Espaces Africains

Revue Espaces Africains - Groupe de recherche pluridisciplinaire et international « Populations, Sociétés & Territoires » (PoSTer)

 


Le rôle des élus dans une démocratie représentative : Cas de la 3ème république en République Démocratique du Congo 

The responsibility of the elected officials in a representative democracy : Case of the 3rd republic in the Democratic Republic of Congo


Guerschom DRAMANI PILO

Résumé

Le présent article a pour objectif d’analyser à travers les expériences de la 3ème République, le rôle des élus dans la démocratie représentative. D’abord, il s’est focalisé sur les théories de la souveraineté nationale, de la séparation des pouvoirs et de la représentation politique du point de vue juridique et politique. Ensuite, sur les conséquences de la confusion entretenue sur le rôle des élus à l’opposé du pouvoir exécutif, par les parties prenantes. Et enfin, il a été démontré que, tant que l’enjeu central du rôle des élus ne tiendra pas compte du principe de la séparation des pouvoirs et ne sera pas la défense de la souveraineté, les fonctions des élus seront d’avance condamnées notamment aux frustrations, aux tensions, aux critiques négatives et destructives. De ce fait, quelques alternatives démocratiques en vue d’assurer une participation effective et directe du souverain primaire à la prise des décisions ont été formulées ; en reconsidérant le profil des élus tout en cernant leur part de responsabilité dans le désintéressement des citoyens à la démocratie. Les méthodes dialectique et juridique appuyées par les approches sociologique et descriptive ont guidé notre recherche.

Mots-clés : Rôle, Élus, Démocratie représentative, République Démocratique du Congo

Abstract

This article aims to analyze through the experiences of the 3rd Republic, the role of elected officials in representative democracy. First, he focused on the theories of national sovereignty, separation of powers and political representation from the legal and political perspective. Then, on the consequences of the confusion maintained on the role of elected officials as opposed to the executive power, by the stakeholders. And finally, it has been demonstrated that, as long as the central issue of the role of elected officials does not take into account the principle of the separation of powers and is not the defense of sovereignty, the functions of elected officials will be condemned in advance, in particular frustrations, tensions, negative and destructive criticism. As a result, some democratic alternatives to ensure effective and direct participation of the primary sovereign in decision-making have been formulated; by reconsidering the profile of elected officials while identifying their share of responsibility in the disinterestedness of citizens in democracy. Dialectical and legal methods supported by sociological and descriptive approaches guided our research.

Keywords: Responsibility, Elected officials, Representative democracy, Democratic Republic of Congo

Introduction

Le rôle des élus dans une démocratie représentative en 3ème République suscite de nombreux débats et même crée des frustrations en République Démocratique du Congo (RDC). Les élus sont appelés à exercer leurs fonctions parlementaires selon le principe « de la démocratie représentative qui consacre la légitimité du pouvoir législatif en le fondant sur des théories de la souveraineté, de la séparation des pouvoirs et de la représentation » (Godbout 2005 : 47-56). Cependant, dans les faits, sous la 3ème République, le rôle des élus a fait l’objet de la confusion explicite avec celui de l’exécutif et des organisations caritatives. Pour certains, les élus ont pour rôle de construire des infrastructures sociales, économiques et communautaires ; de créer et d’octroyer des emplois,… Pour les autres, ils ont pour rôle d’assurer des œuvres philanthropiques et d’assistances sociales telles que payer les études de ses électeurs, payer leurs frais des soins de santé, organiser les funérailles des électeurs,…

Sans pour autant prétendre rejeter toutes ces contributions des élus aux œuvres sociales et caritatives. Cette étude vise à explorer les logiques qui sont à la base de la méfiance, d’ambiguïté et de tension permanente entre l’environnement social et politique dans la démocratie représentative en RDC. A ce sens, d’une part, notre étude se fonde sur l’approche de HANNAN (Hannah 1995 : 90-91), qui remet en cause et critique la démocratie représentative qui prévoit que « l’action politique demeure une prérogative de gouvernement et des professionnels de la politique qui proposent aux peuples d’être leurs représentants au moyen de système parlementaire pour représenter ses intérêts à l’intérieur de l’Etat et, le cas échéant, contre l’État ». D’autre part, notre analyse se servira du rôle des élus dans « la démocratie représentative qui peut paraître aussi génératrice d’hypocrisies » (Bernanos 1984 : 23), de frustrations, à la limite du non-sens de la démocratie, notamment quant au pouvoir réel des citoyens (Sadry 2007 : 32) et des ruses.

