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Revue Espaces Africains - Groupe de recherche pluridisciplinaire et international « Populations, Sociétés & Territoires » (PoSTer)

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Quonan Christian YAO-KOUASSI


La décharge de Daloa (Côte d’Ivoire), un espace attractif de récupération et de valorisation multiforme des déchets

The Daloa landfill (Ivory Coast), an attractive space for the recovery and multifaceted recovery of waste


Quonan Christian YAO-KOUASSI

Résumé

La décharge, véritable « mine » urbaine des déchets, est le lieu de différentes formes d’activités humaines. En effet, elle est souvent appréhendée à partir de la nature du système de gestion des déchets définie par les collectivités. Depuis des années dans les pays du Sud, ces gisements de déchets que sont les décharges suscitent des mobilisations citadines et font l’objet de négociations à différentes échelles. C’est également dans ce cadre que se développent des activités de récupération et de recyclage formelles et informelles des déchets. La présente étude sur la décharge de Daloa se propose de questionner plus précisément la dualité de l’objet déchets et les pratiques de récupérations qui lui sont liées, ainsi que l’ambivalence des logiques environnementales et économiques des différents acteurs. Reposant sur l’analyse des enquêtes et entretiens effectués auprès des acteurs travaillant au sein de la décharge, cette étude a révélé que la pratique de la récupération répondait à une demande socio-économique avec des acteurs aussi bien formels qu’informels structurés à 80% dans le cadre de réseaux familiaux ou d’amitié. Elle confirme également que les questions environnementales ne constituent pas un attribut fondamental pour la pratique de la récupération à 85%. Enfin, l’étude atteste à plus de 90 % que ces récupérateurs sont un maillon invisible de l’économie des déchets à Daloa.

Mots-clés : Côte d’Ivoire, Daloa, décharge, déchets urbains, récupérateurs informels, formels.

Abstract

The landfill, a veritable urban « mine » of waste, is the site of different forms of human activity. Indeed, it is often apprehended from the nature of the waste management system defined by the communities. For years in the countries of the South, these deposits of waste that are landfills have aroused urban mobilizations and are the subject of negotiations at different levels. It is also within this framework that formal and informal waste recovery and recycling activities are developed. This study on the Daloa landfill proposes to question more precisely the duality of the waste object and the recovery practices linked to it, as well as the ambivalence of the environmental and economic logics of the different actors. Based on the analysis of surveys and interviews carried out with actors working in the landfill, this study revealed that the practice of recovery responded to a socio-economic demand with both formal and informal actors structured at 80% within the framework of family or friendship networks. It also confirms that environmental issues are not a fundamental attribute for the practice of 85% recovery. Finally, the study attests to more than 90% that these collectors are an invisible link in the waste economy in Daloa.

Keywords : Ivory Coast, Daloa, landfill, urban waste, informal waste pickers.

Introduction

La construction sociale du problème de la gestion des déchets est aujourd’hui sur le devant de la scène : « nous entrons dans la civilisation du déchet » (Lhuiler et al, 1999 : 13). De la maison à la rue, puis à l’extérieur de la ville, le déchet a longtemps participé au métabolisme urbain (Cirelli 2011 : 121). La mise à la poubelle achève le parcours domestique complexe et varié de l’objet familier devenu ordure. Son exclusion du petit monde quotidien de l’utilité du confort est synonyme de condamnation à mort par la mise en « poubelle-cercueil » destinée aux « bennes-corbillard » dont les circuits convergent vers les décharges « fosses communes » (Gouhier 2003 : 30).

Dans les pays du Sud, le développement économique, l’allongement des chaînes de production-consommation et l’évolution des modes de consommation et la prolifération des emballages plastiques ont induit une production croissante d’ordures au point de rendre définitivement impossible leur désagrégation dans le milieu naturel. Dans une perspective écologique, le déversement de quantités sans cesse croissantes de scories dans des terrains vagues n’est plus acceptable d’autant que partout au sud, les villes croissent et s’étendent rapidement (Cavé 2015 : 57). En effet, avec l’étalement urbain et la consommation croissante, on assiste à une augmentation des déchets avec une forte proportion de déchets valorisables ou recyclables qui donne naissance à une activité omniprésente mais peu reconnue qui est la récupération. Cette activité a donné lieu à de nouveaux métiers formels ou informels qui concourent au fonctionnement social urbain des villes du Sud. Ces travailleurs des déchets participent au dynamisme de l’économie urbaine en débarrassant les espaces urbains de leurs rebuts.

