Espaces Africains

Revue Espaces Africains - Groupe de recherche pluridisciplinaire et international « Populations, Sociétés & Territoires » (PoSTer)

 


Impacts ressentis de la variabilité climatique et stratégies d’adaptation des paysans de la localité de Brizéboua (Centre-ouest ivoirien) 

Resented impacts of climate variability and adaptation strategies for farmers in the locality of Brizeboua (ivoirian Centre-west) 

Aka Giscard ADOU – Kouadio Christophe N’DA – Gbawli Nixon KOUASSI

Résumé

La variabilité climatique, accélérée par les changements environnementaux globaux, constitue un défi majeur pour les paysans et leurs activités. Cette étude menée en Côte d’Ivoire et précisément dans le village de Brizéboua a pour objectif de montrer les impacts ressentis de la variabilité climatique et les stratégies d’adaptation développées par les paysans de Brizéboua.La méthodologie est basée essentiellement sur une enquête socioéconomique portant sur 125 acteurs ruraux ayant ressenti les effets de la variabilité climatique. Les résultats montrent que la variabilité climatique est fortement ressentie par les paysans (98%) dans la perturbation du calendrier agricole. Les stratégies d’adaptation se déclinent en deux options. Au niveau des cultures maraîchères, les mesures prises sont : l’irrigation des cultures, l’augmentation du nombre de semis et le choix des cultures à cycle court. Le nettoyage avant semis, le recours aux variétés plus résistantes à la chaleur, l’entretien de manière périodique des champs, l’augmentation de la taille des parcelles de semences, le dépôt d’herbes sur les semences, la fertilisation des sols à partir d’engrais constituent les options prioritaires pour les cultures pluviales. Toutefois, ces efforts d’adaptation ne produisent que 40 à 50% de résultats attendus par les paysans.

Mots-clés : Brizéboua, Centre-ouest, Variabilité climatique, Impacts, Ressentis, Stratégie d’adaptation

Abstract

Climate variability, accelerated by global environmental changes, is a major challenge for farmers and their businesses. This study, carried out in Côte d’Ivoire and specifically in the village of Brizéboua, aims to show the impacts felt from climate variability and the adaptation strategies developed by the farmers of Brizéboua. The methodology is based primarily on a socio-economic survey of 125 rural actors who have experienced the effects of climate variability. The results show that climate variability is strongly felt by farmers (98%) in the disruption of the agricultural calendar. Coping strategies can be divided into two options. At the level of vegetable crops, measures are taken: crop irrigation, increasing the number of seedlings and the choice of short-cycle crops. Pre-sowing cleaning, the use of heat-resistant varieties, periodic field maintenance, increasing the size of seed plots, planting grass on seeds, fertilizing soils with fertilizers are priority options for rain-fed crops. However, these adaptation efforts produce only 40-50% of the results expected by farmers.

Keywords: Brizeboua, Center-West, Climate variability, Impacts, Feelings, Adaptation strategy

Introduction

Probablement, la période allant de 1981 à 2020 a été la plus chaude de la terre depuis 1850. « La terre a connu un réchauffement estimé à environ 0,85°C » (Djê 2014 : 22). « En Côte d’Ivoire, des impacts nombreux et divers sur la variabilité climatique ont été observés au travers des sécheresses récurrentes, des pluies irrégulières, un décalage saisonnier et des inondations » (PNUD, 2009, cité par Kouamé et al., 2019 : 21).

Des études récentes (Dagnogo 2019 ; Kouassi 2021 ; Adou et al., 2022) indiquent une variation importante de la pluviométrie à la station de Daloa entre 1981 à 2017. Selon ces auteurs, la tendance des hauteurs de pluies est à la hausse avant l’an 2000 où 65% des années sont sèches contre 35% après cette même année. « Il est important de préciser que cette période à connotation humide est instable car, les analyses montrent également que les saisons pluvieuses sont mal réparties durant l’année culturale » (Kouassi 2021 : 32). La longueur de la grande saison pluvieuse (avril à juillet) de chaque année tend à régresser. Cette réduction à une conséquence énorme sur la production des paysans. « Sur la même période 1981-2017, la température croit rapidement et de manière constante. Sur la période antérieure à 2000, il est observé des déficits thermiques par rapport à la moyenne de 25°C. Les années 2000 et 2010 affichent des températures excédentaires » (Kouassi 2021 : 36). Comme dans le reste du monde, cette croissance exponentielle a entraîné des conséquences sur les productions (Djê 2014 : 23).

