux exposés présentés par plusieurs acteurs (agents du ministère des Eaux et Forêts, agents de l’Agence nationale des parcs nationaux et d’autres services publics), une vision globale de ce conflit dans l’ensemble du pays a pu se faire. Les conséquences du conflit sur l’activité agricole, la vie des ruraux et des agriculteurs, ainsi que des solutions susceptibles d’aider à résoudre ce conflit, ont été évoquées. On peut également retenir qu’avant la mise en place de ces Assises, des consultations ont été faites dans les neuf provinces du Gabon (tabl. 2).

Tabl. 2 : Participation des agriculteurs aux consultations provinciales en 2021

Source : Les Assises nationales, 2021

Le tableau 2 montre la forte mobilisation des agriculteurs des provinces qui se plaignent des pachydermes. Au total, 2 439 agriculteurs ont été mobilisés lors de ces consultations. Les provinces de de l’Ogooué-Maritime (373 participants), de l’Ogooué-Lolo (345 participants) et de l’Ogooué-Ivindo (325 participants) figurent parmi les lieux où il y a eu plus de mobilisation comme en témoigne le tableau 2 ci-dessus.

2.2. Les données quantitatives

Elles proviennent des questionnaires effectués en 2011 dans la province de l’Ogooué-Ivindo et en 2022 dans la province de l’Ogooué-Lolo. Ces questionnaires bien que n’étant pas identiques ont la particularité d’apporter des informations sur les aspects agro-socio-économiques et environnementaux. En 2011, 144 chefs de familles ont répondu à notre questionnaire. C’est un échantillon choisi sur la base des chefs de familles qui acceptaient de participer à cet exercice. Les questions étaient groupées en quatre catégories : des questions sur le chef de famille (âge, sexe, profession, lieu d’habitation, nombre d’enfants) constituaient la première catégorie. Celles sur les enfants des chefs de familles (âge, sexe, profession, lieu d’habitation) formaient la deuxième catégorie. Les considérations en rapport avec l’activité agricole (superficie des champs, nombre de champs, revenu agricole mensuel, lieu de cultures, nombre d’agriculteurs par famille) constituaient la troisième catégorie. Les interrogations en rapport avec la conservation (conflit Homme-faune, rapports entre les acteurs, avis sur la conservation) et les forêts communautaires, formaient la dernière catégorie.

Des investigations ont été également effectuées en 2022 dans la province de l’Ogooué-Lolo, auprès des chefs de familles, choisis de façon aléatoire quand ils donnaient leurs accords pour répondre à nos questions. Ainsi 30 chefs de familles ont répondu aux sollicitations en rapport avec l’activité agricole (lieu de culture, expérience, nombre de champs, superficie, production agricole), les difficultés rencontrées (dévastation des cultures), les indemnisations et leurs conditions de vie (nombre de personnes à charge). Trois chefs de familles par village pour observer et analyser le phénomène étudié ont été interrogés. Pour traiter l’ensemble des données obtenues, nous les avons regroupés par catégorie avant d’élaborer des figures sur Excel, puis des tableaux sur Word.

 3. Résultats

L’analyse du conflit Homme-éléphants à travers la méthodologie utilisée a permis d’aboutir à trois solutions expérimentées, que nous exposons en deux points. Il s’agit des solutions autres que celles des agriculteurs, pour résoudre le conflit.

3.1. L’action des ONG internationales, nationales, les pouvoirs publics et les entreprises privées dans la résolution du conflit Homme-éléphants

Les ONG environnementales internationales telles que le WWF, le WCS sont beaucoup intervenues dans la mise en place des politiques environnementales gabonaises (Arnauld de Sartre et al. 2014 : 143). Leur apport dans la concrétisation des actions environnementales au Gabon est important. Partant des campagnes de sensibilisation auprès de la population, aux séjours dans la forêt pour délimiter ou inventorier, s’appuyant sur les autorités et services publics locaux, ces ONG contribuent à matérialiser l’avancée des actions de conservation des forêts au Gabon. C’est pour cette raison qu’elles se sentent aussi concernées par la recherche des solutions au conflit.

