Espaces Africains

 


Pratiques d’anticipation des besoins d’eau potable par les systèmes de l’action publique à Banfora

Practices of anticipating drinking water needs in publics policy systems in Banfora


Gbèlidji Hermann Juste NANSI – Ange Honorat EDJA – Guy Sourou NOUATIN

Résumé

Cette recherche analyse les pratiques d’anticipation des parties prenantes dans le processus de formulation des politiques publiques en matière d’eau potable à Banfora au Burkina Faso. Elle a été conduite suivant une démarche méthodologique essentiellement qualitative avec notamment, l’utilisation de la revue documentaire, l’observation directe et indirecte et l’entretien semi structuré. Au total, 52 acteurs, composés de responsables de service d’eau potable, de représentants de partenaires techniques et financiers, des usagers de l’eau et des responsables de services sociaux de base ont été interviewés. Ces personnes ont été choisies de façon raisonnée et de manière accidentelle. La théorie des normes pratiques et celle de la débrouillardise ont servi à l’interprétation des résultats. Il en découle cinq catégories d’acteurs dans le processus de formulation des politiques d’eau potable à Banfora : l’autorité communale et ses conseillers, les bureaucrates, les partenaires techniques et financiers, les experts de service d’eau potable et les groupes d’intérêt. D’importantes défaillances ont été relevées dans l’anticipation des besoins d’eau potable, malgré le consensus des parties prenantes sur le diagnostic et les politiques publiques formulées. Les résultats montrent que les décideurs politiques et les bureaucrates saisissent les opportunités de financement des bailleurs pour légitimer leurs pouvoirs.

Mots-clés : Eau potable, Anticipation, Politique publique, Défaillances, Banfora (Burkina Faso)

Abstract

This research analyzes the practices of anticipation of stakeholders in the process of formulating public policies on safe water in Banfora, Burkina Faso. It was conducted using a qualitative methodological approach, including the documentary reviews, the direct and indirect observation and the semi-structured interviews. In total, 52 actors including managers of safe water, officials of donors’ agencies, water users and the managers of basic social services, was interviewed. They were selected on purposive and convenience sampling techniques. The theories of “Muddling Through” and “practical norms” was used as the theoretical background for data analysis. The results revealed five main categories of actors in the process of formulating of the policies on safe water in Banfora. These are the policians, bureaucrats, donors, technocrats and stakeholders. The research found significant failures to anticipate drinking water needs, despite stakeholder consensus on diagnosis and policy design. The data showed how policy makers and bureaucrats seize donor funding opportunities to legitimize their powers.

Keywords: Safe water, Anticipating, Public policy, Shortcomings, Banfora (Burkina Faso)

Introduction

Le service d’eau potable est établi, de par le monde, comme une nécessité vitale pour les institutions publiques. Pour ce faire, plusieurs politiques ont été élaborées et mises en œuvre. Au début des années 1980, l’Organisation des Nations Unies (ONU) a introduit la Décennie internationale de l’eau potable et de l’assainissement. En 2001, le monde a connu le programme des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) qui visait à réduire de moitié, à l’horizon 2015, la population qui n’avait pas accès à une eau potable. Depuis 2015, les Objectifs de Développement Durable (ODD) ont pris le relais avec l’ambition d’accès universel à l’eau potable à l’horizon 2030 (Génevaux 2018 : 12).

Au Burkina Faso comme dans la plupart des pays en développement, la planification du service d’eau potable s’insère dans les politiques publiques internationales notées précédemment. La commune de Banfora est la première au Burkina Faso, à se doter d’une stratégie communale d’eau potable pour atteindre les ODD. Pourtant, elle avait en 2016, un taux d’accès à l’eau potable de 75,6 % en milieu rural et de 100 % en milieu urbain (MEA 2016 : 98).

L’anticipation des besoins d’eau potable est une étape importante de la planification de l’action publique permettant la satisfaction des besoins de la population dans le temps et dans l’espace. L’anticipation suit une logique prospective de la quantification des besoins (volume d’eau potable nécessaire) et de leur localisation. En posant l’enjeu sensible et vital qu’est l’eau pour les siècles à venir, Galland (2009 : 110) invite les « décideurs publics et privés à anticiper et à mettre en place, en guise de réponse, une bonne gouvernance de l’eau cumulant stratégie collective, investissements pertinents et partenariat judicieux, dépendront les facteurs clés de compétitivité de demain ». Ainsi, l’ensemble du processus d’anticipation des besoins et de planification de la fourniture à Banfora pour les ODD, est identifié comme la formulation de la politique publique d’eau potable.

Dans cet article, nous postulons que la connaissance des besoins futurs s’explique par les pratiques et les processus de formulation des politiques d’eau potable. Ainsi, l’objectif de cette recherche est de comprendre les pratiques d’anticipation des besoins lors de la formulation de la politique publique d’eau potable à Banfora pour apprécier la faisabilité de l’ambition de la municipalité à l’horizon 2030.

1. Démarche méthodologique de recherche

1.1. Zone de la recherche

Le Burkina Faso est un pays de l’Afrique de l’Ouest avec une population estimée en 2017 à 19,2 millions d’habitants (Jefferis et Abdulai 2017 : 4). Selon les données de l’UNICEF et de l’OMS, en 2017, 54% de la population du Burkina Faso disposait d’un service élémentaire d’eau potable, 22 % d’un service limité et 22 % d’un service non amélioré. En outre, environ 2 % de la population n’avait accès à aucun service.

Banfora est le chef-lieu de la région des Cascades, dans le sud-ouest du Burkina Faso. La population de cette commune est estimée quant à elle, à 153 574 habitants en 2017 dont 75% vivent dans l’agglomération urbaine. En 2018, la commune combine une diversité d’équipements comprenant les forages équipés de pompe à motricité humaine, les adductions d’eau potable simplifiées, en plus de l’adduction d’eau potable complexe gérée par l’Office Nationale de l’Eau et de l’Assainissement (ONEA). Pourtant, en 2017 personne dans la commune ne bénéficiait d’un service d’eau potable géré en toute sécurité selon les standards internationaux (Mairie de Banfora 2018 : 12). Selon la même source, 69% de la population doivent se contenter d’un service basique, tandis que 5,5% n’ont accès à aucun équipement d’eau potable.

