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Revue Espaces Africains - Groupe de recherche pluridisciplinaire et international « Populations, Sociétés & Territoires » (PoSTer)

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Nicolas NAKOUYE


Les déterminants de la périurbanisation de la ville de Saint-Louis (Sénégal)

The determinants of the periurbanization of the city of Saint-Louis (Sénégal)


Nicolas NAKOUYE

Résumé

La ville de Saint-Louis a connu une forte croissance ces décennies 2000-2020. Une croissance qui a saturé son territoire communal et engendré la colonisation de ses périphéries. Cette étude ambitionne de montrer comment la croissance démographique et le desserrement de certaines infrastructures sont à l’origine de la périurbanisation à Saint-Louis. La méthodologie empruntée s’articule autour d’une phase de recherche documentaire suivie des visites de terrain et de levés topographiques, d’enquêtes-ménages et d’entretiens. Les résultats obtenus montrent que la croissance démographique non maitrisée surprend les autorités en charge de la gestion urbaine. Les populations, fragilisées par la pauvreté, sont exposées aux contraintes résidentielles et recourent à l’exurbanisation à cause de l’accès au foncier à usage d’habitat en périphérie et le transport routier. Aussi, l’implantation de des infrastructures pourvoyeuses d’emplois augmente l’intérêt de ces territoires périphériques de la ville devenus un exutoire démographique. Ce qui engendre des dynamiques urbaines, cependant différenciées, dans les différentes périphéries et l’étalement de l’agglomération. Cette étude permet de remarquer que ce sont les contraintes résidentielles en ville et le desserrement de l’activité qui expliquent les dynamiques socio-territoriales en périphérie.

Mots-clés : démographie, emploi, logement, exutoire, exurbanisation, périurbanisation.

Abstract

The city of Saint-Louis has experienced strong growth in the decades 2000-2020. A growth that has saturated its municipal territory and led to the colonization of its outskirts. This study aims to show how demographic growth and the loosening of certain infrastructures are at the origin of peri-urbanization in Saint-Louis. The methodology adopted revolves around a documentary research phase followed by field visits and topographical surveys, household surveys and interviews. The results obtained show that uncontrolled demographic growth surprises the authorities in charge of urban management. The populations, weakened by poverty, are exposed to residential constraints and resort to exurbanization because of access to land for residential use on the outskirts and road transport. Also, the establishment of job-providing infrastructures increases the interest of these peripheral territories of the city, which have become a demographic outlet. This generates urban dynamics, however differentiated, in the different peripheries and the sprawl of the agglomeration. This study shows that it is the residential constraints in the city and the relaxation of activity that explain the socio-territorial dynamics on the outskirts.

Keywords : demography, employment, housing, outle, exurbanization, suburbanization.

Introduction

Les facteurs de la périurbanisation sont multiples et varient selon le contexte de sa réalisation qui, par ailleurs, semble assujettie au niveau de développement du pays. Ce niveau de développement permet ou non l’exécution des opérations urbanistiques telles que l’anticipation de l’installation des populations par la viabilisation des espaces cibles. Or, dans les pays du sud, les autorités en charge de la gestion urbaine sont souvent dépassées par le rythme de croissance démographique qui engendre un besoin de logement que les populations satisfont par la colonisation des territoires périphériques des villes : l’exurbanisation ou la désurbanisation (Guieysse et Rebour 2012 : 9). Cette situation s’applique aisément dans la ville de Saint-Louis dont le choix du site, à sa création, était obsidional car propre à conjurer toute menace d’attaque par des conquérants étrangers (Bonnardel 1992 : 24). La ville est donc restée confinée sur un espace fragmenté et amphibie (Sow 2005 : 102) par les défluents estuariens du fleuve Sénégal où les marécages et mares temporaires limitent considérablement l’extension continue de son tissu urbain. Cependant, en dépit de la morphologie de son site, la ville subit, à l’image des principaux centres urbains du Sahel, une forte pression démographique entretenue par le croit naturel local et l’exode rural dû à la dégradation des conditions climatiques dans le monde rural avec son corollaire, la déprise agricole (Wade 2014 : 96). Polarisant le quart nord du pays, la ville de Saint-Louis présente alors la « macrocéphalie » urbaine à l’échelle régionale. L’exiguïté de l’espace habitable et les inondations récurrentes consécutives au retour des pluies dans la décennie 90, ont accentué le problème et le renchérissement du logement. Les ruptures géographiques de la ville la rendent donc incapable de satisfaire la demande de logement d’une population sans cesse croissante et d’accueillir des infrastructures requérant une certaine superficie. Alors, ses périphéries demeurent sur la base des orientations des documents –

cadres d’urbanisme (SDAU 1975, PDC 1999, PDU 2002, PDC 2005) le secteur idéal pour supporter son extension. Ainsi, l’entrée en fonction de l’Université Gaston Berger (UGB) en 1990, avec les emplois directs qu’elle offre et ceux suscités par sa présence dans un milieu anciennement rural, a été le facteur déclencheur de l’étalement spatial de Saint-Louis et de sa périurbanisation non planifiée par les autorités aussi bien étatiques que municipales. Ces territoires périurbains tiennent donc leur recomposition d’un ensemble de déterminants dont la croissance démographique de la ville, l’accès au foncier à usage d’habitat, leur desserte par le transport routier et un dynamisme économique avéré. Ces facteurs vont à leur tour engendrer le dynamisme démographique, facteur et conséquence de la croissance périurbaine.

L’objectif de cette étude est de montrer comment les contraintes résidentielles liées à la saturation du périmètre communal par la croissance démographique ainsi que les opportunités économiques dans les périphéries de la ville de Saint-Louis sont à l’origine des dynamiques urbaines en cours.

1. Présentation de l’espace étudié

L’espace d’étude concerne les parties au Sud, à l’Est et au Nord-Est de la ville de Saint-Louis. Nous les subdivisons en deux parties :« La presqu’île du Toubé » composée la périphérie australe (partie Sud) qui va de Gueumbeul à Ndiébène Toubé et Périphérie Centrale allant de Ndiébène Toubé au Djeuss, limitée au nord-est et à l’Est par le Ngallam et enfin la périphérie septentrionale (partie Nord-Est) allant du Ngallam à Mbarigot (fig. 1). La périphérie australe offre peu d’espace exondé aux abords immédiats de la ville. Le bas niveau du sol (qui dépasse rarement quatre (04) mètres par rapport au niveau de la mer) et son caractère estuarien, largement occupé par le fleuve et des vasières submersibles, facilitent l’inondation en hivernage par la stagnation des eaux de pluie. Ce qui explique son peu d’intérêt en dépit de sa proximité de la ville et son accessibilité. La périphérie orientale, s’inscrit entièrement sur la presqu’île du Toubé. Son dynamisme s’explique par l’implantation d’infrastructures mutagènes des territoires, déclencheurs du processus de transformation des espaces périurbains comme l’université qui joue aujourd’hui le rôle de véritable nœud de réseaux d’établissements humains selon (Wade 2014 : 36). Quant à la périphérie septentrionale, elle doit son dynamisme au développement de l’agro-business, démarré suite à l’implantation des Grands Domaines du Sénégal (GDS), avec les mêmes corrélats socio-territoriaux précédemment stipulés.