« Ces différents impacts ont accentué le niveau de vulnérabilité des populations et des ressources dont elles dépendent » (Noufé 2013, cité par Kouamé et al., 2019 : 2). Ainsi, la nécessité de mesures d’adaptation aux impacts de la variabilité climatique est une priorité pour toutes les régions du pays. L’urgence d’agir dans le milieu rural vient du fait que les variabilités climatiques ont un impact direct sur la production agricole. En effet, « les populations rurales dépendent à plus de 80% de l’agriculture. Pourtant, les systèmes agricoles dépendent encore et pour plus de 70% des cas de la nature du climat » (Boko et al., 2007 : 6 ; Mertz et al., 2009 : 3). Pour résoudre ce problème d’étude, le village de Brizéboua est choisi comme localité-test.

Dans le Centre-ouest de la Côte d’Ivoire, cette dépendance, en contexte de variabilité importante du climat, rend les producteurs agricoles vulnérables sur le plan de la sécurité alimentaire (Amani 2013 : 1). Dans une telle circonstance, les paysans tentent de développer des mesures d’adaptation pour éviter les pires effets de la variabilité climatique sur leur production. En effet, « le Centre-ouest du pays a subi, depuis les années 1970, une régression des hauteurs de pluie et une augmentation continue de la température » (NEPAD–PDDAA 2005 : 10). « Cette récession pluviométrique s’accompagne d’une modification des saisons climatiques » (N’Da 2016 : 35.).

Le village de Brizéboua de l’ethnie Bété est situé dans le Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire, à 11,5 km de la ville de Daloa (fig. 1)

Fig. 1 : Carte de localisation de Brizéboua

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Ce village est créé dans les années 1970. Les Bété autochtones cohabitent en harmonie avec les allogènes (Burkinabé, Malien) et allochtones (Baoulé, Malinké, Gouro, Niamboua). Leur activité principale est l’agriculture. Les paysans cultivent le cacao, le café, l’hévéa, l’anacarde, la banane, l’igname, le manioc et les légumes.

Les populations qui exercent dans le secteur agricole n’ont d’autres choix que de développer de nouvelles stratégies pour garantir leurs sécurités alimentaires.

Partant de ces constats, la question à laquelle cette étude tente de répondre est : Quelles sont les stratégies d’adaptation développées par les populations de la région du Centre-ouest de la Côte d’Ivoire face à la variabilité climatique ? Pour répondre à cette préoccupation, le village de Brizéboua est choisi comme localité-test. L’objectif visé est de décrire les stratégies développées par les populations de Brizéboua face aux impacts ressentis de la variabilité climatique.

1. Données et méthodes

Les analyses dans cette étude s’appuient sur deux séries de données : des données météorologiques et des données socioéconomiques issues d’enquêtes auprès des producteurs. Ces différentes données ont été traitées statistiquement sous Excel et Kronostat.

1.1. Données de l’étude

1.1.1. Informations documentaires sur les l’évolution climatique

Des études antérieures basées sur des traitements des données pluviométriques et de températures aux pas de temps journalier, mensuel et annuel ont été comparées aux connaissances locales. Ces données climatiques proviennent de la Direction de la Météorologie Nationale (DMN) et porte sur la station de Daloa. Elles sont valables pour la localité choisie pour l’étude (Brizéboua) qui ne dispose pas de poste d’enregistrement de données climatiques et qui est située à 11,5 km. En effet, « il est conseillé de se servir des données synoptiques pertinentes sur un rayon de 150 km » (OMM 2011 : 18 ; Adou et al., 2020 : 14).