Daloa, ville moyenne du centre-ouest de la Côte d’Ivoire avec une population estimée à 255 354 habitants (RGPH : 2014), dispose d’un service communal de gestion des déchets qui ne fait pas appel au principe des 3R (Réduire, Réutiliser et Recycler). On assiste donc à une chaîne de collecte, transport et stockage incapable de s’adapter à l’évolution des modes de consommation dans le temps et dans l’espace (Yao-Kouassi 2022 : 148). Les déchets lorsqu’ils sont correctement collectés sont déversés dans la seule décharge « contrôlée » située en zone péri-urbaine à 5 km du quartier Abattoir 2 et est la propriété de la ville de Daloa (fig. 1). Cette décharge ouverte il y a 19 ans, s’étend sur une superficie de 7,5 ha. Elle n’est pas équipée de pont bascule à son entrée et reçoit 87203,6 t/an (Yabre 2018 : 17) de tous types de déchets. Ainsi, au fil des années, une économie informelle s’est développée autour de cet espace et de ces déchets amenant plusieurs acteurs à identifier ce lieu comme un gisement de ressources.

Des centaines de travailleurs fouillent dans les déchets pour en extraire de la nourriture, des biens de consommation usagés ainsi que des résidus recyclables et dotés d’une valeur d’échange (Pérémarty 2015 :121). L’appropriation de cet espace, la dualité du déchet ainsi que les relations et les actions entre les différents acteurs nous amènent à interroger et analyser les pratiques des récupérateurs ainsi que les facteurs explicatifs qui font de la décharge de Daloa un gisement de ressource convoitée. Qui sont les acteurs de la récupération ? Qu’est ce qui caractérise les activités de récupération ? Comment la pratique de la récupération dans la décharge de Daloa participe à la protection de l’environnement ?

Fig. 1 : Localisation de la décharge de Daloa

1. Matériels et méthode

Afin d’éviter tout biais méthodologique, notre travail s’est appuyé sur la nécessité cohérente du triptyque observation participante, entretien directif et enquête par questionnaire pendant deux semaines (07 Février 2022 au 21 Février 2022). L’observation participante qui a duré la première semaine (07 Février 2022 au 12 février 2022) consistait en une immersion au sein de la décharge afin d’appréhender la relation entre la décharge et les acteurs de la récupération qui y travaillent. Ainsi, nous avons pu constater que la décharge était un gisement important dans le processus de valorisation des déchets de la ville, tout en découvrant le quotidien et les habitudes des récupérateurs.

Fort de ces observations, nous avons mené pendant la deuxième semaine (14 Février 2022 au 21 Février 2022) des entretiens directifs auprès des responsables de la décharge et des récupérateurs dits formels et informels. Ces derniers nous ont permis de constituer une base solide de compréhension du niveau de structuration, voire d’organisation de ces acteurs. L’enquête par questionnaire a été menée par la méthode probabiliste auprès de 100 récupérateurs qui ont accepté de s’y soumettre, les autres récupérateurs étant plus méfiants. Elle avait pour but de connaître le profil sociodémographique de ces derniers, les revenus générés par l’activité de récupération et le volume des matériaux issus de la pratique de tri et de récupération. L’ensemble des données obtenues pendant nos investigations ont été traitées à l’aide du logiciel Excel qui a permis de produire des graphiques qui ont été analysés. Le logiciel ArcMap 10.4 a servi au traitement des données cartographiques et Adobe Illustrator a permis de finaliser les cartes.

2. Résultats et discussion

2. 1. Résultats 2.2. Des récupérateurs aux profils très hétérogènes

La décharge de Daloa, gisement à ciel ouvert renfermant des objets à fort potentiel de valorisation, favorise une nouvelle dynamique des réseaux de récupérateurs à travers un système d’acteurs. Le déchet, voire le rebut comme objet de travail pour un nombre croissant d’acteurs, nous donne à voir une évolution de la pratique de la récupération dictée par les filières de valorisation existantes dans la ville. Ainsi, les récupérateurs de cette décharge ne sont pas uniquement composés d’individus isolés mais d’acteurs dit « formels » (agents des sociétés de collecte des déchets de la ville) et reconnus par la commune. Notre enquête révèle que 75% des récupérateurs sont des travailleurs indépendants (fig. 2) issus principalement de l’économie informelle. En plus de ces acteurs informels, nous avons les acteurs dit formels que sont les agents des sociétés de collecte des déchets de la ville. 15% proviennent de la société Coulibaly et 10% sont des récupérateurs de la société Moya. Leur pratique de récupération s’effectue lorsque ces derniers arrivent à la décharge avec le camion de collecte.