Fig. 1 : Localisation et présentation de la zone d’étude

2. Méthodologie : outils et méthodes

Pour montrer les déterminants de la périurbanisation dans les villes sahéliennes par l’exemple de Saint-Louis, il convient d’analyser sa croissance urbaine et les opportunités que recèlent ses territoires périphériques justifiant leur attractivité. Ce qui nous amène à aborder cette recherche en tentant d’appréhender l’évolution de son peuplement avant de considérer les facteurs morphologiques, économiques et démographiques de ses périphéries.

L’approche méthodologique empruntée dans ce travail d’étude et de recherche s’articule autour d’une phase de recherche documentaire qui a permis d’appréhender les facteurs mutagènes des territoires périphériques des villes, les enjeux, les différents acteurs et leurs niveaux d’implication dans le processus d’aménagement de ces espaces. Cette phase est suivie d’un travail de terrain qui est axé sur la collecte de données obtenues par des visites de terrain et de levés topographiques, d’enquêtes-ménages et d’entretiens avec les populations (autochtones et allogènes), les DRH des infrastructures pourvoyeuses d’emploi qui sont implantées dans la zone d’étude, les autorités déconcentrées (Services Régionaux de l’Urbanisme, des Domaines, du Cadastre, de l’Aménagement du Territoire, de la Sécurité publique) et décentralisées (Conseils Municipaux de Saint-Louis, Gandon et Ndiébène Gandiole).

Les entretiens ont été faits à l’aide d’un guide dûment élaboré (en fonction des personnes ciblées) dont l’interview permet de recueillir des données en rapport avec l’évolution des fonctions et du peuplement de la ville, l’histoire et la monographie de ses villages périphériques, leur gestion et les relations qu’ils entretiennent avec la ville. Les visites de terrain et les levés topographiques ont permis d’identifier la morphologie du site de la ville de Saint-Louis, d’inventorier les ruptures géographiques qui expliquent l’exiguïté et la saturation de l’espace habitable dans un contexte de croissance démographique avérée. La même opération est menée sur les périphéries pour appréhender l’organisation de l’occupation spatiale.

Pour les enquêtes-ménages, un questionnaire a été utilisé pour inventorier les facteurs de colonisation des territoires périphériques de la ville de Saint-Louis et de mesurer l’évolution du phénomène à l’échelle des ménages. Les espaces enquêtés sont ceux caractérisés par des mutations remarquables dues à l’influence de la ville. Ces enquêtes-ménages ont ciblé les chefs ou responsables des ménages. Elles se sont intéressées aux autochtones et aux allogènes pour appréhender leurs contributions aux recompositions socio-territoriales de leur milieu de vie ainsi que les facteurs qui leur ont présidées. Dans ce cadre, les ménages ont constitué la population de référence et le ménage l’unité de base de l’échantillon.

À partir des données sur l’effectif des ménages (4.198), servies par l’Agence Nationale des Statistiques et de la Démographie (ANSD 2015 : 38) (ANSD, 2015) un échantillon correspondant au 1/10 du nombre total de ménages de l’espace étudié a été tiré en respectant le principe de l’équiprobabilité que tout ménage soit susceptible de figurer dans l’échantillon. Cet échantillon, assez représentatif, permet d’éviter des redondances dans les réponses, compte tenu de la similarité des conditions de vie des ménages et des facteurs de leur localisation. La procédure d’échantillonnage a consisté alors à diviser par 10 le nombre de ménages dans chaque village. Proportionnellement à ces effectifs dans chaque village, le nombre de ménages à enquêter a pu être déterminé. Tous les villages des périphéries immédiates de la ville de Saint-Louis ont été concernés par l’enquête.

Une fois sur le terrain, pour avoir une bonne distribution des ménages dans l’espace échantillon, un pas de sondage de 10, c’est-à-dire un (01) ménage sur dix (10), partant du premier identifié, soit 1/10ème du nombre total de ménages dans chaque village fut appliqué (tabl. 1 et 2). Cette approche a permis de couvrir correctement l’espace lors de l’enquête. La répartition spatiale des ménages enquêtés fut l’une des stratégies adoptées sur le terrain pour avoir une bonne représentativité dans l’étude. Cette activité de terrain s’est déroulée en Septembre 2021 et est fut menée par 08 étudiants choisis sur la base de leur expérience et répartis dans les différentes périphéries selon le nombre de ménages à interroger.

Tabl. 1 : Effectifs des ménages enquêtés de la population des périphéries de Saint-Louis

Sources : ANSD/RGHPE – 2015

Dans le cadre de cette étude, nous avons bénéficié de l’apport d’enquêteurs dont la répartition par aire d’activité et le nombre d’individus enquêtés sont présentés dans le tableau 2.

Tabl. 2 : répartition des enquêteurs dans les périphéries de Saint-Louis

L’administration des enquêtes est réalisée via les appareils mobiles à l’aide de l’outil Kobotool Box (ODK). Le traitement et l’analyse des données sont réalisés par des outils cartographiques et statistiques. Les traitements cartographiques ont été réalisés par les logiciels ArcMap qui ont permis la mise au point des cartes de localisation et des cartes thématiques de cet article. Les données quantitatives, issues des enquêtes sont traitées par IBM® SPSS® Statistics 26, un système complet d’analyse de données. SPSS Statistics peut utiliser des données pour générer des rapports mis en tableau, des diagrammes de distributions et de tendances, des statistiques descriptives et des analyses statistiques complexes. Cette approche méthodologique a permis de produire les résultats suivants.

3. Résultats

3.1. La croissance démographique de la ville Saint-Louis, facteur de la saturation de l’espace communal et l’exurbanisation

3.1.1. Les fondements historiques de la naissance de Saint-Louis : de l’influence coloniale a la vielle de l’indépendance

L’évolution spatiale de la ville de Saint-Louis à suivi plusieurs étapes en relation avec son histoire et aux différentes fonctions économiques, politiques et culturelles qu’elle a successivement ou concomitamment occupées. A sa création en 1659 sur l’île de Ndar par les Français avec la collaboration de la Compagnie du Cap-Vert et du Sénégal, le commerce était l’activité principale. Mais c’est au XIXe siècle que la ville amorcera son expansion grâce à une population de plus en plus nombreuse ; d’où la création du quartier de Ndar Toute en 1849, contigu au village de Guêt-Ndar sur la Langue de Barbarie. Ce quartier, Ndar Toute, ne sera loti qu’en 1886.