1.2. Cibles et échantillonnage

La population cible de cette recherche comprend l’ensemble des acteurs qui ont participé à la formulation du plan stratégique pour l’eau potable à l’horizon 2030 à Banfora. Ainsi, l’unité d’enquête est toute personne responsable ou usager du service d’eau potable, susceptible de fournir des informations utiles sur la formulation de cette politique publique. Pour choisir ces acteurs, deux techniques d’échantillonnage ont été utilisées : l’échantillonnage par choix raisonné utilisé pour identifier les autorités, responsables et personnels des structures en charge du service public d’eau portable dans la localité ; l’échantillonnage accidentel qui a été appliqué pour prendre en compte les acteurs en fonction de leur disponibilité à participer à l’enquête. La taille de l’échantillon s’élève à 52 participants arrêtés par effet de saturation des données : 8 cadres du Ministère de l’eau et de l’assainissement ; 4 cadres de l’ONEA ; 1 cadre de l’Institution National des Statistiques et de la Démographie ; 1 maire ; 6 conseillers municipaux ; 5 cadres de la mairie ; 14 représentants des associations d’usagers de l’eau ; 5 experts consultants ; 5 cadres des organisations non gouvernementales et 3 représentants des bailleurs.

1.3. Méthodes de collecte et d’analyse des données

Cette recherche s’est intéressée au processus de formulation des politiques publiques de l’eau potable à Banfora à travers les acteurs, leurs positions, leurs rôles et leurs pratiques. Ainsi, les données recherchées sont de type qualitatif. Dès lors, une démarche essentiellement qualitative a été adoptée avec l’utilisation de trois techniques de collecte : la revue documentaire, l’observation directe et indirecte et l’entretien semi structuré.

Au-delà des ouvrages et articles scientifiques consultés, la revue documentaire a permis d’examiner les documents administratifs tels que les notes de services, les termes de référence, les comptes rendus de rencontres, ateliers et réunions, les rapports, les décrets, les arrêtés, les délibérations et les correspondances administratives produits tout au long des processus de formulation du programme d’eau potable à Banfora. L’observation directe et indirecte a été utilisée durant les séances d’activités tenues dans le sens de l’élaboration des politiques publiques d’eau potable. Elle a permis de collecter des données sur le comportement des acteurs au cours desdites séances de travail. Enfin, l’entretien semi-structuré a servi de technique principale de collecte des données à l’aide d’un guide d’entretien auprès des acteurs identifiés. Les entretiens ont porté sur l’identification des parties prenantes à la formulation des politiques publiques d’eau potable à Banfora, à leurs rôles et attributions dans le processus. Aussi, les entretiens ont-ils permis d’appréhender la démarche utilisée pour anticiper sur les besoins domestiques et non domestiques d’eau potable à Banfora.

Après la phase de collecte des données, il a été procédé à un dépouillement manuel en les organisant en corpus de données. Cela a permis de procéder à leur triangulation afin d’aboutir à l’énoncé des principaux centres d’intérêt. En outre, quelques discours bruts ont été retenus comme des verbatim pour soutenir les argumentaires dégagés dans cette recherche.

1.4. Théorie des « normes pratiques » et théorie de la « débrouillardise » au cœur des pratiques de formulation des politiques publiques d’eau potable

Ce travail de recherche s’appuie sur deux théories à savoir la théorie des pratiques informelles des acteurs publics de Olivier de Sardan (2010 : 10) et celle de la débrouillardise de (Lindblom 1959 : 86).

Olivier de Sardan (2010 : 11) part de l’observation selon laquelle il existe un écart important entre les normes prescrites de gouvernance et les pratiques des acteurs dans la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest. Pour saisir ces procédés empiriques, l’auteur propose un cadre théorique très complexe basé sur le concept de « normes pratiques » pour analyser la régulation des pratiques informelles intervenant dans les services publics.

L’auteur utilise le concept « normes pratiques » pour se référer aux acteurs, aux actions informelles légitimées par les mêmes acteurs, aux processus de production de l’action publique et aux logiques qui les sous-tendent. Dans le cadre de cette recherche, l’action publique examinée est la formulation des politiques publiques d’eau potable à Banfora.

La théorie de la « débrouillardise » de Lindblom (1959 : 86), postule que les acteurs se situant à des niveaux de responsabilité sont limités dans leur rationalité à prendre des décisions. Pour ce faire, ces derniers développent des pratiques propres à eux dans le processus de prise de décision ; c’est ce qu’il appelle « la fabrique des politiques publiques ».

En combinant les deux approches théoriques, notre recherche a interrogé dans un premier temps les parties prenantes à la formulation des politiques publiques d’eau potable à Banfora, leurs positions, leurs rôles et responsabilités et les pratiques normatives formelles et informelles tout au long du processus. Dans un second temps, cette perspective analytique nous a permis d’examiner le processus décisionnel dans l’élaboration des politiques d’eau potable à Banfora.

2. Résultats

2.1. Parties prenantes et rôles spécifiques dans le processus de formulation des politiques publiques

Les entretiens réalisés ont permis de recenser cinq catégories d’acteurs dans le processus de formulation du plan stratégique communal d’eau potable et d’assainissement, selon la typologie de (Walt & Gilson 1994 : 4) :

Les politiciens regroupent le maire et les conseillers municipaux. Les principaux rôles joués sont la délibération pour l’élaboration du plan stratégique communal ; l’approbation de l’assistance technique et financière des bailleurs ; la validation du rapport de diagnostic ; la contribution à la définition des orientations stratégiques ; la validation du plan stratégique et enfin le lancement officiel de la mise en œuvre du plan.

