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Revue Espaces Africains - Groupe de recherche pluridisciplinaire et international « Populations, Sociétés & Territoires » (PoSTer)

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Boris METSAGHO MEKONTCHO – Boris Stéphane KOAGNE DEFO


Réseaux télématiques, mouvements sociaux contestataires et changements sociopolitiques au Cameroun : entre promesses et illusion révolutionnaire

Telematic Networks, social protest movements and sociopolitical change in Cameroon : between promise and revolutionary illusions


Boris METSAGHO MEKONTCHO – Boris Stéphane KOAGNE DEFO

Résumé

Cet article se propose de mener une réflexion critique sur les usages contestataires des réseaux sociaux numériques et leurs effets sur le changement de l’ordre politique dominant au Cameroun. Il repose sur une approche qualitative et mobilise la théorie constructiviste et la sociologie des mobilisations. Articulée à un contexte conflictuel particulier, celui de la transition démocratique au Cameroun, les résultats montrent que les réseaux sociaux d’Internet constituent un nouveau répertoire des luttes sociales et politiques. En outre, l’Internet protestataire au Cameroun n’est pas seulement un espace voué au recrutement et à la coordination des actions collectives, mais également l’un des lieux de construction discursive de la critique. Cependant, force est de constater que les effets des usages contestataires des réseaux sociaux numériques dans les changements politiques demeurent marginaux. Les mouvements sociaux en ligne n’ont pas réussi à insuffler un dynamisme politique transitoire et à bouleverser le régime politique en place. Ce troisième espace reste encore une sorte de mirage incapable de faire corps avec l’espace matériel ou l’espace public physique fortement sous l’emprise de l’État.

Mots-clés : réseaux télématiques, mouvements sociaux, contestataires, cyberactivisme, changements sociopolitiques, Cameroun.

Abstract

This article aims to conduct a critical reflection on the protest uses of digital social networks and their effects on changing the dominant political order in Cameroon. It is based on a qualitative approach and mobilizes constructivist theory and the sociology of mobilizations. Articulated in a particular conflictual context, that of the democratic transition in Cameroon, the results show that the social networks of the Internet constitute a new repertoire of social and political struggles. In addition, the protest Internet in Cameroon is not only a space dedicated to the recruitment and coordination of collective actions, but also one of the places for the discursive construction of criticism. However, it is clear that the effects of the protest uses of digital social networks in political changes remain marginal. Online social movements have failed to instill transitional political dynamism and disrupt the existing political regime. This third space still remains a kind of mirage incapable of being one with the material space or the physical public space strongly under the influence of the State.

Keywords : telematics networks, social protest movements, cyberactivism, socio-political changes, Cameroon.

Introduction

Le développement des technologies numériques de l’information et de la communication (TIC) contribue à faire évoluer les dynamiques de la mobilisation, à élargir les modes d’accès et de prise de parole dans l’espace public et à favoriser de nouvelles formes de participation citoyenne (Neveu 1999 : 17-85).

Au regard de l’hyperactivité et de l’hyper-connectivité des peuples notamment sur l’espace numérique, on a l’impression qu’Internet nourrit un autre espace démocratique que celui de la compétition pour la représentation politique dans les sociétés contemporaines.

Le cyberespace permet aux acteurs sociaux d’aller au-delà de l’espace habituel d’expression, d’interaction et de négociation, pour investir un nouvel espace-temps citoyen (Najar 2013 : 6). Les citoyen.ne.s-monde, en utilisant beaucoup les sites Internet et les réseaux sociaux, sont devenu.e.s sans s’en rendre compte des « acteurs du web » (Oberdorff 2010 : 1).

Aujourd’hui, les réseaux télématiques ne cessent de s’affirmer comme des tribunes d’expression citoyenne, des espaces d’engagement politique et militant autonome (Ovoundaga 2018 : 3). Les espaces numériques, et notamment les réseaux socionumériques deviennent des lieux dans lesquels des citoyen.ne.s camerounais.e.s peuvent se déployer, sans trop subir les dérives autocratiques d’un État qui assujettit ses propres citoyens (Ngono 2018 : 138).

S’imposant par les usages politiques et citoyens, les réseaux sociaux présentent les attributs d’espace symbolique d’échange discursif et de délibération (Wolton 2006 : 3). À l’heure où l’on parle de l’élargissement de l’espace public grâce à Internet ou à sa reconfiguration (Cardon 2010 : 4), il conviendrait d’examiner le rôle d’Internet et des médias sociaux dans les mouvements contestataires et leur contribution aux changements sociopolitiques dans un régime autoritaire comme celui du Cameroun. Ce régime qui décourage la participation individuelle, qui contrôle l’infrastructure communicationnelle de sorte qu’il devient très difficile pour les citoyen.ne.s d’exprimer leur mécontentement dans l’espace public traditionnel (Tufecki et Wilson 2012 : 363-379). En quoi Internet, avec la panoplie de réseaux sociaux qu’il génère, ouvre-t-il des espaces légitimes de participation, de revendications et de protestations dans un contexte institutionnel longtemps marqué par la rétention autoritaire de l’espace politique ? Les usages contestataires des technologies numériques et du Web participatif entrainent-ils des changements aussi bien sociaux que politiques au Cameroun ? Comment le régime autoritaire de Yaoundé s’organise-t-il pour neutraliser les effets des usages politiques contestataires des réseaux sociaux sur le système hégémonique ?