Cette option tranche avec la position de certains auteurs qui se demandent d’ailleurs « si elle (la démocratie représentative) ne se retourne pas parfois contre le peuple, victime de la propension à la banalisation du consensus autour de ce concept, les citoyens n’étant pas partie prenante aux décisions […]. Finalement, de ce régime béni, objet de toutes les incantations, surgit l’interrogation hérétique de l’évolution de la place du peuple, de la démocratie sans le peuple, voire contre le peuple » (Verdier 2008 : 1073). L’étude permet de reconsidérer le profil des élus et de cerner leur part de responsabilité dans le désintéressement des citoyens à la participation électorale qui permet « à la démocratie représentative de se régénérer, de trouver de nouveaux dynamismes et d’évoluer en fonction des attentes des électeurs » (Sadry 2007 : 36). Dans cette perspective une tentative alternative de la démocratie participative combinée avec la démocratie économique et sociale sera ainsi esquissée.

En fait, contrairement à la démocratie représentative, la démocratie participative est l’ensemble des procédures, instruments et dispositifs qui favorisent l’implication directe des citoyens au gouvernement des affaires publiques (Sabiha 2018 : 9). Elle constitue donc, un système mixte entre la démocratie représentative et la démocratie directe. Par ailleurs, certains auteurs estiment que le vocable « démocratie participative » est un pléonasme dans le sens où dans quelle mesure une gouvernance est démocratique si elle n’est pas participative (Bischoff & Aldegani 2016 : 2016 : 1) ? Alors que la démocratie économique et sociale s’identifie à une société dans laquelle « sont exclues les inégalités dues aux aléas de la vie économique, où chacun peut faire valoir un droit à obtenir de la société une protection contre les risques de la vie. Elle vise à établir entre les individus une égalité de fait que leur liberté théorique est impuissante à assurer » (Burdeau 1974 : 58).

L’intérêt d’une telle étude réside dans l’examen des représentations politiques que sont les élus et dans l’interrogation approfondie sur les manières de réguler les rapports sociopolitiques entre les citoyens, les élus et l’Etat, se référant à la théorie de la séparation de pouvoir et de la souveraineté nationale. Au vu du faible niveau de participation politique des citoyens, des obstacles à l’exercice de la souveraineté active, de l’absence des voix des citoyens dans le processus de décision, du désagrément et de l’absence de confiance des citoyens envers les élus et les institutions politiques, nombre de questions se posent. Quel rôle jouent les élus pour sortir les citoyens de la confusion entretenue sur le rôle des élus à l’opposé du pouvoir exécutif et des organisations caritatives ? Quelles sont les chances de la démocratie participative, économique et sociale dans une République sujette à de nombreux défis socio-économiques et politiques pour les élus et les électeurs ?

Le défi majeur pour notre étude reste de déterminer quelles sont les capacités des élus de répondre à la transformation de la société pour conserver la confiance leur exprimée par le souverain primaire dans le respect du principe de la démocratie représentative. En plus, nous estimons que seule la circonscription qui réalisera une différence entre le rôle des élus et celui de l’exécutif ainsi que des organisations philanthropiques autour d’une vision politique consensuelle obtiendra des élus dignes de confiance. Ceci, sans référence aux sommes d’argent, aux biens matériels et autres distribués avant l’exercice des leurs fonctions. De même, tant que l’enjeu central du rôle des élus ne sera pas le bien-être de la nation et du souverain primaire, cette tentative de la démocratie participative, économique et sociale sera d’avance condamnée aux crises de confiance exacerbées par des critiques négatives et destructrices.

