Espaces Africains

INTRODUCTION

AUTEUR : Drissa KONE

Introduction

L’école a toujours eu la triple mission d’instruire, d’éduquer et de socialiser. L’État africain, tout comme ailleurs, en assure la sauvegarde face à l’« intrusion » d’idées ou d’idéologies tendant à saper les bases du système éducatif. Mais depuis plus d’un siècle, la société africaine est en crise. En témoigne les violences de toutes sortes qui pullulent dans le milieu éducatif, résultats de la mauvaise « traversée » du multipartisme et des plans d’ajustement structurel. Face à ce qui semble être une perte de vitesse de l’école, les communautés religieuses s’inventent des modèles scolaires et éducatifs car elles estiment que c’est en inculquant une dose de spiritualité aux apprenants que ce système survivra. Toutefois, si elles considèrent « l’école française » comme un frein à la préservation de leurs valeurs religieuses, voire comme une voie d’érosion de leur emprise et pouvoir sur des sujets et des territoires, les possibilités d’insertion dans l’appareil administratif, économique et politique offertes par l’école française restent un atout majeur aux yeux de bien des parents et des élèves.

Dans tous les cas, à la suite des missionnaires blancs, les fidèles catholiques et protestants assurèrent la continuité des écoles confessionnelles chrétiennes. Les musulmans de leur côté, réformèrent l’école coranique en améliorant le contenu de l’enseignement et en modernisant les structures d’apprentissage pour répondre aux défis contemporains. On parle tantôt d’écoles franco-arabe, de daaras, tantôt de médersas et d’écoles confessionnelles islamiques. Face à ces modèles éducatifs, se situe l’Ecole publique ou privée hégémonique de l’Etat selon des modalités de valence, de distance ou de proximité
variées, d’inclusion et/ou de marginalisation diverses, et cela selon les périodes historiques, suite aux réformes dans les politiques éducatives, aux mobilisations, luttes et choix des acteurs sociaux. La présence de tous ces nouveaux acteurs dans la sphère éducative africaine revêt une importance capitale pour l’État qui a fait de l’éducation pour tous son cheval de bataille privilégié. Il n’est donc pas rare de voir celui-ci tisser des compromis ou accompagner ces structures privées d’enseignement, quitte à repenser sa laïcité en vue de favoriser le vivre-ensemble et perpétuer la formation des apprenants.

C’est la raison pour laquelle cet appel à contribution à chercher à questionner les politiques publiques du religieux en rapport avec la gestion territoriale, avec l’éducation et les programmes d’enseignement dans des sociétés postcoloniales. Son ambition fut d’analyser l’action de l’Etat, des organisations et autorités religieuses, des différents acteurs (familles, mécènes, élèves et anciens élèves et diplômés, etc.) dans la formation et pluralisation des modèles scolaires éducatifs, les conflits et enjeux catégoriels et symboliques à l’oeuvre, qu’ils soient culturels, religieux, identitaires, socio-économiques et professionnels en prenant en compte la diversité des territoires et des espaces qu’ils traversent. C’est ce à quoi ces dix (10) contributions ont essayé de mettre en lumière en portant un regard comparatif sur les modèles scolaires confessionnels et non confessionnels situés sur différents terrains, d’analyser la manière dont ceux-ci se restructurent, se réinventent avec, sans ou contre l’État pour répondre aux demandes anciennes et nouvelles des populations. De ces contributions, deux (2) axes principaux se dégagent : D’une part, la réinvention de l’enseignement religieux. Face aux défis de l’insertion professionnelle et au nombre de plus en plus croissant d’apprenants, l’enseignement religieux se réinvente, se modernise pour répondre aux besoins des populations. C’est le cas au Gabon, où Daniel Bekale montre que les difficultés rencontrées par l’enseignement catholique ont conduit des promoteurs à créer à l’intérieur de cet ordre un réseau privé laïc très élitiste, et autonome qui vient concurrencer le réseau classique. Certes ce réseau privé laïc explose grâce à ses performances aux examens de fin d’année mais son existence témoigne des inégalités sociales et de la forte demande de scolarisation de qualité qui caractérisent aujourd’hui la société gabonaise. Cette représentation sociale des écoles confessionnelles chrétiennes est également partagée par Eveline Ya Touré épouse Johnson dans son analyse du contexte ivoirien. Des parents d’élèves interrogés sur la question ont loué la discipline, la bonne éducation ainsi que le travail rigoureux dont font preuve les écoles confessionnelles chrétiennes.