A travers ces questionnements, nous romprons avec tout déterminisme technologique et éloge de la société en réseaux (Castells 2011 : 2). Ce recul épistémologique est heuristique pour restituer les usages politiques d’Internet dans leur contexte social afin, de bien saisir le rôle que jouent les technologies numériques dans la formulation des revendications protestataires ainsi que leurs effets réels sur les changements politiques et le bouleversement du régime post-monolithique au Cameroun. Le « réseau des réseaux », rappelons-le, est un outil et non un acteur autonome. Il n’est pas socialement neutre. Il ne faut donc prêter un pouvoir révolutionnaire à ce support pris isolément.

Dans cet article, notre argument central vise à montrer que, le « Web social » en favorisant l’émergence d’un « espace public oppositionnel » alternatif (Negt 2007 : 38), est devenu un lieu de contestation politique, d’expression des revendications sociales et d’engagement politique au Cameroun. Cependant, force est de constater que, les effets des mouvements sociaux numériques ainsi que les nouvelles formes d’expression contestataires sur le changement sociopolitique et la construction d’une société démocratique au Cameroun restent marginaux en raison des contraintes multiformes qui entravent leur efficacité.

Cadre théorique de recherche

Épistémologiquement, cette réflexion mobilise la théorie constructiviste et cognitiviste du rapport des acteurs sociaux aux médias (Callon 1989 et Latour 1995). Celle-ci met en relief les usages politiques des technologies médiatiques par des acteurs et par des groupes sociaux porteurs d’intérêts pluriels. Elle « privilégie l’analyse des controverses. Car c’est dans les controverses que se révèlent les positions et intentions des acteurs, que se nouent les rapports de forces, que s’impose progressivement une solution technologique parmi d’autres » (Richaud 2017 : 30-44). L’étude tente de restituer les indices d’une mutation tendancielle dans les « manières de » protester à l’aune de l’irruption des médias sociaux au Cameroun. Enfin, notre approche se fonde sur la sociologie des mouvements sociaux, pour analyser les modèles organisationnels (Gamson 1975 : 32), l’incidence du contexte politique (Tilly 1976) et les processus de construction des cadres contestataires (Benford et Snow 2000 : 611-639).

Cadre méthodologique de l’étude

Sur le plan méthodologique, nous avons effectué une enquête qualitative sur deux terrains de recherche ethnographique : le terrain réel et le terrain virtuel. En ce qui concerne l’enquête sur le cyberespace (1), nous avons mené une observation directe de la communauté (adhésion aux plates-formes numériques, consultation quotidienne, participation aux échanges numériques avec les internautes). Cette observation ethnographique de groupes militant.e.s sur les réseaux sociaux numériques comme Facebook, a permis de scruter la façon dont les cybercitoyens domestiquent à leur profit les dispositifs numériques comme des lieux constitutive d’une alternative, favorisant leur prise de parole, leur militantisme et l’expression de leurs revendications.

Le matériau empirique collecté a permis de rendre compte de l’existence d’une démocratie virale et d’une démonopolisation des espaces d’expression et de la parole publique. Il est constitué de textes, d’images, de vidéos, de forums, de blogues et de profils/pages Facebook publiés par les collectifs contestataires en ligne. Ce corpus numérique est analysé dans la perspective de la « nouvelle science des réseaux » (Newman, Barabási et Watts 2006) ou encore de digital methods (Rogers 2010 ; Rebillard 2011).

La pertinence de croiser les digital methods avec des méthodes plus classiques en sciences humaines et sociales réside dans le fait qu’elles permettent de saisir les multiples dimensions des phénomènes médiatiques (Rebillard 2011 : 356). Ce choix est d’autant plus pertinent que « l’analyse des réseaux sociaux est fondée sur une approche structurale des relations entre membres d’un milieu social organisé. Elle s’attache à décrire les interdépendances entre acteurs et permet une simplification de leur représentation » (Mercanti-Guérin 2010 : 135). Nous avons donc mis en lumière les mobilisations numériques et nouvelles formes d’expression contestataires émergeantes grâce aux usages « citoyens » des réseaux télématiques. Quant à l’enquête sur le terrain de recherche physique, nous avons mené des observations directes et entretiens semi-directifs auprès des groupes militants notamment dans le cadre des manifestations protestataires organisées par le Mouvement pour la renaissance du Cameroun entre 2018 et 2020 à Dschang et Bafoussam (Région de l’Ouest-Cameroun).