En définitive, notre analyse s’est appuyée sur la méthode dialectique qui nous sera utile car elle privilégie la recherche des contradictions au sein de cette réalité, en mettant en relief, derrière l’apparente unité du réel, les tensions, les oppositions, les conflits, les luttes, les contraires et les contradictoires (Loubet cité par Kuyunsa & Shomba 1995 : 123 ). La méthode juridique qui consistera en une double démarche d’analyse des textes juridiques et des conditions d’exploration de leur édiction, de l’interprétation et de l’application qui en sont effectuées par les différents acteurs sociaux destinataires de la norme de droit (Eisenmann cité par Nach 2003 : 45).

Outre l’introduction et la conclusion, les points suivants font l’objet de développement dans le cadre de notre analyse :

  1. élus et leurs rôles : regard et fondement sur la démocratie représentative ;
  2. défis, enjeux et perspectives du rôle des élus : réalités et portée, et enfin
  3. de la démocratie représentative à la démocratie participative, économique et sociale.

1. Élus et leurs rôles : regard et fondement sur la démocratie représentative

Ici, nous voudrions d’abord définir brièvement la démocratie représentative, avant de préciser les fonctions qui sont assignées aux élus dans le contexte général et celui de la RDC.

1.1. Démocratie représentative en RDC

La démocratie représentative a pour principe fondamental la souveraineté nationale. Dans sa dimension juridique, elle est comprise comme « le régime politique où, ni individu, ni un groupe, ne s’approprie le pouvoir, ses titulaires sont désignés par le peuple, par voie d’élections périodiques et sont contrôlés par lui » (Ardant 2006 : 145). En fait, en l’absence en droit congolais, d’un mandat impératif, c’est lors des élections que les élus sont évalués concernant leurs mérites ou insuffisances de rôles leurs confiés par le souverain primaire après chaque cinq ans de mandat renouvelable. Dans sa dimension politique, la démocratie représentative se présente comme une référence mobilisatrice, « sa puissance d’évocation ne réside pas dans son aptitude à rendre compte littéralement des pratiques politiques effectives, sa vertu est plutôt d’alimenter une vision légitimatrice d’attentes, d’exigences et d’espérances » (Braud 1997 : 61). Les élus se mobilisent par tous les moyens légaux et politiques pour la vulgarisation de leurs programmes d’action, afin d’y faire adhérer en masse les citoyens. L’importance de ces programmes vulgarisés réside dans la responsabilité politique qui consiste à évaluer les élus à la fin de leurs mandats.

La Constitution du 18 février 2006, telle que modifiée, définit la RDC comme un État de droit et démocratique (voir Constitution RDC 2006 : art. 1 al. 1). Dans ce contexte, elle affirme, au préambule, en son paragraphe 3, la volonté commune du Peuple congolais de bâtir « au cœur de l’Afrique un État de droit et une Nation puissante et prospère fondée sur une véritable démocratie politique, économique, sociale et culturelle ». Par la suite, ladite Constitution définit dans l’exposé des motifs de principe démocratique : « par ailleurs, la présente Constitution réaffirme le principe démocratique selon lequel tout pouvoir émane du peuple en tant que souverain primaire » (Constitution RDC 2006 : § 5, point 1). La souveraineté nationale est donc populaire. Toutefois, son exercice peut être direct ou indirect. L’exercice de la souveraineté est confié au peuple lui-même, c’est-à-dire l’ensemble des électeurs (Pactet & Mélin 2008 : 347), par la voie du référendum et aux représentants qu’il a lui-même désignés. Cette volonté d’équilibre entre l’expression directe du peuple et le régime représentatif est confirmée par l’article 5, alinéa 2 de la même Constitution qui dispose que l’exercice de la souveraineté ne peut être attribué à « aucune fraction du peuple, ni à aucun individu ». Sur ce, l’élection des élus est soumise au suffrage universel direct, ce qui renforce l’intervention directe du peuple et fait de celui- ci un représentant de la nation et donc l’incarnation de la souveraineté nationale. Dès lors, les élus ne représentent pas le corps électoral. Par contre, ils sont l’émanation et le fruit de la confiance du peuple. Dans ce contexte, comment les élus exercent-ils leurs rôles ?