1.1.2. Données socioéconomiques

Les données socioéconomiques ont été obtenues grâce à un questionnaire adressé aux ménages du village étudié sur la base d’un échantillonnage à choix raisonné. Ainsi, les populations enquêtées ont été sélectionnées selon les critères liés à l’activité et l’âge. Dans la pratique, ont été interrogées les personnes qui respectent les conditions suivantes :

– Pratiquer des activités agricoles de type pluvial ou maraicher ;

– Être âgée d’au moins 45 ans pour être en mesure de se prononcer sur le climat du passé (30 ans selon l’OMM) et sur la perception du changement en cours ;

– Avoir au moins 15 ou 20 ans d’expérience en termes d’exploitation agricole.

Ces critères, surtout celui lié à la perception du changement climatique a permis d’identifier un échantillon de 125 chefs de ménage dont 70% d’hommes et 30% de femmes. 100 (soit 80%) de ces paysans enquêtés pratiquent les cultures pluviales dont 40% de producteurs de cultures pérennes et 40% de cultivateurs de vivriers. Les 20% d’enquêtés restant sont actifs au niveau des cultures maraichères. Les informations recherchées portent essentiellement sur la perception paysanne des variations climatiques, les risques climatiques (pluie intense, insolation, hausse des températures, pluie tardive), les conséquences sur leurs activités et les stratégies d’adaptation mises en place face à la variation climatique.

1.2. Méthodes de traitement des données socioéconomiques

Les données recueillies sur le terrain ont été dépouillées et traitées statistiquement sous Excel. L’analyse de la base de données a été faite suivant les approches qualitatives et quantitatives. Les traitements statistiques ont mis en évidence la dynamique climatique telle que perçue par les producteurs agricoles (i), le niveau d’adoption de stratégies locales au niveau des systèmes de cultures et de la saison végétative (saison humide) (ii) et les difficultés liées aux stratégies d’adaptation des systèmes de cultures, ainsi que les capacités d’adaptation des producteurs (iii).

1.2.1. Mise en éévidence des perceptions paysannes de la variabilité climatique

Les traitements se sont appuyés essentiellement sur les avis des paysans sur le changement du climat en général. Les indicateurs de perception du changement climatique ont porté sur la modification du climat, sur les périodes de début des pluies et sur l’évolution des périodes de semis. Cette étude a également considéré le ressenti des impacts de l’irrégularité des pluies et températures sur les périodes de semis et sur les activités agricoles.

1.2. 2. Identification des stratégies d’adaptation et niveau d’adoption des paysans

Identifiées à partir des résultats de l’enquête, les stratégies adaptatives prises par les paysans ont été classifiées en deux types inspirés des travaux de Thiam (2008) et Kanao (2012 : 23) : l’adaptation défensive et l’adaptation proactive ou productrice.

Les stratégies défensives visent à échapper aux contraintes de la nature ou à éviter ses pires effets sur les activités exercées en une saison donnée. C’est une réaction spontanée et rapide qui vise à trouver des solutions dans l’immédiat pour défendre son champ d’activité.

Les stratégies proactives ou productives consistent à exploiter au mieux de nouvelles pistes par l’innovation, la diversification ou à l’abandon de(s) activité(s) initiale(s) de l’exploitation pour une ou de nouvelles activités. Ce sont les stratégies productives qui consistent en une diversification des productions : maraîchage, agriculture, et commerce.

Dans ce travail, les types de stratégies (défensive, proactive ou productive) développés par les paysans, le niveau d’adoption (%) et l’apport de la stratégie sont identifiés pour chaque système de culture.

1.2.3. Évaluation des difficultés liées aux stratégies d’adaptation des systèmes de cultures et des producteurs

L’évaluation des difficultés liées aux stratégies d’adaptation aux effets néfastes du changement climatique se détermine par une analyse des moyens d’existence des populations locales. Pour cela, les données nécessaires à cette évaluation ont été recueillies à travers l’enquête et portent sur cinq indicateurs composés de sous indicateurs (tabl. 1).


Tabl. 1 : Évaluation des moyens d’existence de la zone d’étude

Chaque sous-indicateur est noté sur 5 en fonction du niveau de sa disponibilité (tabl. 2).