Nous avons interviewé vingt-cinq militant.e.s contestataires. Les entretiens auprès de ces derniers ont eu pour objectif de recueillir les logiques de la faible traduction de leurs mobilisations numériques en actions protestataires dans la rue. Par ailleurs, nous avons mené une collecte documentaire sur la question des usages politiques et contestataires des réseaux sociaux numériques en contexte africain en général et camerounais en particulier (Wame 2018 : 107-127 ; Ngono 2018 :129-149 ; Atenga 2017 : 1-22 ; Sidi Njutapwoui & Fewou Ngouloure 2015 : 1-13).

Les résultats obtenus ont permis de structurer ce travail en deux parties : La première partie tente de mettre en lumière les usages «contestataires » des technologies numériques au Cameroun. Quant à la seconde partie, elle examine l’impact réel des formes d’expression contestataires numériques sur le changement sociopolitique au Cameroun.

1.Les réseaux télématiques : de nouveaux espaces publics de la contestation politique au Cameroun

Le réseau des réseaux est devenu le support de coordination, de nouveaux répertoires d’actions pour les mouvements de contestation dans un dans un contexte socio-politique marqué par la coercition et l’emprise du politique sur tous les espaces sociaux. Puisqu’il élargit les palettes de la prise de parole, des espaces de débats, d’échanges et d’intercommunication aux groupes sociaux divers. De plus, le cyberespace s’est imposé progressivement comme le terreau privilégié pour la construction de la critique sociale. Enfin, le cyberactivisme contestataire s’est érigé en baromètre de la gouvernance par le « bas » et comme un outil de transformations sociopolitiques.

1.1. La consécration des réseaux télématiques comme nouveau répertoire des luttes sociales et politiques au Cameroun

Aujourd’hui, le rôle des technologies numériques dans le processus de mobilisation sociale est devenu d’une très grande importance. Ces dernières permettent d’élargir les répertoires d’action collective, de faciliter la production, la dissémination de valeurs et d’idées articulées collectivement (Castells 2009 : 34). C’est donc progressivement que la blogosphère, puis les réseaux sociaux numériques, sont apparus comme des lieux majeurs de la contestation de l’ordre social et politique en Afrique en général et au Cameroun en particulier. Dans ce pays, le « Web social » est de plus en plus investi par des acteurs des mouvements contestataires qui trouvent dans cet espace alternatif d’expression et de revendication, un lieu privilégié pour défendre leur cause et requérir leurs droits de participation citoyenne. Le cyberespace offre donc la possibilité aux individus et aux groupes manifestants de jouir d’une grande marge de manœuvre et surtout d’échapper au contrôle auquel ils sont habituellement exposés dans l’espace public physique notamment autoritaire.

À l’ère des réseaux sociaux numériques, descendre dans la rue n’est plus à considérer comme l’unique forme d’expression du ras-le-bol des masses populaires. Les TIC et le numérique sont utilisés par les Camerounais.e.s comme espace de résistance, de contestation et de dénonciation du politique (Taguem Fah et Djouldé, cité par Ngono 2018 : 145). Le principe de déterritorialisation qui s’opère ici se justifie par le contexte socio-politique camerounais, peu favorable à la délibération publique du fait du verrouillage de l’espace public classique (Ibid. : 45). L’espace numérique qui fait d’office de cadre de mise en forme, d’expérimentation et de maturation d’initiatives contestataires : « l’e-rue » (Gueorguieva et Krasteva 2015) en tant qu’espace du politique numérique où se construisent des relations de dominations entre une pluralité d’acteurs.

Ces dernières années, plusieurs exemples permettent d’étayer le rôle non négligeable qu’ont joué les réseaux sociaux numériques dans la construction, la mise en visibilité et à la coordination de plusieurs mouvements contestataires au Cameroun. Les formes de protestations collectives se sont largement appuyées sur Internet pour monter en généralité, gagner en légitimité et faire avancer leurs causes, comme en témoigne le mouvement social anglophone. Dans ce mouvement, les opérateurs communicationnels (l’arobase et l’hashtag news) ont facilité non seulement l’organisation et la coordination des multiples protestations collectives dans les rues, mais ont également aidé à la mise en visibilité de la minorité anglophone (Wamé 2018 : 116-119).