Fig. 2 : Répartition des récupérateurs au sein de la décharge de Daloa

Source : Enquête de terrain – 2022

Par ailleurs, on note une inégale répartition de genre dans ce métier dit de « récupération » : la forte proportion de femmes (60%) au sein des acteurs informels révèle une division sexuelle du travail de récupération et de l’organisation sociale. Aussi, sur les 60 femmes enquêtées à la décharge, 70% sont des femmes isolées sans qualification avec des enfants à charge qui participent avec elles à l’activité de récupération.

Fig. 3 : Adolescents et enfants récupérateurs de déchets à la décharge

Cliché : YAO-KOUASSI – 2022

En outre, les récupérateurs informels sont accompagnés d’au moins un membre de leur famille (80%), principalement des enfants ou des adolescents (fig. 3) en activité au sein de la décharge. Nos résultats (fig. 4) montrent que 75% sont accompagnés par plus de 2 parents ascendants et descendants. Ces derniers sont des enfants dont l’âge oscille entre 9 ans et 15 ans dans 80% des cas. La famille étant la plus représentée au sein des récupérateurs, nous avons 15% des enquêtés qui déclarent avoir 2 parents au sein de la décharge, tandis que 8% seulement ont un seul parent et 2% pas de parents.

Fig. 4 : Distribution des membres d’une même famille exerçant au sein de la décharge de Daloa

Source : Enquête de terrain – 2022

2.3. La décharge, un gisement inépuisable pour une variété de biens commercialisables

La fixation des récupérateurs au sein de la décharge n’est empreinte d’aucune ambivalence. Elle permet de s’affranchir de la distance entre leur lieu d’habitation et la décharge, de s’approprier cet espace et de se positionner au plus près de la ressource. La décharge étant l’exutoire final, elle offre une diversité de déchets (déchets organiques, des végétaux, plastiques, métalliques, etc..) de la ville ; chaque jour, ces derniers sont détournés de leur trajectoire programmée par la récupération qui s’effectue de façon déstructurée. Certains récupérateurs opèrent à mains nues ou utilisent des crochets pour extraire les matériaux susceptibles de faire l’objet de commercialisation. Ainsi, nos résultats indiquent que 80% d’entre eux récupèrent du plastique et 20% du métal. Les sachets plastiques, les bouteilles en plastiques et les semelles de chaussures en plastique représentent respectivement 38%, 35% et 12% (fig. 5). Ils sont les plus recherchés par les récupérateurs de la décharge de Daloa car ils sont facilement vendables et transformables par les industries spécialisées afin de renaitre sous de nouvelles formes.

Fig. 5 : Récupérateurs effectuant le tri des semelles plastiques

Cliché : YAO-KOUASSI – 2022

Notons que parmi les objets collectés à la décharge figurent des métaux, dont 10% d’aluminium et 5% de fer (fig. 6). Ces derniers sont beaucoup plus difficiles à extraire car il n’y a pas de tri sélectif effectué en amont donc les déchets arrivent à la décharge mélangés avec les déchets organiques, ou ils sont récupérés avant leur arrivée à la décharge par les récupérateurs dit « formels » qui ne sont autres que les éboueurs.

Fig. 6 : Répartition des objets récupérés sur la décharge de Daloa

Source : Enquête de terrain – 2022

Afin d’évaluer la charge de travail des récupérateurs de la décharge, nous nous sommes intéressés au volume journalier de récupération par personne. Ainsi, le tableau 1 indique près de 8kg/jour pour les bouteilles en plastiques, 6 kg/jour pour les sachets plastiques, 3 kg pour les semelles de chaussures en plastiques. Concernant l’aluminium les enquêtés l’estiment en moyenne à 2 kg/jour et le fer entre 1 et 1,5kg/jour. Ces différentes quantités mettent en évidence le rôle central que la décharge représente dans le quotidien des récupérateurs. Par conséquent, la décharge et la pratique de la récupération associée pourraient procurer des gains économiques importants.