Tabl. 2 : Notation des sous-indicateurs

La note de chaque indicateur est obtenue en faisant la moyenne des sous-indicateurs qui la composent. Ce sont les notes des indicateurs qui sont reportées dans un graphique de type radar pour présenter l’échelle de valeurs des capacités d’adaptation des producteurs. Cette capacité d’adaptation varie de faible, modérée à élever.

2. Résultats

2.1. Analyse de la dynamique climatique telle que perçue par les producteurs agricoles

La variabilité climatique, qui illustre le changement du climat, est largement ressentie par l’ensemble des agriculteurs enquêtés à Brizéboua (fig. 2). La totalité des paysans

enquêtés (100%) s’adonnant aux cultures pérennes estime que le climat a changé. 98% des producteurs des cultures vivrières le confirment également contre 96% pour les producteurs des cultures maraîchères. L’ensemble des exploitants enquêtés estiment selon leur perception que ce changement a commencé depuis les années 1990, c’est-à-dire, depuis 30 ans.

Fig. 2 : Proportion de personnes affirmant un changement du climat dans la localité

Source : nos enquêtes de terrain, 2020

Ce changement perçu est la conjonction de quelques indicateurs signalés selon les paysans de Brizéboua sur la pluviométrie et la température. Ainsi, au niveau de la baisse significative du cumul pluviométrique dans la localité, les avis sont partagés en fonction de l’activité pratiquée et de la dépendance de l’eau pour les cultures. Respectivement, les proportions s’élèvent à 94 % pour les exploitants de cultures pérennes, 96 % pour les exploitants dans le vivrier et 88 % pour les exploitants de culture maraîchère. Les 12 % des maraîchers pensent le contraire car pour eux, la bonne pratique de leur activité n’est pas forcément dépendante de l’eau pluviale. La vision paysanne sur les évènements climatiques tels que les pluies intenses, tardives et la durée des saisons laisse entrevoir un taux plus faible des populations enquêtées (fig. 3).

Fig. 3 : Perception de la population locale sur les évènements climatiques extrêmes

Source : nos enquêtes de terrain, 2020

Selon les enquêtes, 20 % des producteurs de cultures pérennes et de cultures maraîchères observent l’apparition de pluies intenses. Le taux le plus important (36 %) est enregistré au niveau des producteurs de cultures vivrières. Toutefois, pour ce qui concerne les pluies tardives, bien que perçues par tous, la proportion des enquêtés du secteur vivrier est la plus élevée (96 %) des trois domaines d’activités. Dans le vivrier, les pratiquants sont inquiets face aux pluies tardives car le cycle ne dure que quelques mois. Environ 90 % des paysans de culture pérenne et de culture maraîchère confirment cette réalité extrême dans leur localité. La hausse de la température est faiblement ressentie chez les producteurs des cultures pérennes, vivrières et maraîchères, soit respectivement 44 %, 40 % et 36 %. Par contre, ils perçoivent mieux l’insolation dans leur localité. On enregistre 96 % dans le maraîcher et plus de 90 % au niveau des cultures pérennes et vivrières.

2.2. Les stratégies locales au niveau des systèmes de culture

2.2.1. Au niveau des cultures pluviales et maraîchères

Les méthodes de nettoyages et de labour sont largement utilisées par les paysans (100%) dans les cultures pluviales. Ce qui leur procure un niveau satisfaisant. Par ailleurs, la pratique de la jachère est importante avec un niveau qui représente 75%. L’association de cultures est également privilégiée avec un niveau d’adoption de 60%. Elle est jugée satisfaisante par les paysans. L’adoption de nouvelles variétés de cultures plus résistantes à la chaleur est la plus mis en exergue par les producteurs avec un niveau d’adoption qui est de 80% (tabl. 3).

Les stratégies adoptées par les paysans pour les cultures maraîchères se résument à l’irrigation hebdomadaire et à l’augmentation du nombre de semence. Ces stratégies sont adoptées respectivement à 80% et 90% par les paysans et sont jugées satisfaisantes par les paysans.