1.2. Fonctions parlementaires : rôle des élus

Pendant la session ordinaire ou extraordinaire, « les élus ont pour rôle principal de voter les lois. Ils ont autant le rôle de contrôler le Gouvernement, les entreprises publiques ainsi que les établissements et les services publics » (voir Constitution RDC 2006 : art. 100 al. 2). Et donc, ils ont le pouvoir d’élaborer et de voter les règles que le Gouvernement est tenu d’observer dans son action et qu’il ne peut pas modifier, en vertu du principe de légalité (Duverger 1973 : 159). Ils votent la loi des finances de l’année ou le budget qui prévoit et autorise, pour chaque année civile, l’ensemble des ressources (recettes) et de charges (dépenses) de l’Etat. En tant que législateur, les élus ont l’obligation de faire adopter des orientations, élaborer des plans d’actions et initier la proposition de loi, son amendement et sa modification. En plus, les élus ont l’obligation de s’assurer que les services offerts par le Gouvernement ainsi que les lois des finances répondent aux attentes du souverain primaire. A ce titre, « les parlementaires ont l’obligation individuelle de défendre les intérêts de leurs électeurs, de s’opposer aux politiques qu’ils estiment dérayées ou nocives, même lorsqu’elles sont soutenues par leur propre parti politique » (Beetham 2006 : 233).

Pendant la période des vacances parlementaires, ils ont l’obligation de se tenir au courant des préoccupations et des projets d’intérêt général de leurs électeurs envers qui ils ont une responsabilité politique. Ils ont également l’obligation de les consulter au besoin. Ils peuvent s’adonner aux travaux personnels de contacts et de réflexions ou de négociations visant à répondre à quelques préoccupations de la contrée. Ils peuvent participer aux réunions des groupes politiques ou des groupes parlementaires et aux diverses réunions. A la fin des vacances parlementaires, les élus dressent et déposent leurs rapports sur la vie politico-administrative, socio-économique et culturelle de leur circonscription au Bureau du Parlement. Ils proposent des solutions idoines aux problèmes, aux préoccupations et aux attentes du souverain primaire. L’audition du rapport des vacances parlementaires est réalisée par des commissions ad hoc. Ces dernières peuvent requérir la présence des membres du Gouvernement, des autres Institutions et des experts, pour le rendre opérationnel au besoin.

En outre, au titre du contrôle, les élus exercent le contrôle sur la mise en œuvre des décisions, sur l’application des lois, sur la réalisation des décisions et des prévisions budgétaires. Dans cette optique, ils ont l’obligation de viser l’efficacité et l’efficience de l’utilisation rationnelle des ressources publiques pour répondre aux attentes quotidiennes des citoyens. Les élus participent au contrôle et à l’information parlementaire par les moyens de contrôle ci-après : la question orale ou écrite avec ou sans débat non suivie de vote, la question d’actualité, l’interpellation, l’enquête et l’audition par les commissions. Le contrôle peut donner lieu, le cas échéant, à la motion de défiance ou de censure.

De toute évidence, le bilan des élus prouve qu’ils ne sont pas les détenteurs réels du pouvoir politique et de la représentation nationale ainsi que les défenseurs des intérêts de la nation mais plutôt des intérêts populistes, clientélistes et de leurs partis politiques. A ce sujet, nous convenons avec Somali (Somali 2008 : 11) que la réponse est négative au regard des nombreuses prises de position doctrinales quasi unanime sur le déclin du parlement dans le monde.

2. Défis et enjeux du rôle des élus : Réalités et portée

Le rôle que les élus sont censés jouer connait une certaine crise. Il est remis en question par certaines pratiques, notamment la démagogie, le clientélisme et le populisme. Les conséquences qui en découlent nécessitent de reconsidérer ce rôle.

2.1. Remise en cause du rôle des élus en RDC

Le nœud des problèmes réside dans les engagements irréalisables et fallacieux que les candidats prennent et sont qualifiés de la « démagogie » et du « populisme » en s’appropriant les prérogatives de pouvoir exécutif. La démagogie revient à flatter, à exciter ou à exploiter les passions populaires dans le but d’obtenir, en retour, le soutien des citoyens pour conquérir ou conserver le pouvoir, sans se préoccuper réellement de leurs intérêts (Sadry 2007 : 74). Alors que le populisme est « une forme de démagogie qui consiste à dire qu’il est possible de résoudre tous les problèmes sur l’instant à condition de neutraliser ceux qui, élites, institutions, groupes ethniques, bloqueraient les volontés de changement » (Hermet 2006, cité par Sadry 2007 : 293). Par ces actes, les élus s’approprient des prérogatives relevant du pouvoir exécutif pour duper les électeurs. Ils promettent notamment des constructions et/ou des réhabilitations de structures sanitaires, scolaires, universitaires, de routes des dessertes agricoles, d’intérêt provincial et national, voir même de création d’emplois aux jeunes et de mettre fin à l’insécurité.