Les bureaucrates regroupent les agents des directions et services techniques, spécialisés dans la gestion de l’eau potable au sein de la mairie, de la Direction Régionale de l’Eau et de l’Assainissement des Cascades (DREA) et de l’agence de l’ONEA à Banfora. On retrouve également dans cette catégorie les représentants des services gouvernementaux en charge de la gestion des ressources en eau, de l’environnement, de la santé et de l’éducation. Leur principal rôle est de veiller aux respects des prescriptions règlementaires en matière de gouvernance, d’organisation et de fourniture des services d’eau potable dans les propositions des experts à travers (i) la participation aux rencontres de cadrage des interventions des experts ; (ii) la participation aux enquêtes conduites par les experts ; (iii) la participation aux travaux d’examen et d’approbation du rapport de diagnostic ; (iv) la participation aux travaux d’examen et d’approbation du plan stratégique.

Les technocrates (experts) regroupent les consultants mobilisés par les partenaires techniques et financiers pour assurer l’assistance technique à la mairie pour l’élaboration du plan stratégique communal. Leurs principales attributions sont : (i) la réalisation du diagnostic qui consiste en l’état des lieux des problèmes au moment de l’élaboration de la politique et à l’anticipation de leur évolution au cours de la période de mise en œuvre de la politique ; (ii) la définition des orientations stratégiques du plan ; (iii) la formulation détaillée du plan stratégique comprenant les résultats escomptés, les actions, les coûts et modalités de financement et les rôles des parties prenantes de la mise en œuvre ; (iv) la présentation du plan détaillé aux parties prenantes pour son amendement ; (v) la finalisation du plan sur la base des amendements des parties prenantes.

Les bailleurs désignent les organisations internationales de l’aide au développement. Dans la commune de Banfora, l’ONG néerlandaise IRC est le principal acteur. Les principaux rôles joués sont : (i) la définition de l’approche méthodologique et opérationnelle de l’élaboration du plan stratégique, sur la base des orientations et prescriptions internationales pour l’eau potable dans le cadre des ODD ; (ii) le financement de l’ensemble des opérations au profit de toutes les autres parties prenantes de la formulation du plan stratégique ; (iii) le recrutement, la formation et la supervision des experts pour leur mission ; (iv) la coordination du processus en concertation avec les décideurs politiques et les bureaucrates.

Les autres groupes d’intérêts sont constitués des délégataires du service public d’eau potable, des associations d’usagers de l’eau, des maintenanciers de points d’eau modernes, des représentants de comités villageois de développement et des représentants de diverses autres organisations de la société civile ayant un lien avec la fourniture des services d’eau potable. Leurs principaux rôles sont de veiller aux intérêts de leur groupe dans l’analyse des problèmes et les choix de solutions à travers (i) la participation aux enquêtes conduites par les experts ; (ii) la participation aux travaux d’examen et d’approbation du rapport de diagnostic ; (iii) la participation aux travaux d’examen et d’approbation du plan stratégique.

2.2. Description du processus d’élaboration du plan stratégique communal

Nos recherches ont permis d’identifier quatre principales étapes suivies dans les processus de formulation du plan stratégique communal de Banfora pour l’eau potable à l’horizon 2030 : l’initiative, le diagnostic, la formulation et l’adoption du plan.

L’initiative : Il s’agit de la prise de décision de l’élaboration du plan stratégique communal. Dans la commune de Banfora, l’initiative a été prise par l’ONG IRC Burkina, sous la forme d’une offre d’assistance technique et financière à la mairie. L’assistance couvre la mobilisation et le financement des experts ainsi que la prise en charge des enquêtes et processus de consultations (ateliers et réunions). L’offre présente également le cadre méthodologique de la formulation du plan en définissant les étapes (diagnostic et planification) et le canevas de rédaction des documents à produire. L’offre d’assistance d’IRC a été soumise à la mairie qui a son tour, examiné et délibéré en conseil municipal pour le démarrage du processus de formulation du plan stratégique. Pour la supervision du processus, la mairie a mis en place une commission ad hoc constituée d’élus et d’agents municipaux. L’étape d’initiative a duré environ trois mois, de mars à mai 2017.

Le diagnostic : Il a consisté, dans le cadre de l’élaboration du plan stratégique communal de Banfora, à établir l’état des lieux des problèmes au moment de l’élaboration du programme et à l’anticipation de leur évolution au cours de la période de mise en œuvre du programme, soit à l’horizon 2030. L’étape s’est déroulée de juin à septembre 2017. Les experts ont examiné les quatre principaux points suivants : (i) le cadre légal, institutionnel, politique, règlementaire de l’eau potable, (ii) les déterminants démographiques, sociaux et économiques des services d’eau potable ; (iii) la situation des ressources en eau, des infrastructures d’eau potable et de leur gestion ; (iv) les moyens et les capacités de gouvernance et de maîtrise des services par les autorités publiques et leurs délégataires.

Le diagnostic a permis aux experts de produire un rapport qui a été transmis au maire pour la soumission à l’approbation des parties prenantes à travers une rencontre dénommée atelier de validation, qui s’est tenue du 19 au 20 septembre 2017 à la mairie de Banfora. Cette rencontre a été convoquée et présidée par le maire qui a mobilisé la commission ad hoc, les bureaucrates, les groupes d’intérêt et les bailleurs. A la rencontre, les experts ont présenté les résultats du diagnostic sur les différents aspects couverts et recueillis les observations des parties prenantes. L’examen du compte rendu de cet atelier a permis de constater que les amendements recueillis sont généralement sur la forme du document et non sur le fond. L’explication principale fournie par les enquêtés est que le diagnostic a été conduit auprès des différentes parties prenantes. L’atelier est donc plus une opportunité pour chaque partie prenante de découvrir la situation d’ensemble. La prise en compte des amendements des parties prenantes par les experts a permis de produire le rapport final de diagnostic clôturant l’étape de diagnostic. Il faut noter que le compte rendu d’atelier de validation n’a relevé aucune réserve sur les méthodes de projections des déterminants ou des besoins d’eau potable à l’horizon 2030.