Ailleurs, comme au Sénégal, la volonté de modernisation touche aussi les écoles coraniques appelées daaras. C’est ce qui ressort de l’étude faite par Mouhamed Gueye. Pour répondre aux normes internationales de formation, l’État sénégalais a initié plusieurs réformes visant à intégrer ces structures islamiques dans le système éducatif formel, même si cette intrusion fut diversement appréciée par les responsables musulmans. Parfois, ces tensions augurent une implantation accélérée de ces daaras aussi bien dans le centre que dans la périphérie de la région de Dakar. L’avenir des daaras dépendra donc de la capacité des acteurs publics et privés à surmonter les héritages et les résistances historiques pour proposer une réelle modernisation équilibrée. C’est du moins ce qu’espèrent Mamadou Bouna Tim era, El Hadji Rawane Ba et Rania Hanafi. Au Maroc également, Gökhan Bay rappelle que les politiques d’arabisation qui atteignaient parfois des dimensions d’ingénierie sociale, ont été abandonnées au profit d’une approche éducative adaptée à la nature hybride unique du pays. Cela a permis de préserver, un équilibre entre l’enseignement des sciences fondamentales en français et la continuité des traditions éducatives en arabe et en sciences religieuses, enracinées dans le pays depuis des siècles.

En attendant, il est possible de penser à une sorte d’uniformisation des écoles
confessionnelles islamiques. L’expérience ivoirienne a permis d’ailleurs d’enregistrer
plus d’un millier dans le système formel suite à des sélections très strictes de l’Etat,
comme nous dit Foundienguy Caroline Soro. Cependant, de nombreux établissements
confessionnels islamiques peinent encore à relever le défi.
D’autre part, la construction des identités religieuses et les enjeux de la laïcité. La diversité
des offres d’enseignement et surtout la quête de religiosité des apprenants ont promu les
écoles confessionnelles. Quelles que soient les difficultés qu’elles traversent, celles-ci
contribuent à inculquer une éducation religieuse aux enfants, chose que n’offre pas l’école
publique laïque. Il suffit pour s’en convaincre de constater l’affluence dont les écoles
confessionnelles de toute obédience, bénéficient aujourd’hui dans la sphère éducative
africaine. Cette demande de spiritualité témoigne tout simplement de la crise de
l’éducation dans les sociétés africaines, et invite un retour au religieux pour aider à la
formation de l’élite de demain.
Aussi, il n’est pas rare de voir à l’école publique, des espaces de prières se créer ou des
jeunes élèves et étudiants se regrouper pour apprendre la religion. Drissa Koné signale à
cet effet, l’existence dans la sphère éducative ivoirienne, de l’Association des Elèves et
Etudiants Musulmans de Côte d’Ivoire (AEEMCI). À travers diverses activités, cette
association a réussi à capter l’attention des jeunes, surtout musulmans, qui étaient tentés
de s’éloigner d’une foi dont l’expression ne correspondait pas à la culture engendrée par
les écoles laïques et chrétiennes. Par le biais de cette association, la vitalité de l’islam dans
les écoles et sur les campus se manifestent à travers les lieux de prières, les actions
sociales, les pratiques corporelles et vestimentaires, etc. Ce qui participe visiblement à la
construction des identités religieuses islamiques comme a pu également le démontrer
Mbaye Gueye sur le campus de l’Université Gaston Berger de Saint Louis au Sénégal. Ici,
malgré les contraintes relatives à la posture laïque de l’institution, les étudiants mourides
ont réussi à y fonder des Dahiras et Daaras. Ce fait symbolise la quête de spiritualité
observée même en milieu intellectuel. On comprend aisément la position de l’État africain
qui se veut rassembleur quitte à « piétiner » subrepticement la laïcité dans ses principes
fondamentaux. C’est ce qui justifie sans doute la tolérance des signes religieux dans les
ordres d’enseignement au Cameroun. Selon Sedric Daryl Ntemfack, l’objectif de l’État
camerounais est de maintenir la cohésion sociale face à la diversité religieuse, tout en
garantissant un accès équitable à l’éducation. Toutefois, les risques d’implosion face à l’expression ostentatoire du religieux en milieu
scolaire sont réels. Voilà pourquoi, l’État doit encadrer cette incursion du religieux à
travers le contrôle renforcé des établissements notamment privés confessionnels, et
veiller à l’établissement de règlements intérieurs plus cohérents, conçus par des
personnels suffisamment formés à ces enjeux. Ce rôle d’accompagnateur devrait
s’inspirer de son action qui fut la sienne dans la formation professionnelle des filles aux
côtés des institutions religieuses chrétiennes au Cameroun, comme le préconise Linda
Silim Moundene. Cette collaboration affirme-t-elle, a favorisé l’émancipation éducative et
économique des jeunes femmes. L’État, en assurant l’encadrement juridique, a facilité la
reconnaissance officielle des diplômes, tandis que les institutions religieuses ont joué un
rôle essentiel dans le déploiement des infrastructures éducatives dans les zones reculées
et en proposant des formations adaptées aux réalités locales.
En définitive, toutes ces contributions ont permis de faire ressortir la diversité des offres
d’enseignement et de souligner la recherche permanente pour l’État africain d’un modèle
éducatif et scolaire qui réponde au mieux à ses aspirations. C’est seulement à ce titre qu’il pourra rendre l’éducation inclusive et booster le niveau de formation des apprenants, pilier essentiel du développement du continent.

Drissa KONE
Historien – Maître de Conférences
Université Félix Houphouët-Boigny/Abidjan
Courriel : idrissbaraka@gmail.com

Abstract