Les réseaux sociaux numériques ont ainsi permis aux entrepreneurs de la cause anglophone de mettre en circulation des informations. Le faisant, ils ont contribué à déterritorialiser les évènements locaux des anglophones. On a pu saisir la mise en visibilité de la marginalisation des anglophones dans l’administration camerounaise et l’absence voire la vétusté des infrastructures routières dans les deux régions anglophones, les répressions violentes par la police et l’armée d’État, arrestations, etc. Ils auraient donc participé en tant que structures d’information et de communication, à la construction de l’indignation et à la convergence du sens sur les réseaux télématiques (« formation du consensus »), mais aussi à la constitution d’un potentiel positif de mobilisation et à l’activation de la révolte (« mobilisation pour l’action ») (Klandermans 1988 : 173-196). Dans le cadre de cette crise sociopolitique, la mise en images des manifestations a contribué à façonner des dispositifs de sensibilisation spécifiques, dont l’objectif était de susciter des réactions affectives promptes à rallier la cause anglophone. Ces dispositifs ont permis aux citoyens d’expression anglophone une réappropriation de l’espace public, tout en constituant des vecteurs puissants d’un imaginaire protestataire anglophone articulé autour du paradigme du « courage » dans un contexte politique extrêmement répressif (Boëx 2013 : 175).

Il en est de même des « marches pacifiques » protestataires organisées par le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun entre 2018 et 2020. De fait, l’essentiel de l’architecture organisationnelle de ces marches contestataires a été pilotée via les réseaux sociaux. Cela démontre que la communication interpersonnelle numérique est indispensable dans la mobilisation informationnelle. Ils ont été à l’origine d’une sensibilisation de l’opinion, de mobilisations et de marches pacifiques dans ces différents cas.

Les Camerounais.e.s émigré.e.s se servent aussi des possibilités désormais offertes par les nouvelles technologies pour médiatiser leurs revendications et leurs performances dans la rue en tant qu’« espace public territorialisé », et sur internet, en tant qu’ « espace public numérique » contestataire (Sedda 2015 : 25-52). L’actualité politique récente des revendications de certains mouvements citoyens camerounais de la diaspora à l’instar de la « Brigarde anti-Sardinards », offre un bel exemple pour mettre en lumière la place hautement stratégique des réseaux sociaux dans la construction de l’action collective pour le changement et l’instauration d’un nouvel ordre politique au Cameroun.

L’organisation des actions protestataires de cette organisation diasporique est concomitante à l’investissement du cyberespace. Les militant.e.s de ce collectif de contestation du régime autoritaire de Paul Biya développent effectivement une présence sur des espaces certes physiques mais ouverts au pays natal par la diffusion satellitaire. Les entrepreneur.e.s de ce mouvement contestataire diasporique ont réussi la plupart de leurs mobilisations grâce à une surexploitation des opportunités numériques offertes par le réseau des réseaux. Ces émigré.e.s camerounais.e.s exclu.e.s du cercle du pouvoir et de la prise de décision s’expriment à travers des réseaux sociaux virtuels et contribuent à l’orientation de l’opinion publique et à la mobilisation sociale et politique. En transcendant les frontières matérielles, ces diasporiques en question se servent d’une base (plateforme) transnationale afin d’agir à distance sur la réalité sociale de leur pays d’origine. Les réseaux sociaux constituent ainsi pour ces dernièr.e.s, une autre opportunité de réarticuler le discours politique, d’affronter les autorités de Yaoundé sur un terrain qu’ils ne maitrisent pas et qu’ils ou elles ne peuvent pas contrôler. Et en matière de discours et de présence, ces organisations contestataires diasporiques savent se jouer des processus de déterritorialisation où la construction de l’espace est d’abord narrative. Ainsi, ils/ elles se meuvent facilement entre Londres, Paris, Bruxelles, Hambourg, et chacun de leurs mouvements qui sont souvent ponctués de rencontres et de sittings devant les ambassades de leurs pays, rend les autorités de Yaoundé nerveuses (Mba Talla 2012 : 5).

En somme, dans les pays connaissant un contrôle étatique de l’information et de l’espace physique comme le Cameroun, les médias alternatifs numériques deviennent l’une des principales ressources pour constituer des collectifs et faire naître des mobilisations. Le manque de liberté d’expression conduit à l’impossibilité de structurer des « subjectivités rebelles » en des « espaces publics oppositionnels » (Negt 2007) concrets (associations, partis, syndicats, etc.). Face à cela, l’espace public numérique offre aux citoyen.ne.s d’autres possibilités de porter leurs expressions et leurs revendications. Pour le dire avec les termes de Jürgen Habermas (…), quand il est patent que les garanties statutaires de l’État tout autant que les médias de masse n’autorisent ni une auto-organisation politique de la société, ni même la possibilité d’une formation informelle des opinions au sein d’espaces publics autonomes, les potentiels critiques et de résistance tendent à s’actualiser sur Internet. Non parce que l’engagement y serait somme toute plus aisé ou plus confortable, mais plutôt parce que le réseau des réseaux constitue un substrat social hétérogène (un public large), composé de sujets interconnectés, donc contactables dans un cadre conversationnel plus « ordinaire » et dont on peut penser qu’ils sont également mobilisables dans des projets politiques critiques (Grandjon 2013 : 252). Le réseau Internet n’est pas uniquement un moyen de diffusion et de coordination de la lutte. C’est avant tout un nouveau terrain pour la construction discursive de la critique sociale.