La formulation : Il s’agit du développement des solutions pour couvrir les besoins courants (au moment de l’élaboration du plan) et futurs en eau potable de la population jusqu’en 2030. Cette étape a commencé en septembre 2017 par l’atelier de validation du diagnostic dont une séquence a été consacrée à l’examen des axes stratégiques de planification proposés par les experts. Elle s’est terminée en mars 2018 avec l’atelier de validation du plan stratégique. L’examen du plan stratégique permet d’observer que les axes stratégiques ont couvert deux principaux aspects : le développement du service de l’eau potable et l’amélioration de la gouvernance. Les axes stratégiques ont donc été introduits au cours des ateliers de validation du diagnostic, afin de recueillir les inputs des parties prenantes. L’analyse des comptes rendus des ateliers de validation des diagnostics permet d’observer que ces exercices ont beaucoup plus servi à faciliter l’appropriation des axes stratégiques par les parties prenantes qu’à faire réellement émerger des idées nouvelles ou remettre en cause les orientations proposées par les experts. Par la suite, les experts ont approfondi chaque axe stratégique pour développer un plan détaillé présentant les principaux résultats attendus, les activités à réaliser pour l’atteinte de ces résultats et leur chronogramme, les moyens financiers requis pour ces activités et les modalités de mobilisation de ces moyens. La dernière section du plan stratégique présente l’organisation à mettre en place par la mairie pour la mise en œuvre et le suivi-évaluation. Le plan ainsi produit par les experts a été transmis au maire pour la soumission aux parties prenantes à travers un nouvel atelier de validation qui s’est tenue à la mairie de Banfora du 1er au 2 mars 2018. Cette rencontre convoquée et présidée par le maire a mobilisé les conseillers municipaux de la commission ad hoc, les bureaucrates, les groupes d’intérêt et les bailleurs. Préalablement à cette rencontre, le plan stratégique a été soumis par le maire à la validation technique de la DREA qui constitue le noyau des « bureaucrates » commis pour veiller à la conformité du plan de Banfora avec les orientations nationales. Cette validation technique a fait l’objet d’une correspondance contenant les amendements de la DREA adressés au Maire. L’examen de cette correspondance a permis d’observer que les amendements de la DREA concernaient essentiellement la forme et qu’il n’y a pas eu de remise en cause sur le fond. A l’atelier de validation, les experts ont présenté le plan stratégique sur les différents aspects couverts et recueillis les observations des parties prenantes. L’examen du compte rendu de l’atelier de validation du plan stratégique a permis de constater que les amendements recueillis sont généralement sur la forme du document et non sur le fond. L’explication principale est que les parties prenantes n’ont pas souvent d’alternatives aux propositions des experts et que les propositions des experts sont essentiellement basées sur les prescriptions techniques nationales. La prise en compte des amendements formulés par les parties prenantes a permis aux experts de produire la version finale du plan stratégique clôturant l’étape de formulation.

L’adoption : Elle a consisté à l’approbation du plan par le conseil municipal, donnant mandat au maire pour la mise en œuvre. Il s’agit d’une procédure délibérative permettant d’assurer la légitimité politique du plan comme instrument de politique publique communale. Après la réception du plan stratégique final produit par les experts, le maire a inscrit le projet de délibération à l’ordre du jour d’un conseil municipal en mai 2018. Au cours du conseil, le document n’a plus fait l’objet d’un examen de contenu. Les conseillers municipaux ont approuvé à l’unanimité le plan stratégique et autorisé la mise en œuvre par l’exécutif municipal.

2.3. Une démarche collective communale déterminée par les bailleurs et les ingénieurs

La formulation du plan stratégique communal de Banfora en matière d’eau potable à l’horizon 2030 s’est inscrite dans la suite du plan communal pour l’eau potable à l’horizon 2015, l’échéance des OMD. De ce point de vue, la formulation du plan pour 2030 n’a pas été précédée d’une étape d’énonciation de l’ordre du jour selon la théorie de (Ridde et al., 2016 : 5). En effet, l’eau potable est déjà inscrite dans l’agenda public des mairies du Burkina Faso depuis 2008 avec les premiers plans communaux sectoriels.

En dépit du fait que l’eau potable soit déjà inscrite à l’agenda public des mairies et fasse l’objet de politique publique communale depuis au moins 2008, l’initiative du plan stratégique communal de Banfora à l’horizon 2030 n’a été prise par la commune. Tous les enquêtés confirment que l’initiative du plan communal à Banfora en matière d’eau potable, autant à l’époque des OMD qu’à l’époque des ODD a toujours été prise par un bailleur de la commune. Pour le cas spécifique des ODD, c’est l’offre d’assistance technique et financière de l’ONG IRC qui a constitué le facteur déclenchant de la formulation de la politique publique communale. Les investigations ont également permis d’observer une faible maîtrise du cycle de l’action publique (faisant intervenir l’élaboration des plans communaux) par plusieurs parties prenantes de la gouvernance communale, notamment les décideurs politiques et les groupes d’intérêt. Selon d’autres personnes ressources interrogées, il s’agit plutôt d’une négligence liée à la faible mise en œuvre des plans communaux antérieurs. Les raisons sont entre autres les capacités limitées des communes à porter lesdits plans et le défaut de financement.

« La commune de Banfora est confrontée à plusieurs difficultés dans plusieurs secteurs comme l’eau, l’assainissement, la santé, l’éducation. Les ressources de la mairie sont limitées pour tous les problèmes que nous devons gérer. C’est important que réaliser des plans stratégiques, mais si ce n’est pas avec l’aide financière des partenaires, c’est très difficile pour nous » (entretien avec le Maire de Banfora, 13 mars 2019).