Dans le contexte d’occupation coloniale, la position stratégique de la ville en fit, en 1854, la capitale des territoires français de l’Afrique Occidentale sous l’autorité de Faidherbe. Pour les mêmes raisons de poussée démographique, le quartier de Sor (alors appelé Bouët Ville) fut créé. Pour faciliter la liaison entre les trois parties de la ville, le premier pont reliant l’Ile à la Langue de Barbarie fut construit en 1856 suivi de celui sur le fleuve, reliant l’Ile à Sor, en 1865 remplacé en 1897 par l’actuel « Pont Faidherbe ».

Avec l’acquisition de nouvelles fonctions administratives qui s’ajoutent à celles commerciales, la ville enregistre une population de plus en plus nombreuse et, l’Île étant saturée, son extension ne pouvait désormais se faire que dans le faubourg de Sor. Les premiers quartiers qui y sont établis, sur les quelques dunes entrecoupées par des vasières, vont vite se saturer à leur tour et le quartier de Pikine fut créé pour désengorger ceux de Diamagueune et Léona.

Selon le Plan Directeur d’Urbanisme (PDU) de Saint-Louis horizon 2025, de décembre 2002 et le Plan de Développement Communal (PDC) pour Saint-Louis 1998-2008, d’avril 2005, la forte baisse de 40 % de la population, notée entre 1907 (20 000 habitants) et 1938 (12 000 habitants) s’expliquera par le déménagement de la Capitale de l’Afrique Occidentale Française (AOF) à Dakar.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les réformes apportées par l’administration coloniale telles que la dissolution de l’AOF et l’autonomisation progressive des colonies par la formation des assemblées territoriales impacteront l’évolution de certaines villes dont Saint-Louis. En effet, en tant que capitale de la colonie du Sénégal, la ville verra son statut politique et administratif renforcé. Ce qui sera un facteur déterminant pour son attractivité, faisant passer sa population de 39 100 en 1955 à 48 800 habitants en 1961 ; soit une croissance de 24,81 % en six (06) ans.

3.1.2. La période postcoloniale marquée par une succession de textes réglementaires en relation avec la croissance permanente de la population

Selon le Programme de Développement Communal (PDC) 1998-2008 de juillet 1999 de Saint-Louis, le périmètre communal était de 1500 hectares, fixé par le décret No 61-270 du 28 juin 1961. La croissance continue de la population, dans un espace amphibie, présageait une saturation prochaine de ce périmètre qui évoluera par le décret No 67-252 du 08 mars 1967 à 4579,16 hectares, intégrant les villages de Ngallèle et Dakhar-Bango et leurs terroirs. Cependant, seuls 3632,85 hectares, soit 79,3 % de cette superficie communale sont constitués de terres exondées. Le reste, 946,31 hectares soit 20,7 % est occupé par l’eau. Malgré cette augmentation, le périmètre communal s’avérera incapable de satisfaire les besoins de logement d’une population qui connaîtra le taux d’évolution le plus élevé de son histoire récente (tabl. 3). En effet, cette population va « exploser » au lendemain de l’indépendance, passant à 81 204 habitants en 1970 ; une augmentation de 66,40 % en neuf (09) ans avant de fléchir fortement dans la première moitié de la décennie 70 passant à 88 400 habitants en 1976

Tabl. 3 : Évolution de la population urbaine de Saint-Louis (en milliers d’habitants)

NB : TE : Taux d’Évolution / Source : DPS, ANSD (2019), adapté par l’auteur

Le Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de Saint-Louis fut élaboré en 1975 prévoyant l’extension du périmètre communal à 12 800 hectares (fig. 2) afin de permettre le désengorgement de la ville sur sa zone continentale : « Ngallèle New Town ». Mais le retard dans l’aménagement ainsi que le manque d’enjeux et d’équipements d’accompagnement dans ce site sont autant de causes qui ont contribué à agglutiner la population dans la ville intra-muros, occupant irrégulièrement et anarchiquement les berges des cours d’eau et les dépressions, taries par la péjoration pluviométrique des décennies 70-80, énoncé précédemment. Il est à rappeler que cette période correspond à un exode rural massif à cause de la déprise de l’économie rurale qui est tributaire de la pluviométrie. La population passera ainsi de 88 400 habitants en 1976 à 115 300 habitants en 1988 ; soit une augmentation de 30,43% en 12 ans.

Fig. 2 : Proposition d’augmentation du périmètre communal de Saint-Louis par le SDAU de 1975

3.1.3. La mise en place d’équipements et d’infrastructures, le troisième moteur du dynamisme démographique de Saint-Louis

Dans la période allant de la fin des années 80 au début des années 90, trois événements vont faire de Saint-Louis une destination des candidats à l’émigration, expliquant la croissance de la population : la mise en eau du barrage de Diama en 1986, les travaux de l’hydraulique de la ville réalisés par SINCO et l’ouverture de l’UGB en 1990. Les opportunités économiques offertes ou engendrées par ces événements, dans un contexte économique difficile au niveau national, sont déclencheurs décisifs dans l’évolution de la population, la faisant passer à 154 555 habitants en 2002 (tabl. 3), soit un taux de croissance de 34,04 % en 14 ans. C’est durant cette période que les quartiers de Saint-Louis intra-muros sont saturés, suite au mitage des espaces interstitiels et à l’occupation irrégulière des zones basses et des lits majeurs des cours d’eau, précédemment taris par la péjoration pluviométrique. Comme l’illustre le fig.3, la forte croissance qui se maintient dans les périodes suivantes, 2002 à 2013 (tabl. 3) avec un taux d’évolution (TE) de 35,71 % en 11 ans, puis de 2013 à 2019 où le TE est à 17 % en 06 ans, aura des justifications supplémentaires en sus de celles précédentes. Si l’espoir de trouver du travail a animé les migrants de première génération qui s’installent et contribuent à la croissance naturelle de la population, les migrants de fraîche date sont animés par les opportunités d’affaires liée à la tertiarisation de l’économie.

Fig. 3 : Courbe d’évolution de la population de Saint-Louis de 1780 à 2019

      

Source : DPS, ANSD 2019, adaptée par NAKOUYE – 2020

Le retour des bonnes pluies au cours de la décennie 90 engendrera des inondations récurrentes dans ces bas-fonds occupés, zones de fluctuation du niveau du fleuve et exutoire du ruissellement pluvial. Il se crée alors un besoin de logement que la ville peine à satisfaire eut égard à la saturation du périmètre communal intra-muros.