1.2. Espaces numériques oppositionnels et protestations collectives au Cameroun

La démocratisation progressive des usages d’Internet s’est traduite par une effervescence croissante de l’activisme en ligne. En constituant une alternative aux lieux traditionnellement voués au combat social, l’espace public numérique est devenu un canal de mobilisation puissant ainsi qu’un terrain propice à la formation et à la propagation de nouveaux cadres contestataires (Sedda 2015 : 20). L’« Internet contestataire » s’est progressivement imposé comme l’un des principaux lieux de déploiement de l’ « action contestataire » (McAdam et al., 1998). L’observation du champ protestataire africain en général et camerounais en particulier montre qu’avec l’émergence des sites de réseaux sociaux, et surtout de Facebook, les actions collectives en ligne se sont multipliées. Comme telles, ces actions collectives ont pris de l’ampleur en mobilisant davantage de participants ; une conséquence de leur visibilité. Le mouvement numérique « Je veux ma CNI » nous permet de cerner cette réalité.

En effet, au début du mois de janvier 2021, un mouvement de protestation contre le « clair-obscur » dans l’établissement de la Carte nationale d’identité au Cameroun est né sur la Toile numérique notamment Facebook. Ce mouvement numérique « Je veux ma CNI », s’indigne contre des retards et pénuries observés dans la délivrance des cartes nationales d’identité et des passeports. A travers la création de ce collectif numérique, plusieurs citoyen.ne.s camerounais.e.s ont exprimé leur ras-le-bol contre la gouvernance de la citoyenneté au Cameroun. Plusieurs cybercitoyen.ne.s camerounais.e.s ont changé leur profil avec l’hashtag #JeveuxmaCNI. Si cette mobilisation informationnelle ne s’est pas matérialisée par une mobilisation dans la rue, elle a néanmoins contraint les autorités en charge de l’établissement des cartes nationales d’identité et des passeports à s’expliquer.

A l’évidence, dans le champ contestataire camerounais, les potentialités liées aux dispositifs d’auto-publication et d’expression de la parole profane ont encouragé la formation d’espaces info-communicationnels oppositionnels répondant à ses propres formes de communication et à des pratiques de participation et de délibération originales (Negt 2007 : 8). Les TIC revêtent donc ici une fonction idéologisante ayant un impact tant dans la construction des nouveaux cadres collectifs de l’injustice sociale. La dynamique participative apparaît comme un répertoire d’action des plus utiles et adéquats dans les pays où la liberté de la presse n’est pas seulement menacée par les effets de la professionnalisation, de la concentration économique ou du sensationnalisme, mais plus directement par la censure et le contrôle de pouvoirs autoritaires (interdiction des rassemblements, de partis d’opposition, etc.).

1. 3. Usages «  contestataires » d’internet, émergence d’un nouvel espace public de la critique et transformations sociopolitiques au Cameroun

Afin de mieux cerner le rôle que jouent les réseaux sociaux numériques dans la construction d’un espace public critique, il est judicieux de prendre en compte l’histoire sociopolitique des États postcoloniaux d’Afrique subsaharienne en général et camerounais en particulier. En effet, longtemps soumis aux dures réalités du parti unique marquées par l’absence de liberté de parole et de pensée, le citoyen camerounais ordinaire a rarement été acteur de son propre destin en matière de démocratie (Bayart 1980 : 5-20). Avec la restauration du pluralisme sociopolitique au détour des années 1990, les citoyens acquièrent le droit à l’expression par les mouvements sociaux de toutes sortes (grèves, désobéissance civile, prolifération des journaux). Mais très vite, les régimes accessoirement démocratiques, vont procéder à des réformes cosmétiques en monopolisant les lieux et les sources d’information (Alawadi 2019 : 10). La pratique renforcée des nouvelles technologies vers la décennie 2000 constitue alors un « nouveau paradigme » dans la prise de la parole politique dans cette région du monde. L’on note de plus en plus un renversement de la hiérarchie des valeurs où même celles et ceux qu’on pouvait considérer jusque-là comme des « laissés pour compte » prennent une sorte de revanche en s’appropriant le cyberespace pour promouvoir une culture démocratique critique. Les réseaux télématiques ainsi contribuent au renforcement d’une « démocratie participative » où chaque citoyen « connecté » a la possibilité d’agir et d’interagir sur ce nouvel espace public qu’offre la toile numérique.