Tabl. 1 : Quantités d’objet récupérés quotidiennement par un récupérateur sur la décharge de Daloa

Objets récupérés Quantité journalière en kg
Aluminium 2 kg/jour
Fer 1-1,5 kg/jour
Semelles de chaussures en plastique 4 kg/jour
Bouteilles plastiques 8 kg/jour
Sachets plastiques 6 kg/jour

Source : Enquête de terrain – 2022

2.4. La récupération des déchets, une activité génératrice de revenues

La décharge de Daloa optimise l’espace de récupération des déchets, qui deviennent une nouvelle ressource pour ces acteurs. De fait, les gains obtenus à l’issue de leur revente semblent assez confortables, alors que s’organisent les filières d’achat des déchets. L’opiniâtreté des récupérateurs informels rencontrés auquel s’adjoint la concurrence entre ces derniers témoignent des sommes économiques en jeu. La plupart des objets récupérés ne sont pas vendus sur le site de la décharge, les différents récupérateurs réalisent leur vente avec ceux qu’ils identifient comme des acheteurs, des revendeurs, des vendeuses de jus, des forgerons, des ferrailleurs et des acheteurs de caoutchouc. Le marché au quartier commerce est le lieu de vente des déchets récupérés à la décharge de Daloa (fig. 7).

Fig. 7 : Lieu de vente des déchets récupérés à la décharge de Daloa

Ces différents acheteurs, grossistes, semi-grossistes ou détaillants fixent les prix selon leur bon vouloir ; selon les enquêtés l’aluminium et le fer qui sont les objets plus ou moins difficiles à récupérer (fig. 8) à la décharge sont achetés à 50 FCFA/kg.

Fig. 8 : Boîtes en aluminium récupérées à la décharge de Daloa

Cliché : YAO-KOUASSI – 2022

Cependant, les autres objets issus de la fouille dont la récupération est plus aisée telles que les semelles de chaussures en plastique et les sachets (tabl. 2) sont repris respectivement à 25 FCFA/kg et 75 FCFA/kg. Les bouteilles plastiques sont revendues à 50 FCFA l’unité. Par ailleurs, plus de 85% des récupérateurs déclarent gagner entre 1500 FCFA et 2000 FCFA par jour, ce qui leur permet de prétendre au salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) de 60000 FCFA.

Tabl. 2 : Prix de revente des objets récupérés sur la décharge de Daloa

Objets récupérés Prix
Aluminium 50 FCFA/kg
Fer 50 FCFA/ kg
Semelles de chaussures en plastique 25 FCFA/kg
Bouteilles plastiques 50 FCFA/bouteille
Sachets plastiques 75 FCFA/kg

Source : Enquête de terrain – 2022

3. Discussion

3.1. La décharge de Daloa, lieu de convergence d’acteurs peu structurés

Une décharge est communément perçue comme un lieu de mort et de dislocation (Pérémarty 2015 : 124). À la décharge de Daloa, la pratique de la récupération se partage entre les acteurs formels et informels. Les premiers sont des groupes sociaux défavorisés ou des individus paupérisés pour qui la décharge et la récupération sont une composante structurelle d’une économie informelle dont dépend toute une famille. En effet, les différents acteurs ont des liens familiaux (mère, enfants, cousins) très étroits ou développent un collectif de récupérateurs provenant des mêmes lieux de résidence, basé sur l’amitié ou les mêmes difficultés de vie. Comme dans d’autres décharges à travers le monde (Indonésie, etc.), c’est souvent un travail de famille, auquel participent les plus jeunes enfants et les scavengers habitent généralement sur place. Ces familles issues de quartiers précaires se connaissent, ont souvent la même origine ethnique ou géographique et habitent ensemble (Bertolini 2000 : 32).