Tabl. 3 : Adoption et apports de stratégies d’adaptation développées par les paysans de Brizéboua


Source : nos enquêtes de terrain, 2020 ; traitement des données inspiré de Kanao (2012 : 23)

Toutes les mesures constituent les réponses paysannes face au changement climatique. Cependant, elles sont toutes insuffisantes car les paysans continuent de se plaindre du faible rendement de leurs cultures. Par ailleurs, les méthodes appliquées au niveau des systèmes de cultures apportent une nette satisfaction aux paysans. La figure 4 illustre les stratégies paysannes associant la culture maraîchère sur une parcelle exploitée dans des buttes d’igname (gombo, piment et aubergine). Selon les paysans, cela renforce les chances de réussite du tubercule.

Fig. 4 : Vue de Pieds de piment, gombo et d’aubergine sur une parcelle d’igname

Source : nos enquêtes de terrain, 2020

Dans l’ensemble, la majorité des paysans met en place des stratégies simples et pratiques tant au niveau des cultures pérennes qu’au niveau des cultures maraichères avec une certaine rigueur qui justifie les bons rendements en fin d’année.

2.2. 2. Adaptation du calendrier agricole par les paysans face à la variation climatique

Les différentes stratégies mises en place par les producteurs se perçoivent également au niveau de leur calendrier agricole (tabl. 4).

Tabl. 4 : Évolution du calendrier agricole mise en place par les paysans

Selon les producteurs, 20 ans avant l’apparition du changement climatique observé, le calendrier agricole s’établissait comme le présente le tableau 4. Le respect scrupuleux de ce calendrier permet aux producteurs de mener une bonne campagne agricole avec un rendement satisfaisant chaque année. Déjà, à partir de mi-février, les premiers semis peuvent être entamés au niveau du vivrier et du maraîcher à partir des premières pluies de ce mois. Avec l’arrivée de la grande saison des pluies, commencent alors les autres activités et cela donne selon les paysans, un résultat toujours satisfaisant. L’observation du nouveau calendrier établi par les paysans en fonction de la variation du climat local permet de remarquer un décalage important des périodes de nettoyage, de semis et de récolte. A cause du démarrage tardif de la saison pluvieuse, les premiers semis commencent à partir de mi-avril alors que ceux-ci débutaient auparavant entre mi-février et mars. Cela entraîne des conséquences sur les rendements en fin d’année. Le calendrier agricole est un outil très important pour le paysan en milieu rural. La non-maitrise des irrégularités saisonnières ces deux dernières décennies par les paysans a des répercutons négatives sur leurs productions.

2.2.3. 1. Difficultés liées aux stratégies d’adaptation des systèmes de cultures

Les paysans de Brizéboua sont confrontés à des difficultés qui ralentissent leurs efforts d’adaptation face au changement climatique. Ces difficultés sont d’ordres matériels et techniques. Il s’agit notamment de la méconnaissance des bonnes pratiques culturales et surtout de l’insuffisance financière pour l’achat des matériels agricoles (machine à pompe, tuyaux pour évacuer l’eau des bas-fonds vers les champs) et de produits phytosanitaires en quantité suffisante. Le non-respect des engagements des structures d’encadrement, le non-soutien de l’État ou des ONG en matière de financement et le vol de marchandises ou de produits des champs en ajoutent aux difficultés à lever par les paysans.

D’après les paysans enquêtés, tous ces obstacles mettent en péril le processus d’adaptation entamé d’ailleurs difficilement par les producteurs. Cela amène à étudier leur capacité d’adaptation en fonction des ressources disponibles dans la localité.

2.2.3. 2. La capacité d’adaptation des producteurs

La figure 6 illustre la capacité d’adaptation des populations de Brizéboua qui a été évaluée en fonction de l’analyse des moyens d’existence, mais aussi en fonction des difficultés d’adaptation déjà analysées.