A cela s’ajoute, le « clientélisme » qui s’entend comme « une faveur injustifiée accordée à une personne, souvent en échange de son vote » (Sadry 2007 : 91). Son but est bien immoral puisqu’il s’agit de satisfaire les demandes privées et personnelles des électeurs dans le but de les fidéliser et de les rendre tributaires (Sadry 2007 : 91). Les exemples sont légions. Les élus font usage des ruses notamment des dons ponctuels : la distribution des sels, des savons, des habits, des boissons, des tôles, des instruments de musique aux églises, des vareuses aux clubs sportifs, des ustensiles des ménages pour les organisations et mutualités ; l’octroi ou la promesse des postes dans les services publics, ou dans des organisations non gouvernementales de développement,… Ces pratiques clientélistes qui ne bénéficient qu’à un nombre restreint de citoyens constituent bien l’un des éléments d’une certaine faillite morale des hommes politiques puisque chacun essaie, à sa manière, de tirer profit du système (Sadry 2007 : 93). Elle favorise, à n’en pas douter, la contestation des représentants chez les citoyens qui n’ont pas accès à ce genre d’avantage (Sadry 2007 : 93).

Le « mot d’ordre de parti politique » encré sur la partitocratie qui est un « système politique où les partis dominent l’ensemble du mécanisme décisionnel » (Sadry 2007 : 93). Elle se matérialise de deux façons : soit les décisions politiques principales sont prises par les états-majors des partis puis ratifiées par les institutions de l’Etat, soit l’exercice du pouvoir résulte davantage des accords entre partis que des règles constitutionnelles (Sadry 2007 : 115). Dans cette perspective, les entreprises publiques et l’administration publique, qui en principe demeurent apolitiques, sont gérées par les militants des partis politiques au détriment de l’intérêt général mais plutôt des intérêts des partis politiques et de leurs autorités morales. De plus, pendant la 3ème République, rares sont les élus qui ont soutenu l’intérêt général en osant mettre en cause la responsabilité politique du Gouvernement et des responsables des entreprises et des services publiques. Plusieurs cas de l’inefficacité des actions gouvernementales se sont révélés pendant cette République ; cependant, dans les rares cas de l’exercice effectif du rôle des élus, par certains d’entre eux, le Gouvernement de la République a été toujours protégé au détriment de l’intérêt général, d’autant plus que les états-majors de partis ont décidé de protéger leurs intérêts égocentriques (des partis politiques) vis-à-vis de l’intérêt général. La motion de censure initiée contre le Gouvernement Augustin Matata Ponyon Mapon en 2012 et 2016 en est une illustration.

2.2. Conséquences visibles

Ce qui en découle comme conséquence visible, c’est l’inefficacité des actions parlementaires et gouvernementales ainsi que le désintéressement des électeurs à la vie politique. Face à cette inefficacité dans la résolution des multiples problèmes socioéconomiques pendant la 3ème République, les élus ont montré les limites de leurs actions. Partant, ils deviennent de plus en plus contestés. Cette situation a entrainé non seulement l’abstentionnisme aux urnes et une crise de représentation politique, de méfiance, des critiques destructives et négatives mais aussi un désintéressement de la vie politique par les citoyens. Ces derniers participent souvent aux opérations d’enrôlement des électeurs seulement pour cause d’obtention de carte d’électeur jouant pendant la 3ème République le rôle de carte d’identité. Les citoyens participent à quelques opérations électorales telles que la campagne des candidats aux élections pour subvenir à leurs besoins par des miettes matérielles ou financières qui leurs sont distribuées par lesdits candidats. Cette attitude est justifiée au regard de la crise économique et la pauvreté que traverse la RDC. Les élus ne paraissent plus à répondre aux désirs des citoyens. Et donc, les citoyens se découragent dans la pratique électorale et deviennent inactifs dans l’alternance politique. A titre illustratif du désintéressement des électeurs, il sied de noter qu’aux élections législatives nationales de 2006, il y a eu 25.420.199 électeurs inscrits, dont 7.488.961 abstentions aux urnes soit 29,46%. Ce taux a augmenté aux élections législatives nationales de 2011 où il y a eu 41,18% d’abstention soit 13.110.549 abstentions sur 32.024.640 électeurs inscrits. Dans ce contexte, reconsidérer le rôle des élus dans une démocratie représentative est une nécessité pour renouveler l’espoir aux citoyens qui élisent leurs représentants afin de trouver de nouveaux dynamismes et évolution en fonction des leurs préoccupations face aux défis socioéconomiques et politiques.