En dépit de l’évolution du périmètre communal jusqu’en 1967 la ville reste incapable de satisfaire le besoin de logement d’une population dont les mouvements naturels ne sont plus les seuls facteurs de croissance dans un contexte économique différent. Ce qui explique la spontanéité et l’anarchie de l’occupation avec leur corollaire de risques multiples, dont les inondations fluviales et pluviales.

La mise en eau du barrage de Diama en 1986 permet la disponibilité d’eau douce dans les défluents du fleuve Sénégal qui arrosent la périphérie septentrionale de la ville. Ce qui va favoriser l’implantation progressive des entreprises agro-industrielles telles que les Grands Domaines du Sénégal (GDS), la Société de Culture Légumière (SCL), etc. En 1990, l’entrée en fonction de l’UGB, avec les emplois qu’elle offre et d’autres qu’elle suscite, incite le rapprochement et l’installation des employés (tabl. 4) et/ou des chercheurs d’emplois.

Tabl. 4 : Évolution du nombre des employés de l’UGB

Source : DRH Rectorat et CROUS – 2020

Un nombre d’employés qui a presque doublé durant la dernière décennie (2010-2020). Le barrage de Diama et l’UGB sont des facteurs qui suscitent un regain d’intérêt de la périphérie surtout au Nord-Est de la ville. Ces opportunités économiques sont les principaux facteurs explicatifs de la croissance de la population de Saint-Louis qui avait déjà débuté dans la décennie 80 (tabl. 2). Mais, la saturation de la ville intra-muros, ainsi précédemment montrée, à laquelle s’adjoignent les récurrentes inondations pluviales des quartiers populaires (Diamagueune, Guinaw Rail, Diaminar, Pikine, Darou), vont impulser la coulée humaine de la ville vers sa périphérie : c’est l’exurbanisation qui débute d’abord vers sa Périphérie Centrale suivie de la Périphérie Australe (fig. 4).

Fig. 4 : Les mouvements d’exurbanisation à Saint-Louis

3.1.4. La croissance démographique à Saint-Louis ou la forte influence des considérations socio-culturelles

Les facteurs généraux de la croissance de la population, par un taux d’accroissement naturel (TAN) élevé, dans les pays du sud, sont à chercher dans des considérations culturelles. En effet, dans la représentation sociale locale, la valeur d’une personne se détermine par sa situation matrimoniale. Même si l’âge de mariage est relevé autour de 22 ans pour les filles et 28 ans pour les garçons, en moyenne, la procréation demeure une obligation morale et sociale pour les couples. Au-delà de ces âges, une personne encore célibataire bénéficie de moins en moins de crédit social et fait l’objet d’interpellations de toutes sortes. Aussi, moins de deux ans après le mariage, lorsque le couple n’a toujours pas d’enfant, c’est encore des interpellations et des suggestions diverses.

La personne ne trouvant de l’équilibre social dans le ménage qu’en procréant, l’on se retrouve dans une situation où le taux de natalité est élevé face à un taux de mortalité en nette décroissance à cause des progrès de la médecine, de l’hygiène et des conditions de vie bien améliorées. Il s’y ajoute le régime matrimonial dû aux croyances religieuses car la population est à plus de 98 % de confession musulmane. La polygynie est fréquente. Les vieux couples (ceux ayant plus de trente-cinq ans de vie commune), soit plus de 60 % des autochtones interrogés sont aujourd’hui des foyers polygames. Dans cette situation, les coépouses sont comme engagées dans une compétition de maternité ; aucune n’acceptant d’avoir moins d’enfants que l’autre, tant qu’elle en est capable. A l’époque des travaux champêtres, la forte procréation se justifiait par le besoin de main d’œuvre agricole. Cette raison n’étant plus valable à cause de la déprise de l’économie rurale, c’est plutôt une question de positionnement social et d’héritage selon les réalités sociales et musulmanes. Du point de vue social, le nombre élevé d’enfants d’une femme présage une ascendance de cette dernière sur la famille. Quant aux réalités musulmanes, la femme qui a plus d’enfants verra ses derniers s’attribuer plus de parts d’héritage au décès du chef de famille ; l’enfant male ayant le double de la part de la fille.

Pour les jeunes couples (moins de vingt ans de mariage), la polygynie devient de plus en plus rare car seuls 5 % de cette catégorie de couples interrogés sont polygames et sont (autochtones ou allogènes) d’un niveau d’instruction bas (cycle élémentaire inachevé) voire non scolarisés. Cette catégorie reste insensible aux programmes de planification et de limitation de naissances tels que prônées par les autorités publiques dans le cadre de la politique antinataliste destinée à permettre une meilleure maîtrise démographique pour une planification rationnelle de sa gestion. Dans cette situation, on assiste à un rythme de croissance naturelle de la population assez élevée comme le montre le tabl. 5 qui met en exergue une forte évolution présentée par le tableau 6.

Tabl. 5 : Évolution de la population périurbaine selon les recensements de 1988, 2002 et 2013

Source : R.G.P.H., ANSD, 1988, 2002, 2013

Tabl. 6 : Taux d’évolution (TE) de la population périurbaine

Ménages Populations
Périodes 1988-2002 2002-2013 1988-2002 2002-2013
TE (en %) 14,34 65,94 75,26 133,27

Source : R.G.P.H., ANSD, 1988, 2002, 2013

Cette croissance de la population associe le croît naturel au solde migratoire très important surtout dans la décennie 2010.

3.2. Le dynamisme démographique, facteur puis conséquence de la croissance périurbaine

L’évolution de la population incite à analyser les facteurs qui la président. Ces facteurs, origine et conséquences de la densification et de l’étalement urbains dans la périphérie de Saint-Louis, se résument aux mouvements naturels internes et au solde migratoire positif. Mais cette évolution, bien que globalement positive (croissance), n’est pas identique dans l’espace (selon les secteurs) et dans le temps (selon les décennies de notre diachronie). Cette variation de la croissance s’explique par le fait que dans la première période, la périphérie (surtout Nord-Est) venait de prendre de l’intérêt après l’ouverture de l’UGB en 1990. L’implantation des étrangers était amorcée mais était restée timide à cause du caractère rural de la zone. Une ruralité à laquelle s’ajoutait le fait que la zone n’était pas suffisamment innervée par les différents réseaux urbains (que nous verrons prochainement). Ce qui rendait beaucoup de candidats à l’installation quelque peu circonspects. Dans cette période, la croissance était moins due à l’immigration qu’au croît naturel, les deux se combinant.