L’analyse du processus permet de découvrir le rôle central des experts dans la formulation des politiques publiques. En effet, ils ont eu la charge de formuler les problèmes en consultant les parties prenantes et de développer les solutions pour leur résolution. Étant donné que les experts agissent à la demande de leur commanditaire (l’ONG IRC), leurs missions sont cadrées par des termes de référence qui définissent les attentes. L’analyse des termes de référence des experts permet d’observer que le plan communal s’inscrit dans le cadre de l’apprentissage de la mairie au cycle de l’action publique à moyen et long terme. Les termes de référence mettent également l’accent sur la décomposition de la problématique d’eau potable en reliant l’absence ou l’insuffisance de l’eau potable pour couvrir les besoins des populations, aux défaillances de l’action publique et des ressources déployées. Par contre, les termes de référence ne donnent pas d’indication sur la méthodologie de quantification des besoins courants et futurs d’eau potable. Selon les enquêtes, ces aspects ont été laissés à la discrétion des experts et aux prescriptions des bureaucrates. Les décideurs politiques et les bureaucrates ont eu à approuver sans réserve, les termes de référence des experts. Pour les bureaucrates, l’élément important lors de l’examen des termes de référence était la conformité aux dispositions règlementaires en vigueur en matière d’élaboration de plans communaux pour l’eau potable.

Notre analyse s’est ensuite focalisée sur la compétence des différents acteurs à jouer leurs rôles dans le processus de formulation du plan stratégique. Ici également, les bailleurs, les experts et les bureaucrates sont unanimement reconnus par les enquêtés comme disposant des connaissances suffisantes pour s’engager dans la formulation. Les enquêtés attribuent spontanément aux experts et aux bureaucrates du secteur de l’eau, la légitimité et l’autorité de verbaliser les problèmes dans le langage technique approprié et de définir les solutions. Les non spécialistes déclarent leur incompétence à contredire les spécialistes.

« Il faut reconnaitre la complexité et la technicité de ce problème d’eau potable. La maîtrise des problèmes et des solutions s’acquiert par la formation universitaire et l’expérience sur le terrain. C’est pour cela que tous les recrutements de cadres dans le secteur sont prioritairement des ingénieurs de l’eau. On reconnait la contribution des autres spécialités, mais que les ingénieurs dominent, c’est quand même logique. » (M. A. S., Cadre du Ministère de l’eau et de l’assainissement, janvier 2022).

En dehors des compétences spontanément identifiées pour les ingénieurs, les enquêtés n’ont pas pu définir les compétences spécifiques que les autres catégories d’acteurs pourraient apporter à la formulation du plan stratégique communal.

L’analyse de la compétence révèle également la fongibilité des catégories d’acteurs étant donné que des spécialistes de l’eau potable peuvent se retrouver dans n’importe quelle catégorie (décideurs politiques, bailleurs, bureaucrates, experts ou groupe d’intérêt). Il faut donc préciser que quand il s’agit d’analyser la compétence, les acteurs observent deux principaux groupes à savoir les spécialistes et les non spécialistes de l’eau potable. Les acteurs de la formulation identifient donc comme spécialistes, les ingénieurs de l’eau qui se distinguent donc par leur jargon technique. Ces ingénieurs occupent les principaux postes dans l’administration publique, dans les ONG et chez les bailleurs qui interviennent dans le secteur. Ils sont dans l’équipe des experts mobilisés pour la formulation du plan communal. Mais ils peuvent parfois se retrouver parmi les décideurs politiques, dans les autres groupes d’intérêts participant à la formulation du plan communal. Les problèmes et les solutions étant formulés dans un langage d’expert, les enquêtés ont soulevé les difficultés d’influence des débats par les non-spécialistes mais, cette difficulté n’a pas résulté à une remise en cause du processus. Les non spécialistes accordent une autorité tacite aux spécialistes quand il s’agit de caractériser les problèmes et de définir les solutions, ce qui d’office représente tout le cœur du processus de formulation :

« On a participé à l’atelier, les experts d’IRC nous ont présenté leur rapport de diagnostic. Les ingénieurs de la DREA et de l’ONEA étaient tous présents et ils ont tous reconnu que le travail est bon. Ils ont bien expliqué les problèmes d’eau potable et après, ils nous expliquer comment les résoudre et comment trouver les moyens. Ce qui est bien aussi, c’est que les bailleurs ont participé. Donc on est sûr qu’ils vont nous accompagner pour la mise en œuvre. Donc je pense que le conseil municipal et surtout le maire a fait un bon travail en trouvant les bons experts. » (O. M. 45 ans, conseiller communal de Banfora, septembre 2021).

Les autres acteurs revendiquent leur présence mais n’associent aucune compétence claire aux décideurs politiques ou aux groupes d’intérêt. Les parties prenantes invoquent les principes d’inclusion et de participation. L’autre observation importante qui se dégage de l’analyse des compétences des groupes d’intérêt et que leur mobilisation ne se base pas sur les principaux usages de l’eau à savoir les usages domestiques, les usages économiques (commerciaux ou industriels) et les usagers sociaux et administratifs. Le motif de cette situation est que ces principaux groupes d’usagers de l’eau ne sont pas structurés comme tel pour prendre part à la gouvernance locale de l’eau potable :

« On a un véritable problème de capacités de plusieurs acteurs communaux comme certains élus locaux, les associations d’usagers de l’eau, les artisans réparateurs des pompes etc. On les fait participer aux ateliers, mais leurs apports restent superficiels. Soit, ils se focalisent sur des problèmes anecdotiques de leur quartier ou village, ou bien ils soulèvent des problèmes hors sujet. En tant qu’experts, on se retrouve à souvent les recadrer, mais c’est pénible d’engager une réflexion stratégique. En définitive, les discussions se passent essentiellement entre les spécialistes. » (C. B. 55 ans, Membre de l’équipe d’experts du plan stratégique eau potable de Banfora, décembre 2021).