Très vite les Camerounais.e.s du « monde d’en bas » relevant de la sphère des gouverné.e.s par opposition au « monde d’en haut » (c’est-à-dire les gouvernants) (Bayart et al. 2008 : 36) ont investi ces réseaux télématiques pour discuter à leur manière des affaires publiques et à l’occasion, prendre ouvertement position contre la gouvernance des dirigeants et participer à l’action politique et construire des espaces d’engagement militant autonome (Alawadi 2021 : 53). Les activités en ligne dénonçant les abus du régime autoritaire de Paul Biya apparaissent bien, ici, comme l’expression (c’est-à-dire à la fois une représentation et un élément du processus) d’« un contre-projet face au monde hiérarchique du pouvoir, de ses cérémonies officielles et de sa discipline quotidienne » (Habermas 1993 : 7).

Parmi ces gens du « monde d’en-bas », on a les cyberactivistes. Par l’expression « lanceur d’alerte » ou « cyberactiviste », Lassané Yameogo (2020 : 7) entend « toute personne physique (elle peut aussi être morale) qui utilise les réseaux sociaux numériques pour avertir, attirer l’attention, interpeller sur un danger, sur un risque réel ou potentiel ou encore pour révéler ce qui est caché ou critiquer ce qui ne va pas ». Ces communautés engagées dans l’action citoyenne en ligne n’attendent pas la survenue d’une crise importante avant de faire parler leurs smartphones, tablettes ou ordinateurs, mais se déploient quasi quotidiennement sur le Net. Symboles d’un nouvel espace de luttes sociopolitiques, elles se positionnent dans l’espace public numérique comme le catalyseur de l’édification d’une nouvelle élite gouvernante, d’une nouvelle société dévouée à la transparence politique et aux valeurs démocratiques. Elles parviennent, grâce au soutien de leurs pairs moins engagés, à bousculer les pratiques ancrées et les ordres sociopolitiques établis.

Ces cyberactivistes étant très suivis et leurs publications partagées, cela a contribué à entretenir la pression des réseaux sociaux sur le gouvernement camerounais. Ils contraignent, par moments, les pouvoirs publics camerounais à la reddition de comptes et à des réajustements politiques. Ce cyberactivisme est révélateur de la montée en puissance d’un contre-pouvoir politique. Les forums numériques deviennent ainsi des instances de critiques, de débats polarisés et d’invectives enflammées à l’encontre des gouvernants. Entre les mains des citoyen.ne.s ordinaires, les gens du monde d’en bas, les médias sociaux remplissent désormais cette fonction de contestation, de dé-légitimation et de déconstruction du régime en place qui a tendance à reconduire les habitus autoritaires de l’ère monolithique (Alawadi 2019 : 10). Il en résulte, que le Web social est « le rendez-vous des mécontents » ou le lieu « d’expression de frustrations difficiles à manifester ouvertement dans l’espace public » camerounais (Frère 2015 : 157).

À l’observation, la quasi-totalité des commentaires des cyberactivistes camerounais dans les plates-formes de discussion (Facebook, WhatsApp, Twitter, etc.) sont contre la gouvernance du régime de Paul Biya. Par cette prise de position, les webactivistes camerounais s’illustrent, selon Frère, comme « un véritable contre-pouvoir face aux défaillances de la gouvernance politique » (Frère 2015 : 161). Ils/elles défendent des valeurs et des principes qu’ils jugent fondamentaux pour eux et pour la société camerounaise. Les webactivistes construisent de nouveaux territoires d’expression, participant, de ce fait, à la déstructuration de l’espace public camerounais et faisant des plateformes socionumériques le lieu d’exercice d’une citoyenneté critique numérique par le « bas », un espace de transformations sociopolitiques et de définition de nouveaux enjeux de gouvernance. Ils tirent leur légitimé de l’opinion publique qu’ils considèrent comme un adjuvant qui refuse de s’afficher et de s’affirmer dans l’espace public, par peur de sanction ou de représailles. Cette intrusion du cyberactivisme contestataire dans la vie politique camerounaise, comme observatoire du comportement social de l’élite politique gouvernante, désacralise ou démythifie le pouvoir d’État, montrant qu’il n’est plus seulement l’affaire de puissants intouchables, mais désormais aussi exercé, par des petites gens branchées à un réseau relationnel numérisé. La déstructuration des dogmes et des pratiques établis qu’ils induisent est le témoignage que les pouvoirs publics sont attentifs au combat qu’ils mènent (Ibid.).

En somme, les réseaux sociaux numériques comme lieu de discussion sont donc de plus en plus investis par les populations du « monde d’en-bas » pour exprimer une « critique en colère » de la gouvernance du régime de Paul Biya en échappant, du fait des ressources techniques propres aux réseaux télématiques, à la répression. Ce nouvel espace public génère de nouvelles formes d’organisations collectives et individuelles et peut se définir comme un espace de contrôle politique, un outil permettant « d’articuler ensemble de multiples actions citoyennes à travers des activités de vigilance et de dénonciation » (Flichy 2010 :167). Toutefois, les mouvements protestataires connectés sont confrontés aux contraintes du contexte politique, qui réduisent leur potentiel révolutionnaire et transformatif.