Les facteurs de croissance démographique sont multiples et assujettis à la nature des territoires. La ville de Saint-Louis doit la sienne à son histoire, aux différentes fonctions qu’elle a occupées : commerciales, administratives et culturelles. Il faut cependant y adjoindre le caractère amphibie de son périmètre communal. Ces ruptures géographies (Wade 2014 : 7) réduisent considérablement l’espace habitable engendrant son exigüité.

Dans le contexte d’une croissance démographique entretenue par un croît naturel élevé et un solde migratoire positif, cet espace se sature progressivement et pose un réel problème de logement renchéri par les inondations récurrentes depuis la décennie 1990, dues au retour des pluies. L’alternative des populations reste alors la migration vers les périphéries immédiates de la ville. Cette exurbanisation est facilitée par la disponibilité foncière, l’attraction que le desserrement des infrastructures pourvoyeuses d’emplois exerce sur certains et le transport routier. Cependant ces périphéries ne sont ni équidistantes de la ville et n’ont pas les mêmes réserves foncières (fig. 4) autant que leurs fonctions sont différentes.

3.2.1. La croissance démographique due au solde migratoire positif : exurbains et immigrants externes

Certains autres facteurs comme la rente foncière, la desserte par le transport routier, etc. s’y joindront expliquant le départ progressif de beaucoup de familles de la ville qui va engendrer la croissance démographique de la périphérie de Saint-Louis. L’attractivité des territoires périurbains est donc liée au besoin de logement insatisfait en ville. Ce processus de desserrement de l’habitat se justifie par le besoin de se rapprocher de son lieu de travail pour les employés de l’UGB. Pour d’autres, c’est la possibilité d’avoir une maison individuelle à cause du prix des parcelles encore très bas (tabl. 7) et de l’accessibilité facilitée par un transport en commun permanent. Ce qui n’est pas le cas pour les deux autres parties (australe et septentrionale) de la périphérie. La Partie Australe souffre du déficit d’enjeux économiques tandis que la Partie Septentrionale pâtit de son éloignement de la ville, en dépit de son caractère exondé offrant des possibilités d’extension n’ayant de limites que le choix des hommes.

Tabl.7 : Évolution du prix des parcelles entre 2000 et 2020

Jusqu’en 1990 2000 2010 2020
Parcelle (Taille minimale en m2) A volonté 400 300 300
Valeur minimale (en FCFA) Sur demande 375 5.000 10.000
Valeur maximale (en FCFA) 1.250 12.500 28.000
Valeur moyenne (en FCFA) 820 8.750 19.000

Source : Enquêtes-ménages, NAKOUYE – 2020

L’exemple de Saint-Louis montre que dans les pays du sud, la forte croissance démographique générale, l’incapacité des populations à satisfaire leurs besoins dans un contexte de déstructuration de l’économie essentiellement rurale engendrant de l’exode rural, sont des facteurs déterminants de la forte croissance urbaine que les autorités publiques peinent à maîtriser et à circonscrire. La solution à ce problème reste la migration vers les trois périphéries immédiates de la campagne urbaine selon les opportunités qu’elles offrent : hospitalité résidentielle et accessibilité (fig. 4).

La première vague d’immigrants dans la zone est composée de familles ayant transité par Saint-Louis mais dont les conditions de logement y étaient difficiles. La deuxième vague sera composée d’allogènes que la ville ne peut accueillir mais aussi et surtout d’autochtones de Saint-Louis qui ont fini par se convaincre des meilleures conditions de logement que cette périphérie offre, comparées de la ville intra-muros. Nos enquêtes ont montré que plus de 68 % des ménages ont déménagé pour des raisons de promiscuité et d’insalubrité liée aux récurrentes inondations pluviales. Cependant, l’âge moyen des ménages est dans l’intervalle de 40 à 55 ans. La jeunesse des ménages, encore en âge de procréation, explique un croît démographique élevé avec une moyenne 4,7 enfants par couple, selon nos enquêtes. Il est à noter un nombre important de jeunes retraités qui ont choisi de s’y établir après acquisition de parcelle que leurs économies de vie professionnelle permettent.

3.2.2. La nécessité de logement, facteur de l’occupation spatiale de la périphérie Australe

La périphérie Australe (partie Sud) est occupée par le fleuve Sénégal et des vasières (slikkes, schorres et tannes) à l’Ouest. La zone exondée, à l’abri des inondations est composée de l’erg jaune étendu de Ndiakhère à Ndiébène Toubé, séparé de celui qui s’étend de Gueumbeul à Leybar par la dépression qui héberge le lac du parc de Gueumbeul et qui se prolonge au Nord de la RN2, constituant une tanne de mine de sel entre Ngaye-Ngaye et Ndiawsir. Cette périphérie est la limite septentrionale (Nord) des Niayes : unités géomorphologiques composées de dunes blanches bordant la mer, de dunes jaunes semi-fixées à l’arrière-plan entre lesquelles s’intercalent des dépressions dites inter-dunaires qui accueillent les activités de maraîchage comme le montre la photo 1. (cf. fig. 5).

La proximité fluviale et maritime et l’ancienneté du peuplement expliquent le fait que cette périphérie regroupe plus de villages (au moins 15) (Gueumbeul, Leybar, Keur Martin, Ndiawsir, Bountou Ndour, Diél Mbame, Ngaynal, Pendra, Douane Baba Dièye, Thiaguel, Gandon, Diama Toubé, Ngaye-Ngaye, Ndiakhère et Ndiébène Toubé). Les villages établis au bord du fleuve subissent les contrecoups du canal de délestage ouvert en 2003 et sont en voie de disparition tel que l’est déjà le village de Douane Baba Dièye. Dans cette partie, la prédominance des tannes, des schorres et des terrasses dont l’aménagement requiert des moyens hors de portée des populations, explique la lenteur de leur occupation.

La douceur des températures et la forte humidité relative dues à la proximité fluviale et maritime associés au caractère exondé et à la proximité de la ville sont les seuls facteurs explicatifs du choix résidentiel des allogènes. Les dynamiques urbaines y notées sont conduites par les populations en quête de logement, contrairement aux périphéries Centrale et Septentrionale dont l’attractivité, motivée par des opportunités économiques, fait de ces territoires des bassins d’emploi. En effet, sa position géographique, l’isolant des avantages économiques offerts par les entreprises agro-industrielles de l’après-barrage dont jouissent ses secteurs voisins, associée à l’absence d’entreprises ou d’infrastructures pourvoyeuses d’emplois, sont les facteurs fondamentaux de son inertie économique. La seule activité génératrice de revenus est l’extraction du sel sur la tanne de Ngaye-Ngaye par les femmes de la localité. Submergée en hivernage, cette tanne est une mine de sel très ancienne. Les extractrices s’organisent en Groupement d’Intérêt Économique (GIE) NDIEUGUEUR pour mieux rentabiliser leur production. Les figures suivantes en montrent le processus : la collecte d’abord après le tarissement de la tanne, puis la transformation et l’ensachement et enfin la distribution (fig. 5).