Ces caractéristiques communautaires confirment à la fois la forte cohésion interne que nous avons constatée à l’intérieur du groupe, le verrouillage de l’accès à l’activité vis-à-vis d’autres individus ou groupes extérieurs concurrents et les modes de répartition égalitaires des rôles et statuts (Zitoun 2015 : 108). Ainsi, la décharge constitue un lieu de vie essentiel et remplit dans le quartier plusieurs fonctions : il s’agit d’un lieu de travail, mais aussi une sorte de « supermarché » et d’un lieu de socialisation (Pérémarty 2015 : 126). Des résultats similaires sont obtenus par Bertolini (2000 : 32) qui dans ses travaux à Nyanza, la décharge de Kigali (capitale du Rwanda), confirme que ceux qui fouillent la décharge cherchent principalement à se nourrir des restes. Par ailleurs, grâce à la sélection et à la récupération de certains de leurs composants se substituant partiellement ou totalement à une matière première vierge et devenant ainsi une matière première secondaire, les déchets se transmutent en ressource et en produit (Cirelli et al, 2016 : 4). Ceci explique l’apparition de nouveaux acteurs dit formels (éboueurs) au sein de la décharge de Daloa. L’« or des poubelles » attire de nouveaux concurrents et on observe une course au regroupement pour prendre de nouvelles parts de marché (L’huilier et al, 1999 : 30). En effet, ces derniers jouent un rôle essentiel dans l’approvisionnement de la décharge car ils repèrent et s’accaparent une partie des déchets avant leur arrivée à la décharge et participent à la fouille au sein même de la décharge. Pour eux les nouvelles chaînes de valorisation qui rachètent les trouvailles de la décharge servent de compléments de salaire à leur activité de ripeur. Guitard (2015 : 82) montre dans ses travaux sur Yaoundé que ces pratiques de récupération des éboueurs durant leur temps de travail, quoiqu’interdites, alimentent un véritable marché au rond-point Nlongkcak, mais aussi sur la route menant à la décharge.

Au même titre que la quasi-totalité des éboueurs qui sont devenus aussi récupérateurs, les agents de sécurité des hôtels, des administrations et services du tertiaire (banques, assurances…) récupèrent aussi ces matières pour les écouler directement auprès des gérants de Parks, lieux informels de transaction de déchets (Diawara 2009 : 82). Les acteurs formels ou informels de la récupération de la décharge de Daloa font partie d’un ensemble donnant une seconde vie au déchet et dont l’activité est dotée d’une utilité économique et environnementale.

3.2. Objets récupérés à la décharge de Daloa et logique environnementale : un lien quasi invisible

La pratique de la récupération au sein de la décharge de Daloa permet de concilier comportements individuels et enjeu environnemental. Le déchet incarne alors une forme d’espérance dont le récupérateur par sa réhabilitation se fait l’artisan et le promoteur (Pacreau 2017 : 86). Ainsi, la décharge devient une menace pour l’environnement en même temps qu’elle contribue à résorber certaines problématiques socio-environnementales. Pour cela, les récupérateurs formels et informels de la décharge de Daloa expriment leur préférence pour les objets facilement recyclables, comme le plastique qui est recyclé en seau ou les bouteilles en plastiques réutilisées pour d’autres usages. Cependant, l’enjeu environnemental ne constitue pas le projet pour lequel les récupérateurs de la décharge de Daloa adhèrent par leur pratique ; ils sont plutôt sensibles aux enjeux socio-économiques.

Les travaux de Pierrat (2014 : 213) montrent bien que les récupérateurs de déchets de la décharge Mbeubeuss se soucient peu des questions environnementales lorsqu’ils effectuent leur activité. L’auteur révèle ainsi qu’autour de la récupération et de la valorisation des déchets, de nombreux métiers se sont développés pour subvenir aux besoins des 500 habitants des Mbeubeuss et accompagner les travailleurs dans leur pénible tâche. Selon Diawara (2009 : 118), actuellement, le terreau produit par la décharge de Mbeubeuss est très convoité par les horticulteurs implantés dans la zone, mais aussi par des organismes d’entretien d’espaces verts et des particuliers. Ce dernier fait d’ailleurs l’objet d’une commercialisation par l’une des filières de récupérateurs présents sur le site de la décharge. Ces récupérateurs versent à leur tour des droits d’exploitation à la Mairie de Malika (Commune d’implantation de la décharge). La logique marchande l’emporte toujours sur les valeurs environnementales qui sont invisibles pour les récupérateurs qui exercent cette activité parce qu’ils n’ont pas le choix. Pour Zitoun (2015 : 119), il y a deux types de récupérateurs dont une majorité n’est attirée que par une compensation d’ordre pécuniaire pendant que l’autre cherche à s’insérer dans les dispositifs de création de micro-entreprises. La décharge de Daloa n’en reste pas moins un trou répugnant, symbole de désordre et d’impureté, mais c’est aussi un dépotoir qui nous rappelle notre humaine nature (L’huilier et al., 1999 : 141).