En effet, l’ONG nationale Brainforest, dont les actions sont aussi concrètes dans le domaine environnemental, a eu l’appui d’une ONG internationale WildAid, qui protège et sauvegarde la faune et le Cabinet TED, pour faire le test d’un répulsif, dans le but d’aider les agriculteurs à lutter contre le ravage des cultures par les éléphants, devenu très répétitif. C’est à Remboué, zone agricole fortement menacée par les éléphants, située dans la province de l’Estuaire, que ce test a été initié en mai 2021. C’est un répulsif organique, qui n’a aucun effet néfaste sur l’environnement. S’appuyant sur l’exemple de l’Ouganda où ce répulsif a été inventé par une communauté villageoise, et efficacement testé, puis développé par WildAid, ces ONG comptent apporter une solution au conflit Homme-éléphants au Gabon, et trouver également un équilibre entre la protection de la faune et la survie de la population.

Après un repérage du mouvement des pachydermes, de leurs couloirs d’entrées et de passages, le répulsif a été pulvérisé autour des champs et sur les cultures. Ce qui a permis aux éléphants de s’éloigner pendant un moment. Or, les agriculteurs avaient abandonné leurs habitations, ainsi que leurs champs à cause des dégâts des éléphants. Les agriculteurs de Remboué ont vu en ce répulsif un moyen de reprendre leur activité et leur mode de vie d’antan. Si les résultats de l’expérimentation de ce répulsif sont probants, il pourrait être testé sur l’ensemble du territoire.

De même, quelques entreprises privées se sentent elles également interpellées par les questions environnementales, pour le bien-être de tous. Assala, une entreprise pétrolière, a donc décidé d’apporter son aide à la résolution du conflit Homme-éléphants par la création des clôtures électriques dans plusieurs régions du Gabon. Elle a prévu contribuer à la construction de ces clôtures à hauteur d’environ 750 millions de FCFA. En somme, 18 clôtures ont déjà été réalisées dans différentes régions. En 2021, la compagnie pétrolière Assala a favorisé la construction de 5 clôtures électriques :

– 3 clôtures mobiles dans les provinces de l’Ogooué-Maritime, l’Ogooué-Ivindo et la Nyanga, représentant 570 ha sécurisés ;

– 1 clôture mobile à Andock-Foula dans la province de l’Estuaire, permettant à 86 familles d’agriculteurs de cultiver sereinement ;

– 1 clôture fixe à Ghietu-y-Batou dans la province de l’Ogooué-Maritime, permettant à 41 familles d’agriculteurs de mieux cultiver.

En 2022, Assala a fait construire 13 clôtures électriques mobiles dans la province de l’Ogooué-Maritime. Deux types de clôtures électriques sont donc en expérimentation, celles qui sont fixes et celles qui sont mobiles. Le principe des clôtures fixes, est de permettre aux agriculteurs d’arrêter de pratiquer l’agriculture itinérante sur brûlis, qui les obligeait à se déplacer chaque année à la recherche de nouveaux territoires pour leurs cultures. À cet effet, Smithsonian National Zoo and Conservation Biology Institute du Gabon, à travers son expertise, aidera les agriculteurs pendant 3 ans à pratiquer une agriculture durable. Ainsi, les agriculteurs ont suivi une formation pour produire du compost, dans le but de fertiliser le sol. Ils organiseront leurs parcelles suivant un aménagement triennal qui leur permettra de faire des rotations de cultures.

Selon l’État et les ONG, les clôtures électriques comportent des avantages. D’après les Assises nationales (2021), 15 clôtures fonctionnaient et avaient permis à environ 1 100 personnes de bénéficier de leurs retombées. Elles permettent donc de :

  • sédentariser au minimum 20 à 25 familles dans une clôture ;
  • sédentariser les agriculteurs qui abandonneront progressivement la culture sur brûlis ;
  • encourager les activités agricoles à travers des coopératives ;
  • augmenter les récoltes en favorisant la sécurité alimentaire et la croissance alimentaire.

Par ailleurs, l’expérience d’Assala sur la construction des clôtures n’est pas la première. En 2016, avec l’aide de l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN), le ministère des Eaux et Forêts a lancé la construction des premières clôtures s’étalant chacune sur 5 kilomètres dans la zone de La Lopé (province de l’Ogooué-Ivindo). Ce ministère est toujours en quête de solutions pérennes pour résoudre le conflit Homme-éléphants. Ainsi, en mai 2022, il a signé un accord avec l’ONG Space for Giants et avec les ministères des Affaires Étrangères, de la Coopération Internationale et de la Francophonie, dans le but d’accompagner techniquement les populations rurales et de les former dans la gestion des clôtures électriques. Ces dernières sont faites à partir des fils métalliques alimentés à travers une électrification photovoltaïque.