Nous avons enfin examiné la qualité des processus délibératifs dans le cadre de la formulation du plan communal. On distingue quatre étapes délibératives : l’approbation de l’élaboration du plan stratégique par le conseil municipal, l’approbation du rapport diagnostic par les parties prenantes, l’approbation du plan par les parties prenantes et l’approbation de la mise en œuvre du plan par le conseil municipal. L’analyse des comptes rendus de ces processus délibératifs indique que les documents soumis ont été approuvés à l’unanimité sans objection sur le fond. Les amendements sont généralement mineurs et portent sur la forme des documents présentés (le rapport de diagnostic et le plan stratégique). Les raisons évoquées par les parties prenantes sont que processus délibératifs ne sont pas des espaces de débats ou de remise en cause mais plutôt des espaces de consensus à l’unanimité pour les propositions présentées ou défendues par les spécialistes. L’autre élément important qui se dégage des processus délibératifs est l’attrait du financement. En effet, la décision du conseil municipal pour l’élaboration du plan stratégique est selon la plupart des enquêtés, motivée par l’offre de financement pour cette fonction du conseil municipal qui n’est jamais inscrite dans le budget de la commune. De même, la délibération du conseil municipal pour la mise en œuvre du plan stratégique communal est motivée par l’attrait des financements pour régler les problèmes d’eau potable dans la commune, dans l’hypothèse que le plan servirait d’outil de mobilisation des bailleurs.

2.4. Pratique d’anticipation des besoin d’eau potable

2.4.1. Anticipation des besoins domestiques

Les enquêtes ont été conduites auprès des experts ayant réalisé la formulation du plan stratégique communal et des bureaucrates impliqués. Pour l’anticipation des besoins domestiques d’eau potable, à l’unanimité, les experts ont répondu qu’ils réalisent des projections à partir des statistiques démographiques. La méthodologie utilisée a été de calculer l’évolution de la population sur l’horizon 2030 à partir des données du dernier recensement fournies par l’Institut National des Statistiques de la Démographie (INSD) qui fournissent la population au dernier recensement en 2006 ainsi que le taux de croissance intercensitaire. C’est ainsi qu’il est déterminé que la population de la commune de Banfora passera de 153 574 habitants en 2017 (au moment de la formulation du plan stratégique) à 235 041 habitants en 2030 à l’horizon du plan stratégique. L’examen des rapports produits par les experts n’a pas permis d’observer la traduction des données démographiques en besoins en eau potable quantifiés. Selon les explications des experts, la méthodologie adoptée consiste à déterminer les ouvrages à réaliser pour la population à desservir en se basant sur les normes d’équipements définies par l’Etat. En effet, ces normes indiquent la population théorique desservie par chaque type d’équipement (forage équipé de pompe à motricité humaine, borne-fontaine ou branchement à domicile). Ainsi, sur la base de la population à desservir (population non desservie au moment de la planification et population additionnelle liée à la croissance démographique), et en fonction des ambitions définies à l’horizon 2030 (pourcentage de la population souhaité par type d’ouvrage), les experts ont directement défini les besoins en ouvrages d’eau potable pour la commune. Les échanges avec les experts indiquent que cette méthodologie de conversion directe des données démographiques en besoins d’ouvrages est largement répandue comme pratique, notamment en milieu rural, autant au niveau communal qu’au niveau national.

Le problème central que soulève cette méthodologie est la validité des hypothèses qui soutiennent les normes d’équipements prescrites par l’État avec la réalité des performances des équipements prescrits au profit des populations. En d’autres termes, un forage équipé de pompe à motricité humaine est-il effectivement en mesure de fournir 20 litres par personne par jour à 300 personnes tous les jours d’une année en respectant le temps de collecte prescrit de 30 minutes (y compris le trajet), même dans les meilleures conditions d’utilisation observées au cours des dernières décennies ? Une borne-fontaine est-elle effectivement en mesure de fournir 25 litres par personne par jour à 300 personnes tous les jours d’une année, même dans les meilleures conditions d’utilisation observées au cours des dernières décennies ? Tous les experts et les bureaucrates reconnaissent ne disposer d’aucune preuve empirique de la validité des hypothèses soutiennent les normes d’équipements prescrites par l’État, étant donné qu’il n’y a pas de tests réguliers de débit des ouvrages pendant leur cycle d’exploitation et que les défaillances techniques courantes ou accidentelles ne sont pas prises en compte dans les hypothèses.

L’étape suivante est de définir le gap de production d’eau potable en prenant en compte la production effective au moment de la planification sur la base des ouvrages et équipements déjà disponibles. A nouveau, les experts s’appuient sur les normes d’équipements qui indiquent les capacités théoriques des différents types d’ouvrages, ce qui pose les mêmes problèmes de cohérence que la méthodologie adoptée à Banfora. Selon les experts, ces questions relèvent davantage de la responsabilité des bureaucrates du ministère en charge de l’eau qui définissent les normes. Selon les bureaucrates, les normes sont prescrites sur la base des recommandations des experts qui sont mobilisées par le ministère pour toutes les questions stratégiques et conceptuelles. Il ressort des échanges qu’aucune des catégories ne veut porter la responsabilité des incohérences relevées.

Pour ce qui concerne la localisation des besoins, l’échelle utilisée pour l’anticipation des experts est l’unité administrative au sein de la commune (le quartier ou le village). Il est appliqué uniformément à ces différentes unités le taux de croissance démographique pour déterminer les besoins futurs. Cette méthodologie ne prend pas en compte la problématique des habitats spontanés en zone urbaine représentant 66,83 % de la ville de Banfora. Selon tous les experts enquêtés, il n’y a pas de méthodologie établie pour appréhender cette problématique qui est alors reléguée au stade de réalisation des ouvrages d’eau potable dans une démarche réactive à l’installation des populations. Les recherches ont été approfondies pour appréhender la méthodologie d’anticipation des besoins lors du dimensionnement des ouvrages d’eau potable. Il s’avère que le dimensionnement se base sur les prescriptions normatives de besoin individuel d’eau potable qui sont de 20 litres par personne par jour en milieu rural et de 40 litres par personne par jour en milieu urbain.