2.3. Reconsidération du rôle des élus en RDC : de la démocratie représentative à la démocratie plus participative

Face aux défis relatifs à la remise en cause du rôle des élus en RDC, le choix d’une démocratie plus participative, où les électeurs seraient invités à intervenir de façon plus directe et plus régulière dans les décisions d’intérêt général et la gestion de la chose publique, est proposée. Faut-il rappeler que la démocratie représentative est incontournable dans les États modernes et demeure le système le plus classique de gouvernement, aussi bien pour un petit État que pour un État beaucoup plus grand (Sadry 2007 : 288). En dépit, de la dimension territoriale et démographique de la RDC, les performances de nouvelles technologies de l’information et de communication entre autre le développement d’Internet et des réseaux sociaux pourraient soutenir l’alternative du régime de la démocratie plus directe et participative. Cette position est renforcée par Prélot (Prélot 1973 : 10) qui explique que « si les études des Cités grecques montrent à l’évidence que le gouvernement direct ne devait pas dépasser les limites d’un cercle défini par la portée de la voix humaine, le développement contemporain des moyens de communication de masse, journaux d’abord, radio et télévision ensuite, donne désormais à la voix humaine une portée singulière plus étendue ». Désormais, le forum d’échanges citoyens sur le site des institutions politiques de la République peut contribuer considérablement à la mise en œuvre de la démocratie plus participative. Dans cette perspective, les rapports entre les élus et les électeurs peuvent être améliorés. Ces derniers doivent s’assurer que, leurs préoccupations sont bien prises en compte et non tripatouillées et que leurs élus sont épris de l’idée de défendre leurs intérêts et qu’ils ne sont pas dans le clientélisme, le populisme et la partitocratie.

L’alternative de la démocratie participative, économique et sociale est également proposée. La reconsidération du rôle d’un élu doit passer par la réduction de train de vie des institutions démocratiques représentatives en réponse aux crises socioéconomiques que traverse le souverain primaire. Un débat qui a rebondi plusieurs fois dans les salons politiques congolais mais confronté à une forte opposition de la majorité des élus qui ne jurent que par leurs intérêts individualistes au détriment de ceux du souverain primaire. Faut-il encore rappeler que, pour reconsidérer le rôle des élus, il va falloir procéder par voter une loi qui interdit de distributions des dons divers et de l’argent pendant les campagnes électorales. Mais alors, il faut plutôt, favoriser la vulgarisation d’une vision politique capable de relever les défis sociaux et économiques de la région, tout en faisant participer les citoyens à l’appropriation et à la réalisation de cette vision. Pour ce faire, les nouvelles dispositions constitutionnelles et législatives en perspectives devraient être mises en place concernant la limitation des partis politiques en RDC et l’interdiction formelle de distribution des dons et sommes d’argent, sous peine d’annulation des votes des candidats qui s’adonnent à ce genre des pratiques.

3. De la démocratie représentative à la démocratie participative, économique et sociale

La notion de la démocratie participative est apparue à une époque où les Etats semblent être dépassés face aux multiples enjeux et demandes de différents acteurs de la société (Bischoff & Aldegani 2016 : 1). Nous pensons que ce postulat est aussi vrai pour la démocratie économique et sociale. De même, le rôle des élus dans la démocratie représentative pendant la 3ème République n’a pas fait exception à ce constat.