3.2. Une indemnisation tardive, jugée parfois insuffisante par les victimes, qui pourrait favoriser l’exode rural

Le principe de compensation grâce à l’indemnisation est un moyen permettant aux agriculteurs d’être apaisés des préjudices causés par les pachydermes sur leurs cultures. Elle s’appuie sur le Décret n°1016/PR/MAEPDR du 24 août 2011 fixant le barème d’indemnisation à verser en cas de destruction volontaire de cultures, de bétail, de bâtiments d’élevage, d’étangs piscicoles ou de ressources halieutiques. Ce décret comportant 9 articles énonce le processus, le cadre et la réglementation tarifaire concernant les indemnisations relatives à la destruction de l’activité agricole. Dans la forêt rurale gabonaise, les cultures vivrières ont la primauté sur l’agriculture qui y est pratiquée. On observe très peu d’élevage et de pisciculture. Le tableau 3 montre le dispositif demandé pour mettre en place une indemnisation agricole.

Tabl. 3 : Les membres du comité d’indemnisation

Source : Journal officiel 2011 : 461

C’est l’Article 4 de ce Décret qui renseigne sur les personnes habilitées à siéger lors d’une commission d’évaluation d’indemnisations agricoles. Le tableau 4 détaille la grille tarifaire selon le type de culture et selon la quantité détruite.

Tab. 4 : Grille tarifaire des indemnisations des cultures agricoles

Source : Journal officiel 2011 : 464-465

Il s’agit des « indemnisations dues par les organismes protecteurs de la nature et gestionnaires des parcs naturels et par les propriétaires d’animaux domestiques en raison des destructions causées par les animaux protégés et ceux dont ils ont la charge », tel était le titre du tableau dans lequel les informations figurant dans le tableau 3 ont été prises. N’ont été représentés dans ce tableau que les cultures généralement observées dans les champs en polyculture ou en monoculture.

En polyculture, les agriculteurs en dehors des cultures vivrières peuvent aussi planter papaye, ananas, corossolier ou carambolier. Les cultures en plantation n’ont pas les mêmes prix que celles qui sont isolées quand elles sont indemnisées. De même la durée en terre de la culture est aussi importante pour orienter le prix d’indemnisation à considérer. Dans la nouvelle procédure, lorsqu’un cultivateur constate que ses cultures ont été pillées par les pachydermes, il se rend au service provincial des Eaux et Forêts qui lui demande d’écrire une plainte appuyée par le chef de village, avec des images comme preuves. Selon les cas, un agent de ce service et un autre du service provincial de l’agriculture peuvent se rendre dans un champ pour faire le constat. Enfin, dès que la plainte est déposée, elle est transmise à la hiérarchie supérieure, c’est-à-dire au ministère des Eaux et Forêts à Libreville pour étude vers une indemnisation des agriculteurs. Cette dernière se fait selon la disponibilité des fonds alloués et non selon une période spécifique.

Pour les agriculteurs enquêtés, le protocole aboutissant à l’indemnisation est long et ils ne maîtrisent pas toujours toutes les étapes et outils de preuves pour se faire indemniser. Il arrive que des agriculteurs dont les cultures ont été pillées ne déposent pas de plaintes parce qu’ils trouvent trop fastidieuse la procédure. De plus, lorsque l’agriculteur qui doit être indemnisé parvient à suivre la démarche du protocole, il n’a aucune idée de quand il le sera. Enfin, lors des Assises nationales, 2 milliards de francs CFA avaient été annoncés pour le dédommagement des agriculteurs. Mais jusqu’en mai 2022 lors de nos enquêtes sur le terrain, aucune indemnisation n’avait encore été effective dans la province de l’Ogooué-Lolo. Cependant, 19 agriculteurs (soit 63,33 %) sur les 30 interrogés disent avoir reçu en moyenne 500 000 francs CFA, lors des précédentes indemnisations. Selon ces derniers, cela n’est pas à la hauteur de leurs cultures endommagées. Le tableau 5 montre les montants d’indemnisations que l’État devrait verser à 11 villages de l’Ogooué-Ivindo suite à la dévastation de leurs cultures, d’après une étude de Mbamy (2020).