Fig. 5 : Extraction de sel à Ngaye-Ngaye

Clichés, NAKOUYE – 2021

L’agriculture pluviale abandonnée, le secteur secondaire presque absent (8,5%) il reste évident que seul le tertiaire occupe l’essentiel de la population active avec 89,5% de celle-ci en 2020, selon nos enquêtes-ménages. A part les employés de l’administration (enseignants pour la plupart), lorsqu’ils y résident, le mouvement des travailleurs est unidirectionnel : vers la ville le matin et de la ville le soir. D’où une migration pendulaire journalière très importante. Aussi, le taux d’activité locale y est faible comparé aux deux autres parties de notre analyse. C’est donc cette inertie économique qui explique le faible intérêt et, par conséquent, le bas prix du sol. Aussi, la partie centrale de cette périphérie, contiguë à la ville, est occupée par des vasières submersibles à fort taux de salinité. Il s’agit des espaces allant de Ndiawsir à l’Hotel Mame Coumba Bang et la tanne qui entoure l’ile de Diouck à l’Ouest de Leybar. La partie occidentale (à l’Ouest) de cette périphérie, qui va de Bountou Ndour à Ngaynal à l’Ouest de la Route de Gandiol, souffre du caractère argileux donc inondable, salé et submersible par les fluctuations du niveau du fleuve. D’où sa faible occupation en dépit de la douceur des températures, due à la proximité maritime. Le coût de l’aménagement de cet espace est hors de portée des populations. C’est ce qui explique la densification des noyaux villageois et leur extension dans l’espace continental, sur la partie méridionale (Sud) de la presqu’ile du Toubé comme le montre la figure 6.

Fig. 6 : Organisation de l’occupation spatiale par l’habitat dans la Partie Australe

L’occupation spatiale s’organise sur les axes Gueumbeul – Ngaynal – Ndiawsir – Keur Martin – Leybar, Gandon-Ndiébène. Gandon se rattache à Ngaye-Ngaye puis s’étire vers Ndiébène Toubé. La Mine de sel s’oppose au rattachement de Ndiawsir à Ngaye-Ngaye qui s’étend vers la RN2. La deuxième conurbation villageoise, bien que saltatoire au Sud, s’organise sur Ndiakhère – Thiaguel – Keur Pendra – Ngaye-Ngaye – Gandon – Ndiébène Toubé.

3.2.3. Le desserrement des infrastructures pourvoyeuses d’emploi comme facteur d’attractivité de la périphérie centrale polarisée par l’UGB

La périphérie centrale, arrosée par le Djeuss au Nord, par le Ngallam à l’Est et par la rivière de Diouck à l’Ouest, présente des schorres et des tannes, inondés par les crues des rivières ou en tant qu’exutoires du ruissellement pluvial. La grande tanne à l’Est de la grande île de Sor, régulièrement inondée, est l’obstacle majeur à l’extension contigüe du tissu urbain qui aurait été directe de Sor à Maka Toubé. Cette rupture géographique impose à la ville une extension linéaire le long de la route nationale 2 (RN2), interrompue par l’imposant schorre de Ngallèle de par son étendue (de Bango au Nord à Maka Toubé au Sud et se joint à la Tanne de Khor). La dépression orientale de cette périphérie borde le Ngallam sur toute sa longueur et sert de zone de fluctuation de ce cours d’eau ; le ruissellement pluvial n’y parvenant pas à cause de la porosité du substrat des dunes jaunes circonvoisines. La zone exondée, qui offre des opportunités d’habitation est la partie centrale et septentrionale de la presqu’ile du Toubé, composée des dunes jaunes et de reliques de dunes rouges (au Sud de Diougob et au bord du Ngallam près de la RN2).

Cette périphérie s’étend de Bango à Sanar au Nord à Ndiébène Toubé au Sud. C’est la zone d’extension de la ville par excellence. La densification de ces villages traditionnels est à corréler avec leur accessibilité mais aussi avec les opportunités économiques. En effet, les infrastructures comme l’Université Gaston Berger sont pourvoyeuses d’emploi comme le montre l’évolution du nombre croissante des effectifs de ses personnels (tabl. 4). Ces employés de l’UGB, dont un nombre important s’est installé dans la périphérie immédiate, dans les trois (03) coopératives d’habitat (02 pour le Rectorat et 01 pour le Centre Régional des Œuvres Universitaires de Saint-Louis (CROUS)) ou de manière isolée sous fonds propres, vont fortement contribuer à la périurbanisation par leurs investissements dans l’immobilier. Le desserrement des infrastructures dans la périphérie centrale de la périphérie de Saint-Louis. A partir de l’UGB, autour de ces infrastructures et le long de RN2, l’extension du bâti en vingt ans est si rapide que ces villages se touchent, formant une conurbation comme illustré par la figure 7.

Fig. 7 : Le desserrement des infrastructures, facteur économique de l’attractivité des territoires

Ceci montre la capacité des infrastructures à structurer l’espace. Le rythme soutenu d’urbanisation de cette périphérie s’explique par l’attractivité liée aux opportunités économiques. De 2000 à 2020, le desserrement progressif des infrastructures dans la partie centrale a engendré la construction de conurbations villageoises par coalescence des noyaux traditionnels qui étaient éparpillés et faiblement peuplés. Du Nord au Sud, Bango se joint Maka Toubé et d’Ouest en Est, Ngallèle se rattache à Diougob le long de la RN2.

3.2.4. Les mutations liées à l’agro-industrie dans la périphérie septentrionale

La périphérie septentrionale se distingue par la dominance des dunes jaunes et une forte présence des reliques de dunes rouges qui s’étendent de Ndiawdoune à Lampsar. Ces dunes sont la partie occidentale du bassin sédimentaire continental qui est cisaillée par le Lampsar et le Ngallam. Ses vasières (slikkes et schorres) constituent la partie estuarienne de la plaine alluviale. Les berges du Ngallam et du Lampsar se composent de slikkes tandis que les plans arrière sont dominés par des schorres ; zones inondables dont le sol a une structure granulométrique fine, propices aux cultures maraichères et à la riziculture. C’est ce qui occupe toute la partie septentrionale de la périphérie, de Mboubène à Lampsar.