2. Les mouvements sociaux numériques à l’épreuve des contraintes du « contexte politique »

Internet avec la panoplie de réseaux sociaux qu’il offre, constitue une force majeure dans la construction de l’action collective et de la critique sociale au Cameroun. Ceci n’est qu’une partie du décor du cyberespace. Car, à l’évidence, les réseaux télématiques sont des instruments technologiques dont l’utilisation a des effets plus ou moins directs, plus ou moins efficaces sur leur matérialité et leur fonctionnalité. Dans ce sens, les mobilisations numériques peinent à révéler leur potentiel transformatif et à être des vecteurs de la révolution et de changement du régime politique au Cameroun[1]. Cette faiblesse s’explique d’une part, par les « contraintes du contexte politique » dans lequel s’insèrent ces mouvements sociaux numériques, et qui contribuent à façonner ces derniers. Il s’agit d’une part, de la permanence du contexte « post-autoritaire », qui est un espace politique contraignant et répressif, étouffant les mouvements sociaux à l’ère du numérique de se transformer en grandes actions protestataires dans la rue, susceptibles d’impulser des changements sociopolitiques palpables au Cameroun. Et d’autre part, de l’institutionnalisation progressive d’un « autoritarisme numérique » qui se matérialise par les logiques de verrouillage, de surveillance et de contrôle autoritaire d’accès aux réseaux télématiques.

2.1. La permanence du contexte post-autoritaire : une variable explicative de la faiblesse des mouvements sociaux connectés

Force est de constater qu’au Cameroun, la majorité des mouvements de contestation portés par les réseaux sociaux peinent à se concrétiser en action politique réelle sur le terrain. De même, même certaines mobilisations protestataires amplifiées par les médias sociaux dévoilent leurs faiblesses à mobiliser un grand nombre de manifestants et à réaliser des changements palpables. Car, le contexte politique camerounais n’offre pas une structure des opportunités politiques favorables à l’expression des revendications, surtout à caractère politique. Les acteurs des mouvements sociaux font face à la répression militaro-policière et judiciaire du régime de Paul Biya hostile à l’autonomisation d’un « espace des mouvements sociaux » (Mathieu 2012 : 8), recherchant l’apathie politique et la démobilisation des populations. En effet, l’« État postautoritaire » (Pommerolle 2008 : 80) a travaillé à instiller dans la conscience collective des citoyen.ne.s camerounais.e.s une peur craintive en criminalisant toute forme de dissidence ou d’agitation sociopolitique. Cette criminalisation va des actes de violence au harcèlement, des arrestations arbitraires à la menace d’emprisonnement et même au meurtre. Les législations visant à limiter les droits à la liberté d’association, de réunion et d’expression se sont multipliées, minant l’indépendance des acteurs de la société civile et leur capacité à fonctionner efficacement. Qu’elles soient organisées par des partis d’opposition ou des acteurs associatifs, les mobilisations protestataires, surtout de remise en cause de l’ordre hégémonique, font régulièrement l’objet d’interdictions.

L’adoption de la loi antiterroriste en 2014 (Loi No 2014/028 du 23 décembre 2014)[2] encourage la criminalisation des groupes contestataires, des opposants politiques et des défenseurs des droits de l’homme. Cette loi antiterroriste excessive introduite dans le contexte de lutte contre le groupe Boko Haram, est aujourd’hui utilisée par les autorités pour arrêter et menacer les entrepreneurs des mouvements protestataires (Mba Talla 2018 : 4). Cette loi constitue donc un instrument de consolidation de l’hégémonie de l’élite gouvernante dans un contexte de crises multiformes. C’est un outil entre les mains du pouvoir central pour consolider son hégémonie et réduire au silence les revendications politiques, économiques et sociales qui attestent de la faillite de la gouvernance politique. Plus spécifiquement, elle peut également être vue comme un outil entre les mains de l’ordre gouvernant permettant d’éliminer par le droit des potentiels adversaires politiques (Berthold 2018 : 86). On aperçoit ainsi l’instrumentalisation du droit qui s’inscrit dans une stratégie de fabrication du silence, mais également du consentement à travers la discipline. Les arrestations, la répression des manifestations, l’interdiction des réunions des partis politiques et des organisations de la société civile, sont à ranger dans une stratégie de discipline de la société dans laquelle s’insère le dispositif juridique.

L’objectif d’une telle législation consiste à amener les populations au respect des lois, un respect de lois qui profite dans les faits au pouvoir. Puisque pour l’ordre gouvernant, il n’est pas question de laisser émerger un discours alternatif au-delà de celui produit par le pouvoir central (Berthold 2018 : 103). Le corps des individus est le lieu par excellence où s’exerce ce pouvoir disciplinaire (Foucault cité par Bertolt 2018 : 99). Discipliner vise à domestiquer, rendre docile et produire des individus qui ne sauraient contester l’ordre établi (Foucault cité par Berthold, Ibid. : 100).