Tabl. 5 : Évaluation financière des pertes par village au deuxième trimestre 2018

`Source : Données du Ministère des Eaux et Forêt / DGFAP, 2019. Réalisation : Mbamy 2020 : 33

Rien que pour ces 11 villages, le coût total d’indemnisation s’élève à 259 649 400 francs CFA. Si on tient compte de l’ensemble des villages de la province touchés par le conflit Homme-éléphants, l’État devra mobiliser un budget conséquent pour les indemnisations des agriculteurs. À l’épreuve des faits, l’État devrait indemniser une somme de 114 937 200 francs CFA aux agriculteurs de Kombani dont les cultures ont été dévastées. Mais, le plus souvent plusieurs agriculteurs se plaignent de n’être pas indemnisés comme il se doit.

Par ailleurs, le flou qui existe sur les indemnisations peut avoir un impact négatif sur l’agriculture et sur l’avenir des villages. En ce sens que l’activité qui maintient les ruraux dans les villages est menacée par les éléphants. Les 73 chefs de familles interrogés en 2011 dans les 9 villages de l’Ogooué-Ivindo, sont tous des agriculteurs, âgés de 17 à plus de 70 ans. C’est un exemple qui montre la primauté du travail de la terre en milieu rural. En l’absence d’un appui financier venant de leurs enfants installés en ville, c’est l’agriculture qui les fait vivre. Les perturbations que connaîtrait leur activité auraient de facto des répercussions sur leurs conditions de vie. De même, les 30 chefs de familles interrogés en 2022 sont tous agriculteurs, même si les 9 habitant à la ville de Koulamoutou, ont une double activité (commerçant, ménagère, enseignant, infirmier). Le tableau 6 permet de faire un résumé des informations recueillies auprès de ces chefs de familles.

  Tabl. 6 : Informations sur les enquêtés de 2022

Source : données de terrain 2022

L’âge moyen des chefs de familles interrogés en 2022 était de 51 ans, avec 3 champs en moyenne et 6 personnes en moyenne dont ils ont la charge de s’en occuper. 70 % des chefs de familles étant essentiellement agriculteurs, considèrent le conflit Homme-éléphants comme étant la source de leur principal malheur. Depuis quelques temps affirment-ils, ils ne consomment plus « normalement » leurs productions agricoles.

Par ailleurs, d’après le RGPH de 1993, 27 % de la population gabonaise vivait en milieu rural, contre 73 % en milieu urbain. Cet écart n’a fait que se creuser entre ces deux milieux, puisqu’en 2013, la population rurale était de 14 %. D’après la Banque mondiale[1], à travers les perspectives des Nations Unies de l’urbanisation de la population mondiale, la population rurale gabonaise serait estimée en 2021 à 10 %. La population rurale décline donc au fil du temps, et le conflit Homme-éléphants peut être une nouvelle cause du départ des populations villageoises vers les milieux urbains. La figure 3 permet d’observer la pyramide des âges des populations enquêtées en 2011, dans la province de l’Ogooué-Ivindo.

Fig. 3 : Pyramide des habitants de la zone d’étude en 2011 (villages et La Lopé)

Source : données de terrain 2011

La Lopé est une ville rurale, qui n’a que quelques services (école, dispensaire, sous-préfecture), mais qui a tout d’un village. C’est la raison pour laquelle cette pyramide a été faite en intégrant la population de La Lopé. Il se trouve qu’au regard de cette pyramide, à partir de 20 jusqu’à 40 ans, on observe un vide démographique. Les personnes ayant cette tranche d’âge quittent les villages pour aller chercher à améliorer leurs conditions de vie ailleurs, notamment dans les villes. Il s’agit particulièrement des enfants des enquêtés. Or, les villages ont besoin de ces ruraux (enfants), constituant la main-d’œuvre valide pour l’activité agricole.