3.1. Utilité de la démocratie participative

La démocratie participative, au sens restreint du terme « peut-être caractérisée comme une combinaison des structures classiques de la démocratie représentative avec des procédures de démocratie directe ou semi-directe dotées d’un pouvoir décisionnel et pas simplement consultatif (…) ce modèle implique l’articulation de dynamiques Botton-up et top-down et une politique d’inversion des priorités sociales appuyées sur la structure participative » (Bacqué & Sintomer 2011 : 288). Or, l’expérience de la démocratie représentative a été un fiasco « avant tout et d’abord » pour plusieurs raisons entre autre la démagogie, l’inefficacité des actions parlementaires et le mot d’ordre des partis politiques qui prime sur l’intérêt de la nation. De plus, le contact est coupé entre certains élus et le souverain primaire, car les élus refusent de se présenter de façon régulière dans leur base. Ceci, renforce une fois de plus les tensions et les crises de la représentation.

En effet, derrière l’ensemble des enjeux de la démocratie participative, se trouve aussi une position épistémologique qui défend que la combinaison ou la confrontation d’une pluralité de savoirs est bénéfique pour la recherche de la meilleure solution et que les savoirs citoyens ont dans ce cadre un rôle important à jouer (Bacqué & Sintomer 2011 : 288). Dans ce sens, la démocratie participative a pour objectif fondamental d’associer les citoyens à la prise de décision. Pour une réussite réelle, la participation effective des citoyens est une nécessité, d’autant plus qu’un certain pouvoir décisionnel est offert au citoyen. Elle a pour avantage l’optimisation de la gestion des choses publiques, la création de liens de cohésion sociale et de faire participer et impliquer dans la vie politique des citoyens au processus de décision. La démocratie participative pourrait permettre de baisser les tensions et les conflits potentiels entre les élus et leurs électeurs. De même elle pourrait aussi permettre d’avoir connaissance en temps réel des attentes et préoccupations majeures de la base et aussi d’être informés des actions du Gouvernement et du Parlement en faveur des électeurs. Dès lors, elle pourrait créer une cohésion sociale et une confiance mutuelle à travers un dialogue permanent d’échanges et des concertations entre tous les acteurs en vue de produire un consensus autour d’une vision politique pour un intérêt commun. Par conséquent, elle pourrait renforcer l’adhésion des citoyens au programme politique du régime et les citoyens deviennent des partenaires des élus. De ce fait, parler de la démocratie participative oblige à parler de gouvernance (Bischoff & Aldegani 2016 : 2), par conséquent de la démocratie économique et sociale.

3.2. Quid de la démocratie économique et sociale ?

Comme dit plus haut, la démocratie représentative n’est pas au mieux de sa forme en RDC. L’accumulation des facteurs de crise socioéconomique provoque une remise en cause de la légitimité de l’Etat, des élus et du modèle démocratique du Gouvernement. Au cœur du projet de l’économie sociale, la gouvernance démocratique est une volonté de faire participer activement au-delà du système institutionnel politique les acteurs non étatiques notamment les hommes, les femmes, les jeunes, les médias et les organisations de la société civile aux mécanismes de décision. Dans cette perspective, la démocratie est à la fois une caractéristique statutaire et un ensemble de pratiques voire, parfois, un but (Bimont, 2021 : 7). A divers degrés elle irrigue la gouvernance des organisations, c’est-à-dire la manière dont le processus de décisions et les responsabilités sont distribuées (Bimont, 2021 : 7).

En effet, le numéro spécial de Hermès sur « économie solidaire et démocratie », met en évidence un apport double de l’économie sociale et solidaire (ESS) à la démocratie : l’ESS contribue à la démocratie sociale et politique en favorisant la participation de chacun à la vie de la cité, construisant des « espaces publics de proximité » (Dacheux & Laville 2003, cité par Rousselière 2004 : 8) ; elle participe également (et de ce fait) comme forme d’organisation « localisée » à une « démocratisation de l’économie » (Fraisse 2003 : 137-145). Economiquement et socialement, le profit de la démocratie s’analyse dans l’existence, au sein de la collectivité, de conditions de vie assurant à chacun la sécurité et l’aisance requise pour son bonheur (Sadry 2007 : 299). La transformation de la démocratie politique en démocratie économique et sociale se résume ainsi à l’intervention croissante d’un pouvoir « dont les individus attendent de plus en plus de sécurité et aboutit à une limitation des droits en même temps qu’à l’extension des droits » (Debbasch & Pontier 1995 : 116).