Fig. 6 : Capacité moyenne d’adaptation des populations de Brizéboua

Source : nos enquêtes de terrain, 2020 ; traitement des données inspiré de Bokoto de Semboli (2008)

L’analyse des moyens d’existence fait ressortir une capacité d’adaptation moyenne pour les populations de Brizéboua. Cette capacité d’adaptation est d’ailleurs très limitée au niveau économique. En effet, selon les populations, c’est le manque de moyens à la fois financier et matériel qui affaiblit leur capacité d’adaptation. On comprend ainsi donc que les populations ne peuvent assurer convenablement leurs besoins vitaux qui se résument essentiellement à l’accès à une nourriture saine et à une couverture sanitaire de la famille nucléaire. Cette fragilité des populations à s’adapter se justifie principalement par la disparition progressive de leurs moyens d’existence au niveau économique (micro-assurance, sources de revenus diversifiées, accès aux aides, dons). Elle se justifie également au niveau social par l’inexistence et le fonctionnement d’une organisation paysanne, par l’inexistence des associations d’entre aide, gouvernance étatique, gouvernance traditionnelle). Elle se justifie enfin au niveau humain par le manque d’accès aux soins de santé, le manque de personnel qualifié professionnellement et de bras valides. Elle s’observe également au niveau physique (disponibilité de terre agricole, qualité d’habitation, qualité des infrastructures routières et sanitaires, accessibilité aux intrants et matériels agricoles) et naturel.

3. Discussion

Cette étude conduite dans la localité de Brizéboua a permis de mettre en évidence la perception et les stratégies paysannes locales envisagées par les populations de cette localité face à la variabilité climatique. Elle a permis d’identifier les principales stratégies paysannes mises en place par les producteurs. En outre, ces stratégies d’adaptations ont été inventoriées. Leurs impacts ont été constatés sur les systèmes de production. Des stratégies d’adaptation ont été élaborées en fonction des moyens d’existence et des difficultés liées au processus d’adaptation des producteurs.

Les savoirs paysans sur le climat sont essentiellement fonction de l’écozone, comme en témoignait N’Da (2016 : 197). D’ailleurs, les opérations culturales et le choix des cultures pratiquées en dépendent. Les savoirs des paysans sont fondés sur le vécu et les souvenirs des évènements climatiques qui sont transmis par les parents de générations en générations. Par contre, Coulibaly (2012) cité par N’Da (2016 : 205) estime que l’alternance d’années très humides et très sèches, la mauvaise répartition interannuelle des pluies, le début incertain des saisons humides sont des variables aisément perçues par les populations rurales de Brizéboua (N’Da 2016 : 205). De même, le décalage des calendriers agricoles, l’accroissement de séquences sèches pendant la saison pluvieuse et la hausse des températures le sont également (N’Da 2016 : 205).

Les stratégies d’adaptations des paysans liées aux cultures pluviales sont nombreuses. Celles qui méritent de retenir l’attention sont le nettoyage avant et après semis, l’utilisation des variétés de cultures plus résistante à la chaleur comme l’anacarde, l’hévéa et le maïs rouge qui sont des cultures écologiquement peu exigeantes en eau. En effet, les populations ont constaté que ces cultures peu exigeantes en eau sont généralement cultivées au nord et au centre du pays. Ainsi, la situation qui prévaut aujourd’hui dans le centre-ouest constitue aussi une opportunité pour eux et décident d’expérimenter ces cultures dans leur zone d’exploitation. Il s’agit donc d’une transition culturale. A voir de prêt, certains auteurs tels que Diomandé et al., (2013 : 141) ont montré que cette transition de culture du nord vers le sud, s’effectue progressivement à cause du changement ou de la variabilité climatique en cours. « La teneur en eau est respectivement comprise entre 500-1000 mm/an pour le maïs, 800-1800 mm/an pour l’anacarde et 80-1500 mm/an pour l’hévéa » (Bokonon 1999 : 45) ; Trekpo 2003 : 53). Leur niveau de vulnérabilité peu élevé constitue pour les paysans un moyen de lutte face au changement climatique. A ces techniques employées, il faut aussi ajouter le nettoyage des champs avant et après semis. Le nettoyage avant semis est une technique qui est beaucoup utilisée par les paysans en ce sens qu’elle permet au sol de garder un taux d’humidité acceptable dès les premières pluies pour commencer les premiers semis. Quant au nettoyage après semis il est important car selon les paysans, le champ doit être propre pour mieux produire. A ce propos, les travaux de Nouhou (2012 : 55) ont montré contrairement que « le nettoyage des champs après semis permet de réduire les effets de l’érosion éolienne. La jachère sur deux ans, l’augmentation de la taille de semence de certaines cultures telles que l’igname, l’entretien de manière périodique des champs sont aussi autant de techniques utilisées par les paysans de cette localité ».