Les villages étant presque dépourvus de tout, sombrent dans une pauvreté qui s’accentue continuellement. Les voies de communication sont en très mauvais état et n’occasionnent pas toujours les ventes agricoles, absence de dispensaire ayant du matériel médical, absence de loisirs et d’activités non agricoles. La seule activité qui maintient encore la présence des ruraux après 40 ans est l’agriculture. C’est avec cette activité qu’ils parviennent également à prendre en charge leurs enfants, parents ou neveux. Cette même agriculture est menacée par les éléphants. Cette situation décourage fortement 40 % des agriculteurs enquêtés, qui ont déclaré qu’ils abandonneront leurs villages si rien n’est fait. Selon les Assises nationales de décembre 2021, environ 12 000 plaintes ont été déposées par les agriculteurs auprès des agents des Eaux et Forêts.

Déjà en 2011 et en 2012, lors de nos enquêtes de terrain, les villageois montraient clairement à quel point les éléphants étaient mieux considérés qu’eux par les autorités. Ils les empêchent de vivre de leur activité. En 2022, 80 % des agriculteurs se demandaient pourquoi ils cultivent encore, puisqu’ils ne savent même pas s’ils mangeront ce qu’ils plantent. Les indemnisations pourront donc les aider à couvrir certains de leurs besoins.

4. Discussion

L’État tout comme les ONG essaient d’apporter des solutions au conflit Homme-éléphants (ministère des Eaux et Forêts 2010 : 4 ; Les Assises nationales 2021). En effet, la construction des clôtures électriques mobiles comme fixes souvent brandie comme une solution phare, l’expérimentation du répulsif organique et l’indemnisation font partie des solutions qui sont actuellement expérimentées pour résoudre ce conflit. Malheureusement, les choses sont loin de s’arranger. Ce sont des solutions pour l’heure qu’on qualifierait d’insuffisantes voire inadaptées au contexte local gabonais.

L’initiative des clôtures électriques repose sur l’expérience kenyane. Or, le Kenya est un pays d’Afrique de l’Est fait de savanes à la différence du Gabon qui est un pays forestier. Les éléphants rencontrés dans ces deux pays, bien qu’étant appelés “éléphants d’Afriqueˮ[2], sont également différents : l’éléphant de savane pour le Kenya et l’éléphant de forêt pour le Gabon. Ainsi, les deux éléphants étant de nature différente, la méthode pour combattre leurs actions doit également l’être. Lors des exposés présentés pendant les Assises nationales (2021), il avait été montré que le comportement de l’éléphant forestier du Gabon a changé, sans faire d’enquête pour confirmer cette assertion et connaître les causes réelles de ce changement. Il semblerait qu’il aurait évolué. Il s’est en effet adapté aux différentes actions de protection, de telle sorte que certains villageois et agriculteurs découragés malgré leurs différentes initiatives (techniques locales et novatrices), décident parfois d’abandonner leurs cultures, leurs campements, voire leurs habitations[3]. D’autres décident de diminuer leurs superficies culturales ou le nombre de champs (Mbamy 2020 : 83).

Il est vrai que les clôtures électriques présentent des avantages, comme permettre aux agriculteurs de se regrouper en coopératives. Mais les expériences passées montrent que certains projets ont échoué dans le monde rural gabonais parce que les ruraux ont du mal à travailler ensemble (Sello Madoungou 2017 : 206). L’un des handicaps des coopératives est la mauvaise transmission de la culture coopérative par les formateurs que sont les agents étatiques, car n’ayant pas eux-mêmes aussi été bien formés à cela. Ils mettent beaucoup plus l’accent sur la formation technique que sur l’éducation coopérative (Makouatsa Boupo 2019 : 18-20). Or, la réussite des clôtures électriques repose aussi sur la capacité des agriculteurs à cultiver ensemble pour une longue période. On passerait donc d’une agriculture isolée à une agriculture collective. C’est un défi important à relever. De plus, la mise en place de ces clôtures peut ne pas donner les mêmes résultats qu’au Kenya, puisque les éléphants sont de nature différente et, pourraient donc réagir également différemment[4].

Par ailleurs, la construction des clôtures électriques est une expérience qui avait été déjà faite dans la zone de La Lopé en 2016 et qui n’a pas eu des résultats escomptés dans le temps. C’est pour cette raison que les agriculteurs ont continué à se plaindre des éléphants. Il est vrai que chaque fois qu’une nouvelle technique de protection est expérimentée, il y a des résultats momentanés, c’est-à-dire que les éléphants désertent les lieux, mais ce n’est que pour un temps donné, puis ils y reviennent. C’est donc la durabilité de ces techniques qui pose problème.