La croissance démographique et l’expansion urbaine étant un phénomène continu, il est donc théoriquement impossible à un moment donné d’assurer la satisfaction des besoins pour toute la population étant donné qu’il y aura toujours une partie de la population qui s’installe dans des zones non couvertes dans les prévisions. En visant l’atteindre et de maintenir à l’échelle de la commune l’accès pour tous à l’eau potable, la commune s’engage incidemment dans une logique d’anticipation des besoins et de prise des dispositions pour leur couverture avant même leur expression. Cette approche est généralement connue par les acteurs de planification des villes sous le vocable de viabilisation d’une zone qui intervient théoriquement avant l’installation des populations. Mais l’approche de mise en œuvre de la politique publique d’eau potable est plutôt une approche réactive et non une approche anticipative que résume bien un des bureaucrates interviewés « en réalité, on amène l’eau aux populations dans une localité quand ils seront installés en effectifs suffisants et quand on aura les moyens ».

2.4.2. Anticipation des besoins commerciaux et industriels

Nos investigations à travers l’examen des rapports de diagnostic pour l’élaboration du plan stratégique communal d’eau potable à Banfora révèlent que les besoins commerciaux et industriels en eau potable ne sont pas pris en compte dans les politiques publiques locales. Ces besoins à Banfora se réfèrent aux restaurants (Mac Donald, Kanou, Calypso), hôtels (Cascades Palace, Leraba, Somanagre, Banere), unités de transformation agroalimentaires (Sanlé séchage, Munyu, EBDF, SOTRIAB). A la différence des besoins domestiques qui sont quantifiés à partir des données de recensements de la population, aucun des supports produits pour l’élaboration du plan communal ne mentionne les besoins quantifiés spécifiques en eau potable des unités commerciales et industrielles. La principale raison avancée par les experts est l’inexistence de statistiques publiques sur l’évolution potentielle des activités commerciales et industrielles consommatrices d’eau potable à l’horizon 2030. Il se pose alors la question essentielle de l’approche de satisfaction des besoins commerciaux et industriels d’eau potable, en l’absence de toute anticipation. La réponse unanime des experts est la poursuite de l’approche réactive pragmatique déjà en cours qui consiste à satisfaire les besoins commerciaux et industriels au fur et à mesure qu’ils s’expriment si les capacités de production le permettent. Une fois de plus, on observe que la mise en œuvre de la politique publique qui se fonde théoriquement sur une logique anticipative permettant de couvrir l’intégralité des besoins et de maintenir cette couverture, ne dispose pour sa mise en œuvre que d’une approche réactive pragmatique dont l’incidence inéluctable est l’impossibilité d’atteindre l’accès universel.

2.4.3. Anticipation des besoins socio-administratifs

D’après les recherches, à travers l’examen du rapport de diagnostic pour l’élaboration du plan stratégique communal d’eau potable à Banfora révèlent qu’au titre des besoins socio-administratifs, seuls les écoles et les centres de santé sont identifiés. Ainsi, le rapport de diagnostic ainsi que le plan stratégique communal dénombrent les écoles et les centres de santé ainsi que la disponibilité et la fonctionnalité des équipements d’eau potable. Ces données ont permis aux experts de projeter directement les besoins d’équipement des écoles et des centres de santé à l’horizon 2030 sur la base des normes d’équipements établies par l’Etat. Il faut noter un élément important de la méthode de calcul, c’est qu’il n’y a pas de projection sur la réalisation de nouvelles écoles ou de nouveaux centres de santé à l’horizon 2030 ce qui parait incohérent étant donné la croissance démographique qui incidemment va induire des besoins additionnels de ces services sociaux. Pour les experts, ils ont été contraints par l’inexistence des statistiques publiques sur l’évolution potentielle du nombre d’écoles et de centres de santé à l’horizon 2030. Il se pose alors la question essentielle de l’approche de satisfaction des besoins d’eau potable dans les écoles et centres de santé, en l’absence de toute base d’anticipation. La réponse unanime des experts est la poursuite de l’approche réactive pragmatique déjà en cours qui consiste à satisfaire les besoins commerciaux et industriels au fur et à mesure qu’ils s’expriment si les capacités de production le permettent.

Les autres unités socio-administratives consommatrices d’eau potable telles que les services administratifs de l’Etat, les centres de formation professionnelle, les services de sécurité publique, les sapeurs-pompiers, etc. ne sont pas identifiés comme des unités consommatrices d’eau potable. La principale raison avancée par les experts et la priorisation des besoins en eau potable pour les écoles et les centres de santé au niveau des politiques publiques nationales en matière d’eau potable en dehors des ménages. Il se pose alors la question de l’approche de satisfaction des besoins d’eau potable dans toutes ces unités socio-administratives dont les besoins d’eau potable, en l’absence de toute base d’identification et d’anticipation. La réponse unanime des experts est la poursuite de l’approche réactive pragmatique déjà en cours qui consiste à satisfaire ces besoins socio-administratifs au fur et à mesure qu’ils s’expriment si les capacités de production le permettent. Une fois de plus, on observe que la mise en œuvre de la politique publique qui se fonde théoriquement sur une logique anticipative permettant de couvrir l’intégralité des besoins et de maintenir cette couverture, ne dispose pour sa mise en œuvre que d’une approche réactive pragmatique dont l’incidence inéluctable est une fois de plus, l’impossibilité d’atteindre l’accès universel.