La démocratie économique et sociale comme outil de gouvernance, donne un certain pouvoir instrumental aux citoyens dans le but de la gestion modernisée de la chose publique. Ce pouvoir représente un avantage dans l’efficacité de la gestion de l’action publique. De même, elle introduit le système de partenariat public-privé qui vise à introduire le secteur privé essentiellement constitué des citoyens à prendre part dans les dispositifs dont ils étaient exclus. En plus, elle permet aussi à ce que les citoyens impliqués ne participent pas seulement à la prise de décision mais qu’ils contribuent à la réalisation des projets de développement communautaire. A ce sujet, nous convenons avec Bernard Jouve que, la question participative entre clairement dans le périmètre de la problématique de la gouvernance urbaine, en particulier à travers « l’émergence d’une société civile plus organisée politiquement et demandant une valorisation de la démocratie participative dans les processus décisionnels » (Jouve 2003 : 3).

Conclusion

Les expériences démocratiques de la 3ème République portant sur le rôle des élus, les actions parlementaires c’est-à-dire des élus ont révélé tout d’abord quelques espoirs et rêves. Par la suite se sont révélées de quelques craintes, illusions, protestations et frustrations, pour aboutir enfin à la remise en cause du rôle des élus. Dès lors, les électeurs, en choisissant leurs représentants, attendent de ceux-ci une gestion efficace et efficiente de la chose publique. En effet, il y a eu le constat de l’effondrement politique évident qui a fait perdre confiance des électeurs dans leurs représentants (élus). Cet effondrement politique se manifeste notamment dans le caractère représentatif du rôle des élus, la nullité de mandat impératif, l’échec des engagements pris pendant les propagandes, l’inefficacité des actions parlementaires et gouvernementales exacerbées par la démagogie, le clientélisme, le populisme, le phénomène « mot d’ordre des partis politiques et des autorités morales ». Cela a engendré des frustrations, caractérisées par la remise en cause du rôle des élus, objet des critiques négatives, destructrices et des sanctions politiques négatives. La reconsidération de rôle des élus spécifiquement de l’institution « Parlement » est une nécessité pour la RDC, cependant, elle demeure encore une lutte permanente et incessante avec, comme objectifs, de répondre aux préoccupations des citoyens : assurer la gestion efficace et stable de la chose publique ainsi que de la sécurité de la population et leur bien. Il serait utile de combiner la démocratie représentative avec la démocratie participative, économique et sociale. Dans les faits, ce nouveau modèle assure une participation plus effective et directe du souverain primaire à la vie de la nation, quand bien même, ses effets risquent de demeurer marginalisés.

Références bibliographiques

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Auteur

Guerschom  DRAMANI PILO
Enseignant-Chercheur
Université Officielle de Semuliki-Beni (RDC)
Faculté de Droit
Département du Droit Economique et Social
Avocat au Barreau de la Tshopo (RDC)
Courriel : dramaniguerschom@gmail.com

 © Édition électronique

 URL – Revue Espaces Africains  https://espacesafricains.org/
Courriel – Revue Espaces Africains : revue@espacesafricains.org
ISSN : 2957-9279
Courriel – Groupe de recherche PoSTer : poster_ujlog@espaces.africians.org
URL – Groupe PoSTer  https://espacesafricains.org/poster/

© Éditeur
– Groupe de recherche Populations, Sociétés et Territoires (PoSTer) de l’UJLoG
– Université Jean Lorougnon Guédé (UJLoG) – Daloa (Côte d’Ivoire)

© Référence électronique

Guerschom DRAMANI PILO, « Le rôle des élus dans une démocratie représentative : Cas de la 3ème République en République Démocratique du Congo », Revue Espaces Africains (En ligne), 2 | 2022 (Varia), Vol. 3, ISSN : 2957 – 9279, mis en ligne le 30 décembre 2022.