Au niveau des cultures maraîchères, plusieurs réponses ont été proposées par les paysans de ladite localité. Ce sont notamment l’irrigation au niveau de la tomate, le gombo (arrosage 2 à 3 fois par semaine selon les producteurs), l’augmentation du nombre de semence de tomate et de gombo en cas de sèchement des plantules. C’est également de renforcer la chance de réussite de la culture et d’augmenter le nombre de semence d’aubergine et de piment dans les buttes d’igname afin de renforcer la chance de réussite.

Toutes ces mesures endogènes employées permettent aux paysans de résister aux effets néfastes du changement climatique. « Plusieurs études ont montré que cette réaction des paysans face au phénomène du changement climatique est une des caractéristiques à ceux-ci puisque leur vie en dépende » (Dugué et al., 2012 : 4).

Conclusion

Cette étude menée dans la localité de Brizéboua a permis de mettre en évidence l’impact des ressentis et les stratégies locales développées par les paysans pour atténuer ce phénomène. En effet, l’étude a montré que les paysans perçoivent le changement climatique dans leur large majorité. Les statistiques des ressentis montrent une forte proportion aussi bien des producteurs de cultures pérennes que des producteurs de cultures maraîchères en passant par ceux des cultures vivrières. Face à la persistance de ces principaux risques climatiques, les paysans de Brizéboua développent des stratégies, des techniques culturales. Ils vont privilégier des variétés plus résistantes à la chaleur, des cultures à cycle court, l’utilisation d’engrais organique et minéral, l’association de culture sur la même parcelle pour les cultures pluviales. Pour les cultures maraîchères, les paysans font de l’irrigation surtout pour la tomate, le gombo, le piment et l’aubergine et augmentent le nombre de semence dans les champs. Toutefois, il faut retenir que toutes ces techniques développées par les paysans sont loin d’être suffisantes car ces techniques n’apportent pas de satisfaction véritable à l’endroit des paysans qui évoquent certaines difficultés telles que le manque de moyens financiers et le manque de soutien de la part des autorités.

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contexte d’incertitudes sur les ressources naturelles productives, Thèse de doctorat, Institut National Polytechnique/École Nationale Supérieure d’Agronomie de Toulouse, 394 p.
TREKPO Patrice, 2003. La culture de l’anacardier dans la région de Bassila au Nord Bénin. Projet de restauration des ressources forestières de Bassila, République du Bénin, GTZ, 53 p.

Auteurs

Aka Giscard ADOU
Maître-Assistant en Géographie
Université Jean Lorougnon Guédé (Daloa)
Courriel : giscardadou@yahoo.fr

Kouadio Christophe N’DA
Maître-Assistant en Géographie
Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan)
Courriel : christndak@yahoo.com

Gbawli Nixon KOUASSI
Doctorant – Université Jean Lorougnon Guédé (Daloa)
Courriel : gbawlikouassinixon@gmail.com

Auteur correspondant

Kouadio Christophe N’DA
Courriel : christndak@yahoo.com

© Édition électronique

URL – Revue Espaces Africains  : https://espacesafricains.org/
Courriel – Revue Espaces Africains : revue@espacesafricains.org
ISSN : 2957-9279
Courriel – Groupe de recherche PoSTer : poster_ujlog@espaces.africians.org
URL – Groupe PoSTer  : https://espacesafricains.org/poster/

© Éditeur

– Groupe de recherche Populations, Sociétés et Territoires (PoSTer) de l’UJLoG
– Université Jean Lorougnon Guédé (UJLoG) – Daloa (Côte d’Ivoire)

© Référence électronique

Aka Giscard ADOU, Kouadio Christophe N’DA & Gbawli Nixon KOUASSI, « Impacts ressentis de la variabilité climatique et stratégies d’adaptation des paysans de la localité de Brizéboua (Centre-ouest ivoirien », Revue Espaces Africains (En ligne), 2 | 2022 (Varia), Vol. 1, ISSN : 2957- 9279, mis en ligne, le 30 décembre 2022.

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