3. Discussion

Sur la base de la théorie des pratiques informelles des acteurs publics de Olivier de Sardan (2010 : 10) et de celle de la débrouillardise de Lindblom (1959 : 86), deux axes de discussion se dégagent des résultats de notre recherche. Le premier axe concerne la responsabilisation des acteurs impliqués dans le processus de l’élaboration des politiques publiques d’eau potable. L’analyse des résultats a montré que, les experts ou ingénieurs de l’eau, sont prédominants et que les décideurs politiques et les autres groupes d’intérêts sont par défaut dans une posture d’approbation des propositions des ingénieurs. Ce résultat corrobore celui de Lavigne Delville (2017 : 27-28). Une telle situation met en évidence la faible responsabilisation des décideurs politiques, des bureaucrates et des groupes d’intérêt et interroge la pertinence de la présence de ces acteurs dans le processus. En revanche, il est observé que les bailleurs, restent les acteurs les plus influents étant donné qu’ils influencent tout le processus par le financement. Ce résultat rejoint celui de Lavigne Delville (2017 : 98) qui postule que les Etats sous régime d’aide sont dans la politique des bailleurs de fonds. Ainsi, on observe une déresponsabilisation des décideurs politiques et des autres groupes d’intérêts dans le processus de l’élaboration des politiques publiques d’eau potable.

Le second axe de discussion concerne l’inadéquation des méthodologies adoptées dans l’anticipation des besoins d’eau potable au cours de la formulation des politiques publiques d’eau potable. Les résultats de cette recherche ont montré que les projections ne prennent pas en compte les besoins non domestiques à savoir les usages commerciaux, industriels ou socio-administratifs. Mieux encore, les besoins domestiques qui sont les plus importants sont mal anticipés parce que les autorités de la commune de Banfora, n’ont aucune maîtrise de l’occupation de l’espace tant dans les zones urbaines que rurales. Les experts responsables de ces estimations sont généralement contraints par l’absence de statistiques publiques pertinentes. Ce résultat se rapproche de celui de Guyot (2008 : 9-10) pour qui, le bricolage dans la méthodologie de terrain dépend de l’inaccessibilité et de la non-visibilité du terrain, du choix non-systématique des acteurs à rencontrer et l’accès aux données fiables (sincérité et véracité). Pour l’auteur, ces problèmes induisent forcément des arrangements qu’il appelle « bricolage ponctuel ». Dans cette condition, la prise de décision tout au long du processus posera un problème de faible appréhension empirique des situations. En suivant le processus de prise de décision pour l’élaboration d’une politique selon Lindblom (1959 : 86), on peut s’apercevoir que les parties prenantes n’opèrent pas une prise de décision propre aux réalités et propres aux besoins.

Conclusion

Cette recherche s’est inspirée de la théorie des bricolages ou pratiques informelles des acteurs publics et de la théorie de la débrouillardise pour appréhender les dynamiques de l’élaboration des politiques publiques et pour analyser les pratiques d’anticipation des besoins d’eau potable mises en œuvre par les acteurs publics. Pour ce faire, la recherche a adopté une démarche essentiellement qualitative. Cette recherche dégage trois principaux constats : l’imperfection structurelle des politiques publiques, la légitimation et le maintien des pouvoirs des experts d’une part et des bailleurs d’autre part et enfin, l’incompétence des décideurs politiques. L’imperfection structurelle des politiques publiques se justifie par l’auto-déresponsabilisation des décideurs politiques, des bureaucrates et des autres groupes d’intérêts. Les résultats indiquent également plusieurs défaillances méthodologiques dans les pratiques d’anticipation des besoins d’eau potable. Cette situation interpelle les compétences des technocrates et des bureaucrates. L’ensemble des résultats confirment l’hypothèse selon laquelle la connaissance des besoins futurs en eau potable s’explique par les pratiques d’anticipation dans la formulation des politiques d’eau potable. Tout au long du processus, il est noté la prévalence des experts pour leurs connaissances et des bailleurs de fonds pour leur financement. La déresponsabilisation des acteurs politiques se déduit également de l’analyse, étant donné que l’élaboration de la politique communale d’eau potable a été suscitée par les politiques internationales et l’aide internationale. Les décideurs politiques locaux et les bureaucrates s’inscrivent donc dans une posture de suivisme des courants internationaux par formalité et surtout par opportunisme. C’est ainsi que les pratiques et processus de formulation des politiques d’eau potable compromettent structurellement la réalisation de l’accès universel à l’horizon 2030.

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Auteurs

Gbèlidji Hermann Juste NANSI
Doctorant – École Doctorale des Sciences Agronomiques et de l’Eau,
Université de Parakou, BP : 123, Parakou, Bénin
Courriel : hermann.nansi@gmail.com

Honorat EDJA
Maître de Conférences
Département Économie et Sociologie Rurales, Faculté d’Agronomie,
Université de Parakou, BP : 123, Parakou, Bénin
Courriel : honorat.edja@gmail.com

Guy Sourou NOUATIN
Professeur Titulaire
Département Économie et Sociologie Rurales, Faculté d’Agronomie, Université de Parakou, BP : 123, Parakou, Bénin
Courriel : guy.nouatin@fa-up.bj

Auteur correspondant

Gbèlidji Hermann Juste NANSI
Courriel : hermann.nansi@gmail.com

© Édition électronique

URL – Revue Espaces Africains  : https://espacesafricains.org/
Courriel – Revue Espaces Africains : revue@espacesafricains.org
ISSN : 2957-9279
Courriel – Groupe de recherche PoSTer : poster_ujlog@espaces.africians.org
URL – Groupe PoSTer  : https://espacesafricains.org/poster/

© Éditeur

– Groupe de recherche Populations, Sociétés et Territoires (PoSTer) de l’UJLoG
– Université Jean Lorougnon Guédé (UJLoG) – Daloa (Côte d’Ivoire)

© Référence électronique

Gbèlidji Hermann Juste NANSI, Honorat EDJA & Guy Sourou NOUATIN, « Pratiques d’anticipation des besoins d’eau potable par les systèmes de l’action publique à Banfora », Revue Espaces Africains (En ligne), 2 | 2022 (Varia), Vol. 1, ISSN : 2957- 9279, mis en ligne, le 30 décembre 2022.

 

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