La ressemblance des facteurs qui ont présidé aux transmutations des périphéries centrale et septentrionale force leur regroupement et l’appellation de périphérie Nord-Est. Mais, l’éloignement de la périphérie septentrionale de la ville de Saint-Louis justifie le piétinement de son occupation en dépit de son attractivité due à l’implantation des entreprises agro-industrielles. Le barrage de Diama a permis la disponibilité de l’eau douce en permanence dans les différents cours d’eau du bas delta qui l’arrosent. Ceci va favoriser le développement de l’agro-business qui profitent de l’accessibilité des zones de production, de la main d’œuvre disponible et bon marché à cause de la pauvreté, de l’analphabétisme et du manque de formation professionnelle de la majorité de la population. Cette population croupissait dans le désœuvrement depuis la péjoration pluviométrie source de l’abandon des cultures sous pluie ; autant que la déprise des cultures de décrue, « mbayum tak », suite à la baisse du niveau de l’eau dans les rivières comme précédemment élucidé. Les terres qui accueillaient ces cultures, en friche depuis des décennies, seront utilisées par des entreprises agro-industrielles telles que les GDS à Mbarigot et la SCL à Maka Diama. Ces entreprises sont spécialisées dans la production et l’exportation des légumes frais sur les marchés européens. Elles développent aussi des ventes sur le marché local et sous-régional (Afrique de l’Ouest). Les conséquences économiques et sociales de l’implantation de ces entreprises dans leur milieu sont analysées par l’exemple suivant des GDS. Cette entreprise démarre ces activités en 2003 et installe son siège social entre Ndiawdoune et Mbarigot. Elle utilise les terroirs de ces villages pour étendre ses champs sous serre. Elle commence par la production légumière (tomate, piment, pomme de terre) avant de diversifier (courgette, carotte, maïs, aubergine, salade, concombre) et d’introduire celle fruitière (banane, mangue). Depuis son entrée en activité (avec quatre serres au départ), cette entreprise ne cesse d’accroître la superficie de ses champs (vingt-trois serres aujourd’hui) en diversifiant sa production destinée d’abord à l’exportation avant de s’intéresser au marché local.

Cette croissance de la production s’accompagne de la nécessaire augmentation de la main d’œuvre que nous disions disponible et bon marché. L’implantation des GDS dans ce milieu aura des conséquences diverses et variées. Au plan économique, les emplois offerts atteignent trois mille (3 000) personnes en 2020, réparties en trois catégories : les permanents à CDI (513), les saisonniers à CDD (1 200) et les journaliers (1 287). Bien que le bas niveau d’instruction et/ou de qualification professionnelle explique l’absence d’autochtones dans la catégorie des cadres de l’entreprise, leur reconversion professionnelle qui en fait des ouvriers agricoles, leur procure désormais des revenus qui leur ont permis de supporter les besoins imposés par la modernité : habitat moderne, équipement ménager, coût élevé de la scolarité des enfants ainsi que de la santé, etc. ; Sur le plan social, la satisfaction des besoins financiers contribue à la stabilité des ménages. Une forte baisse voire l’annulation de l’émigration par le retour de certains jeunes qui étaient déjà partis est notée. D’énormes avantages dus aux actions sociales dans le cadre de la RSE sont à saluer : contribution à l’extension du réseau électrique et d’adduction d’eau, construction et équipement de salles de classes dans les écoles ainsi que la dotation en matériel et fournitures scolaires, etc. Ces actions sont négociées par les villageois en contrepartie de la cession de leurs champs à l’entreprise. Ce qui remet la dualité de la gestion foncière par les régimes coutumier et moderne. L’accès à l’emploi des femmes leur procure une certaine autonomie financière qui les affranchit des pesanteurs sociales traditionnelles (mariages précoces, forcés ou arrangés, etc.). Aussi, la forte présence des allogènes attirés par la disponibilité de l’emploi installe une altérisation des composantes sociales avec son lot de perversion des mœurs locales. Les conflits au sein des familles et le bouleversement de l’ordre social sont autant de conséquences que l’on peut considérer comme le revers des avantages que procure cette entreprise (GDS) à son milieu. Sur le plan spatial, l’évolution qualitative du bâti et son extension, surtout le long de la RN2, présentent une conurbation villageoise (fig. 8). Le souci d’organiser l’occupation de l’espace a provoqué des lotissements des zones destinées à accueillir les habitations, surtout dans les terroirs de Ndiawdoune et Mbarigot qui ne sont pas occupés par les champs des GDS.

Fig. 8 : Organisation de l’occupation de l’espace dans la périphérie septentrionale

La montre comment les établissements humains ce sont développer le long de la RN2. Une occupation qui s’explique par l’attraction qu’exercent ces entreprises agro-industrielles implantées dans le milieu. Ces dernières fixent les populations en supprimant l’exode rural qui avait fini par dépeupler ces villages, alors désœuvrés. La croissance de la population et de l’occupation spatiale engendre l’émergence de nouveaux besoins, satisfaits par de nouvelles activités connexes comme la maçonnerie, la menuiserie métallique, le commerce, etc. Si l’agrobusiness est organisateur de l’occupation de la périphérie Septentrionale, des facteurs différents déterminent l’organisation de la périphérie Australe.

3.3. L’organisation de l’occupation spatiale périurbaine à Saint-Louis

Trois générations d’immigrants ont contribué à l’organisation de l’occupation spatiale périurbaine à Saint-Louis :

  • La première génération est constituée des migrants ruraux de fraîche date dans la décennie 1990. Ces derniers, accueillis d’abords dans les villages, vont demander et se faire attribuer des parcelles par les villageois, souvent sans bourse délier. Ils s’installent dans les espaces interstitiels ou bien dans la première couronne villageoise à proximité des concessions préexistantes pour avoir accès aux réseaux (eau, électricité, voierie, etc.) et où le découpage des parcelles est fait sans règles urbanistiques. C’est le début de la densification.

  • La deuxième génération est composée d’occupants des coopératives d’habitat (Rectorat I et II, SDE, Poste puis CHASA dans la Périphérie Centrale) dans la décennie 2000. Leur installation va propulser l’extension de l’agglomération par l’occupation des parcelles voisines dont les propriétaires vont profiter de la disponibilité des réseaux d’électricité et d’adduction d’eau.

  • La troisième génération est celle des rurbains installés dans les parcelles nouvellement loties par les communes pour organiser l’occupation de l’espace, dans la dernière décennie. Ces citadins apportent avec eux leurs modes et genres de vies, donc leur civilisation urbaine qui va fortement impacter la configuration du milieu, traditionnellement rural.

Cette occupation progressive de l’espace, par le mitage des intercalaires, a fini par rattacher des villages anciennement éloignés. Ce qui installe une conurbation villageoise, avec une morphologie urbaine, faisant des périphéries de Saint-Louis une ville selon les prévisions du SDAU de 1975, vingt ans après son expiration.

La figure 9 illustre la construction de l’agglomération de Saint-Louis par le développement du bâti dans ses périphéries.