3.3. Lien équivoque entre enjeu socio-économique et environnemental ?

L’hybridité généralisée entre pratiques formelles et informelles (Furniss et al., 2018 : 143) de la récupération des déchets au sein de la décharge de Daloa alimente les filières de valorisation polymorphe des déchets. Ainsi, ces derniers se sont structurés selon les stratégies d’exploitation des gisements basées sur des logiques socio-économiques plutôt que socio-environnementales (Pierrat 2018 : 38).

Les déchets prennent de la valeur et participent à l’économie urbaine selon les types de matières (verre, fer, métaux non ferreux et plastique) et selon les transformations effectuées. Déterminée par le secteur informel puisque ce sont les vendeurs qui fixent les prix, la valeur attribuée aux déchets et aux produits issus de la valorisation des déchets est relativement uniforme pour tous les commerçants. La prédominance de la logique socio-économique entre les deux modalités d’organisation sociale de même que les acheteurs montrent le manque d’encadrement et de coopération publique, ce qui favorise des problématiques environnementales et sanitaires.

La considération de ces facteurs est d’autant plus importante que les risques environnementaux produits par le recyclage consistent en une contamination du sol, des nappes phréatiques, des cours d’eau (Durand 2015 : 333), et en une pollution de l’atmosphère résultant du tri des déchets en plein air. Le risque sanitaire quant à lui est mesurable par la prévalence importante de maladies cutanées, d’infections gastriques ou respiratoires autour des décharges. Il montre que les décharges périphériques situées le long des berges du Rio Chillon, sont bordées par des quartiers existants depuis plus de dix ans et qu’au sein de ses quartiers, le taux des maladies diarrhéiques aigues est de près de 4000 pour 100000 habitants, contre une moyenne de 2000 pour 100000 habitants dans l’ensemble du district.

Par ailleurs, Cavé (2013 : 228) indique à travers ses travaux qu’à Vitória comme à Coimbatore, les tonnes de déchets récupérés quotidiennement par l’ensemble des acteurs, y compris les catadores organisés, ont pour effet d’améliorer le bilan environnemental d’ensemble, car ce sont autant de déchets qui ne seront pas enfouis. De surcroît, l’objectif de ces dispositifs est de capter des matériaux usagés en vue d’alimenter des processus de production qui substitueront cet input à l’extraction de matières premières vierges. Ils permettent donc en outre de diminuer l’exploitation des ressources naturelles comme le montre le cas de l’exploitation des gisements de déchets de la décharge de Daloa. Toutefois, une telle contradiction serait à nuancer car la décharge de Daloa est un récepteur de risque et la pratique de la récupération telle qu’elle s’opère est génératrice de nuisance.

Conclusion

La décharge de Daloa revêt un enjeu socio-économique et environnemental. C’est un espace où la pratique de la récupération résulte d’une hybridation selon deux modalités d’organisation sociale (formelle et informelle) et se fonde sur une valorisation de plus en plus lucrative. Ces travailleurs peu structurés et hétérogènes ont pu développer des stratégies d’exploitation des déchets rebuts en déchets ressources. Enjeu de toutes ces pratiques, la décharge est l’espace de déploiement de logiques économiques plus qu’environnementales car les différentes formes de valorisation ne bénéficient pas d’appuis territoriaux, institutionnels ou sociaux. Ainsi, une meilleure articulation des diverses pratiques de récupération et de collecte des déchets servirait les enjeux de l’écologie territoriale avec une valorisation des déchets qui ne serait plus portée structurellement par la récupération informelle au sein de la décharge de Daloa.

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Auteur

Quonan Christian YAO-KOUASSI
Maître – assistant en Géographie
Université Jean Lorougnon Guédé (Daloa – Côte d’ Ivoire)
Chercheur Permanent – Coordonnateur Groupe de recherche PoSTer
Courriel : quonanchristian@yahoo.fr
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