Ensuite, le répulsif organique expérimenté par l’ONG Brainforest et l’ONG internationale WildAid en mai 2021, n’a eu lui aussi que des résultats éphémères parce que quelques jours après la pulvérisation du répulsif, il a plu abondamment. Cela l’a rendu inefficace, ce qui a fait que les éléphants sont revenus dans les champs après y avoir déserté quelques jours[5]. Or c’est pendant la saison pluvieuse qui correspond à la période de planting des cultures, à leur germination et à leur récolte, que les champs sont plus dévastés (Cornélis et al. 2022 : 155 ; Mbamy 2020 : 82). Au Gabon le climat est humide et sa pluviométrie varie de 1 500 mm/an à 3 300 mm/an selon les localités (Ministère de l’agriculture – FAO 1996 : 5), contrairement à l’Ouganda où l’expérience du répulsif a eu un grand succès. Sa pluviométrie varie entre 1 000 et 1 500 mm[6], loin devant celle du Gabon. Cela peut amener à comprendre que l’efficacité du répulsif peut résulter du fait qu’en Ouganda, il pleut moins souvent qu’au Gabon. À moins que ce répulsif ne soit souvent pulvérisé que pendant la saison sèche où il ne pleut presque pas. Ainsi, les solutions importées, singulièrement les clôtures électriques et le répulsif connaissent des limites en matière de résolution du conflit Homme-éléphants, en raison des paramètres environnementaux et climatiques spécifiques.

De plus, dans les pays d’Afrique subsaharienne en général, les indemnisations sont peu fiables comme l’atteste Lamarque et al. (2010 : 45-46) en ces termes :

« l’échec de la plupart des systèmes de dédommagement est attribué à l’incompétence bureaucratique, à la corruption, aux fraudes en tous genres et notamment aux plaintes falsifiées, au temps et au coût nécessaires, aux aléas moraux et aux obstacles pratiques que doivent franchir des paysans souvent illettrés pour déposer leur plainte ».

Au Gabon aussi, les indemnisations ne sont pas fiables. Comme pour les autres pays d’Afrique, « cela conduit souvent à des retards de prise de décisions, au paiement de dédommagements sous-évalués, irréguliers ou inappropriés, ou au rejet des demandes de compensation » (Lamarque et al. 2010 : 47). Toutefois, bien que tardive et jugée parfois partiale par les agriculteurs, elles seraient une solution ponctuelle, mais peut-être efficace pour encourager les ruraux à rester dans leurs villages, en attendant que des solutions pérennes soient trouvées. En effet, l’exode rural souvent observé dans les villages peut être soit conjoncturel soit structurel (Sello Madoungou 2017 : 231). Souvent l’exode est conjoncturel, car les jeunes âgés de 20 à 40 ans, comme sur la pyramide des âges (fig. 3), quittent les villages à la recherche de l’emploi pour améliorer leurs conditions de vie. Or cette tranche d’âges constitue les bras valides, une main-d’œuvre précieuse pour l’agriculture (FAO 2018 : 12). Les jeunes sont en général très précieux pour l’agriculture villageoise, ce sont eux qui aident leurs parents dans les champs. C’est une agriculture familiale qui est pratiquée. Elle peut être « la base d’un système économique viable inspirant un modèle de société rurale » (Devèze 2004 : 169).

L’agriculture étant la base de l’économie rurale (FAO 2018 : 4), quand elle est déstabilisée, la société rurale l’est aussi. L’analyse de Mbamy (2020) a montré que si les indemnisations étaient réellement faites suivant la tarification faite dans le Décret n°1016, l’État débourserait de fortes sommes telles que mentionnées dans le tableau 5. Mékui (2009 : 12) corrobore cette idée à travers son analyse sur trois villages de l’Ogooué-Ivindo (Koumameyong, Mbess et Minton), situés aux périphéries des parcs de l’Ivindo et de Minkébé. Elle a montré que les éléphants étant friands de la banane plantain et du manioc, aliments de base des villageois, menacent les revenus agricoles, et occasionneraient un manque à gagner de 37 425 5000 Francs CFA. Ce serait également une menace sur la sécurité alimentaire villageoise (Mbamy 2020 : 37). Ceci n’est pas négligeable pour un pays qui rencontre d’énormes problèmes économiques (Gambotti 2014 : 163-164). En conséquence, les systèmes d’indemnités ne présentent que quelques avantages ponctuels. Des solutions plus efficaces et pérennes sont à trouver. La révision tant attendue de ce Décret (Les Assises nationales 2021) permettrait de corriger les carences et limites observées dans les stratégies d’indemnisations agricoles.