Fig. 9 : Les conurbations villageoises par coalescence des noyaux traditionnels

Cependant, l’analyse de cette carte présente un aspect général et des particularités. Au vu général, la contiguïté des agglomérations villageoises montre que la conurbation se construit le long de la RN2 dans les trois périphéries de la ville (les périphéries). L’accessibilité par la desserte, dont nous faisions allusion, en est la cause principale. Ce qui met en exergue le caractère organisateur de l’espace par des infrastructures de transport. Mais une analyse sectorielle montre des spécificités dans chacune des périphéries. Dans la Périphérie Australe, deux conurbations se construisent selon le schéma traditionnel de la disposition des villages sur les unités géomorphologiques en présence. La première unit Gueumbeul-Ndiawsir-Keur Martin-Leybar alors que la deuxième est en phase de rattacher Ndiakhère-Thiaguel-Keur Pendaw-Ngaye Ngaye-Gandon-Ndiébène Toubé. Les deux sont séparées par cette rupture géographique qu’est la tanne entre Ngaye-Ngaye et Ndiawsir : la mine de sel dont la dépression se prolonge au nord de la RN2. Dans la Périphérie Centrale, deux conurbations perpendiculaires ont fini de se mettre en place. La première, orientée Nord-Sud, joint Bango à Maka Toubé, incluant Ngallèle.

La deuxième, qui s’étend d’Ouest en Est relie Ngallèle à Diougob avec Keur Soumaré en son sein, le long de la RN2. Ici, le concept de conurbation est plus achevé à cause du rattachement effectif des différentes banlieues villageoises, en considérant les noyaux traditionnels comme centres. Dans la Périphérie Septentrionale, la centration de la population reste saltatoire. Même si la croissance de la population et l’évolution du bâti sont notés, il y demeure encore des interstices au sein des villages. Ni le rattachement entre les différents villages, ni la densification n’est réelle ne sont encore effectifs. La conurbation dont la construction est en perspective se présente encore comme un chapelet de villages qui s’égrènent le long de la RN2, allant du pont-barrage sur le Ngallam à Lampsar.

4. Discussion

Les résultats de ce travail d’étude et de recherche ont permis de répertorier les facteurs de périurbanisation, spécifiques à la ville de Saint-Louis : la croissance démographique, le desserrement de certaines infrastructures pourvoyeuses d’emplois et la rente foncière en périphérie. Des facteurs qui se distinguent légèrement de l’élévation du niveau de vie de la population, la généralisation de la motorisation, le coût du foncier inférieur à celui de la ville, le désir de maison individuelle, le goût retrouvé pour les aménités paysagères rurales (Chapuis et al. 2001 : 359). Ici, ce sont plutôt les contraintes résidentielles en ville, dues à la saturation du périmètre communal (conséquence de la forte croissance démographique) et les opportunités économiques dans les territoires périphériques qui y ont présidé aux dynamiques urbaines (Nakouye 2022 : 200).

Ces dynamiques urbaines se manifestent, comme décrites en Espagne (Miguel Gonzalez 2001 : 80), par la multiplication de nouveaux quartiers de lotissements pavillonnaires, la densification de noyaux villageois traditionnels et de zones d’activité tout au long de la RN2. La répartition discriminatoire de ces zones d’activité explique le solde pendulaire tantôt négatif, caractéristique des communes périurbaines (PAAL 2001 : 91). L’on peut considérer ainsi que la périurbanisation est une autre forme de déconcentration et de décentralisation de la population et/ou des infrastructures, s’inscrivant dans la dynamique d’étalement des agglomérations. Elle a entre autres corrélats la réorganisation des composantes sociales (Mouafo 1994 : 417) ainsi que la reconversion professionnelle des ruraux qui quittent le secteur primaire de l’économie. Mais, du fait d’une industrialisation presque inexistante, malheureux héritage colonial, c’est le secteur tertiaire qui accueille cette population par le développement du secteur informel et les emplois précaires de maison ou de commis d’administration à cause du bas niveau ou manque d’instruction permettant une formation professionnelle. Cette périurbanisation contribue alors, du point de vue de l’occupation spatiale, à la mise en place de conurbations à l’échelle locale par coalescence des noyaux villageois traditionnels.

Conclusion

En définitive, les dynamiques urbaines et les facteurs de localisation des populations ne sont pas identiques dans toutes les périphéries de Saint-Louis. Si la périphérie australe présente une urbanisation résidentielle, dans les périphéries centrale et septentrionale, aux besoins de logement, s’ajoutent des opportunités économiques qui justifient son rythme d’urbanisation plus rapide.

Le besoin de logement et la saturation du périmètre communal de Saint-Louis qui engendre le desserrement des infrastructures pourvoyeuses d’emplois sont un ensemble de facteurs des dynamismes urbains enclenchés dans la campagne urbaine. Ces dynamismes s’accompagnent d’une multitude de transmutations sociales, économiques et spatiales et ont permis la déposition faisant référence à la construction d’une ville dont les critères de définition (les aspects paysager, économique et fonctionnel) ont tous convergé à la confirmation d’une urbanisation dynamique. Cependant, ces dynamismes vont engendrer une série de vulnérabilités aussi bien spatiales qu’économiques et sociales.Ce périurbain de Saint-Louis transforme donc son espace en faisant apparaitre de nouveaux problèmes (Prost 2001 : 288).

Autant l’organisation de l’occupation de l’espace a des déterminants spécifiques selon les trois parties de la périphérie de Saint-Louis, autant les autres facteurs organisateurs de l’espace varient en fonction des opportunités diverses. Ainsi, le développement des activités économiques, de même que la dotation en services urbains de base, vont y être causes et conséquences de l’organisation spatiale.

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WADE M., 1982. Croissance urbaine de Saint-Louis du Sénégal de 1789 à 1902, Thèse 3e cycle, Université de Bordeaux III, Bordeaux.



Auteur

Dr Nicolas NAKOUYE
Laboratoire LEÏDI « Dynamiques des territoires et développement ».
Parcours : « Espaces et sociétés urbains »
Université Gaston Berger de Saint-Louis/Sénégal.
Courriel : nnakouye@yahoo.fr

© Édition électronique URL : https://espacesafricains.org/

© Éditeur – Groupe de recherche Populations, Sociétés et Territoires (PoSTer) de l’UJLoG – Université Jean Lorougnon Guédé (UJLoG) – Daloa (Côte d’Ivoire)

© Référence électronique Nicolas NAKOUYE, « Les déterminants de la périurbanisation de la ville de Saint-Louis du Sénégal », Revue Espaces africains (En ligne), 1 | 2022, mis en ligne le 1er septembre 2022.

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