Conclusion

Cette analyse du conflit Homme-éléphants a présenté trois solutions impliquant les ONG nationales, internationales, les entreprises pétrolières et l’État pour faire face à la persistance du conflit. Toutes les techniques d’atténuation du conflit sont en expérimentation. Le répulsif organique piloté par Brainforest et WildAid a été expérimenté à Remboué. Quant aux clôtures électriques financées par Assala, elles ont été expérimentées dans les provinces de l’Ogooué-Ivindo, l’Ogooué-Maritime, la Nyanga et l’Estuaire. L’ONG Space for Giants a formulé elle aussi le souhait d’accompagner techniquement les agriculteurs pour gérer leurs clôtures. De même, l’indemnisation aux agriculteurs apparaît comme une solution ponctuelle pour limiter l’antipathie des agriculteurs à l’endroit des éléphants, et pour les encourager à rester dans les villages pour y cultiver.

Cependant, ces solutions présentent des limites. En effet, les expériences du répulsif organique et des clôtures électriques semblent inadaptées au contexte villageois gabonais. Leurs applications devraient tenir compte de la pluviométrie, de la nature de l’animal, du contexte sociologique villageois. De même, le flou existant dans les systèmes d’indemnités décourage les agriculteurs parce qu’ils les trouvent insuffisants. Par conséquent, cette inefficacité des solutions actuelles au conflit Homme-éléphants peut avoir des répercussions négatives sur la survie de l’agriculture et des villages gabonais. Elle peut également avoir des effets négatifs sur les politiques environnementales qui seront, à la longue, mal appréciées des villageois et même des urbains, parce que leurs conditions de vie sont menacées et précarisées par les éléphants. En conséquence, on pourra observer d’un côté un fort exode rural qui mettrait davantage en péril le développement rural tant espéré. Et de l’autre, un fort braconnage des éléphants, qui serait une forme de justice sociale pour limiter leur prolifération et leurs dégâts, en attendant les battues administratives qu’organiserait l’État. Pour l’heure, les agriculteurs et les villageois ont peur de tuer eux-mêmes un éléphant par risque de représailles, sauf en cas de légitime défense. Il faudrait certainement perfectionner les solutions traditionnelles contre les attaques des éléphants : clôtures à sangle, barrières à clochette, cartouches à piment, grand bruit, feu, coup de feu, surveillance, car les clôtures électriques et l’emploi des répulsifs ont montré leurs limites au fil du temps.

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Auteurs

Leticia Nathalie SELLO MADOUNGOU (Épouse NZÉ)
Assistante – Département de Géographie
Centre d’Études et de Recherches en Géosciences Politiques et Prospective (CERGEP)
Université Omar Bongo (Libreville – Gabon)
Courriel : leticiasello@gmail.com

© Édition électronique

URL – Revue Espaces Africains  : https://espacesafricains.org/
Courriel – Revue Espaces Africains : revue@espacesafricains.org
ISSN : 2957-9279
Courriel – Groupe de recherche PoSTer : poster_ujlog@espaces.africians.org
URL – Groupe PoSTer  : https://espacesafricains.org/poster/

© Éditeur

– Groupe de recherche Populations, Sociétés et Territoires (PoSTer) de l’UJLoG
– Université Jean Lorougnon Guédé (UJLoG) – Daloa (Côte d’Ivoire)

© Référence électronique

Leticia Nathalie SELLO MADOUNGOU (Épouse NZÉ), « Analyse des mesure des résolution du conflit Homme-éléphants au Gabon : entre solutions insuffisantes et inadaptées ? », Revue Espaces Africains (En ligne), 2 | 2022 (Varia), Vol. 1, ISSN : 2957- 9279, mis en ligne, le 30 décembre 2022.

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  3. https://www.brainforest-gabon.org/medias/?id=51
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  6. sitehttps://www.hyposo.eu/fr/informations-sectorielles/untitled-l-ouganda/
 
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