En réponse à cette expression contestataire pacifique, le régime de Yaoundé a réagi, comme à l’accoutumée, par la brutalité. Ainsi, les manifestant.e.s pacifiques ont été brutalisé.e.s , torturé.e.s , mutilé.e.s et, pour 556 d’entre eux, détenus de manière illégale et arbitraire. Ce 22 septembre, des journalistes ont été aussi victimes d’actes de torture par les forces de répression déployées par le régime. Un an après ces arrestations, 124 de ces prisonnier.e.s politiques croupissent encore dans les prisons, parmi lesquels 116, tous des civils, comparaissent devant les tribunaux militaires pour des chefs d’inculpation tels que : tentative de révolution, rébellion, défaut de carte nationale d’identité, attroupement aggravé, tentative d’insurrection en coaction, conspiration, outrage au Président de la République, attroupement, hostilité à la patrie, trouble à l’ordre public, association de malfaiteurs, etc.[3]. Tout cet arsenal répressif militaro-policier et judiciaire déployé par les pouvoirs publics a eu pour but de semer la peur, la panique, l’angoisse, pour décourager les potentiell.e.s militant.e.s contestataires de rejoindre les manifestations populaires. Cela a conduit à ce qu’Emmanuelle Pommerolle (2008 : 73) nomme la « démobilisation collective ». Par ailleurs, la circulation sur la Toile des images des victimes de la répression militaro-policière (morts, capturés et/ou torturés) du régime en place, a fait peur aux potentiell.e.s manifestant.e.s, ces dernières.e.s préférant adopter la posture du « passager clandestin » selon l’expression de Mancur Olson (1978).

Le plan de résistance est effectivement populaire sur le cyberespace et compte des centaines de milliers de militant.e.s et sympathisant.e.s. Cependant, dans l’espace public physique, les différentes manifestations protestataires organisées dans plusieurs villes du pays ont mobilisé une faible masse de militant.e.s. Le nombre est un indicateur de puissance pour les mouvements sociaux. Il constitue l’un des critères de réussite d’un mouvement social. Or sans une présence mobilisatrice effective et continue sur le terrain, il y a peu de chances que les mécanismes révolutionnaires qui se sont formés dans le Maghreb et dans certains pays de l’Afrique de l’Ouest s’enclenchent au Cameroun (Heungoup 2019 : 6). Les mouvements sociaux connectés n’arriveront pas toujours à gagner par rapport à l’Etat autoritaire actuel et à imposer le changement politique. Pourquoi les mouvements sociaux sont-ils actifs dans l’espace virtuel, mais inefficaces sur le terrain ?

Aujourd’hui, sous le prétexte de la lutte contre le terrorisme de Boko Haram à l’Extrême-Nord et sécessionniste dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, de préservation de l’ordre public, l’ordre hégémonique rend invisibles des revendications sociopolitiques qui s’inscrivent profondément dans une critique du pouvoir et de sa gouvernance. Par ailleurs, aujourd’hui les principaux leaders de ce parti de l’opposition tant à l’échelle nationale que locale sont incarcérés (comme c’est le cas d’Alain Fogué Tedom, Bibou Nisack, etc.) que local[4]. Ceux qui ont été libérés ne sont plus actifs comme avant. De plus, plusieurs cyberactivistes de ce parti résident plutôt à l’étranger. Dès lors, si d’éventuelles manifestations venaient à être organisées, le risque de voir qu’une minorité de manifestant.e.s rejoigne le mouvement est élevé, à cause d’un défaut de présence d’instigateurs que nous qualifierons de leaders d’opinion. Car, les individus sont susceptibles de prendre des risques lorsque des proches font de même – suivant ainsi leur exemple – mais ne sauraient mettre leur vie en danger lorsque les leaders ou du moins les instigateurs eux-mêmes sont absents. En effet, non seulement les réseaux sociaux regroupent des individus aux intérêts protéiformes, mais ils sont aussi assis sur des « liens faibles » (Granovetter 1973 : 3), au sens où ils mettent en relation des gens qui ne se connaissent pas forcément et qui ont peu ou pas de chance de se rencontrer dans la vie réelle. Si, selon Granovetter, les « liens faibles » sont les plus forts en termes utilitaires, dans la mesure où ils permettent le dynamisme et l’éclectisme du groupe, il faut des « liens forts » se traduisant par un partage d’émotion pour provoquer chez l’individu un engagement, voire une prise de risque pouvant mener au sacrifice de soi. Au-delà de la permanence du contexte postautoritaire, une autre stratégie riposte du régime gouvernant de Yaoundé consiste à développer des logiques de verrouillage et de contrôle autoritaire d’accès aux médias sociaux numériques.

2. 2. Les logiques de verrouillage et de contrôle autoritaire d’accès aux médias sociaux numériques

Cette articulation examine les réponses et les capacités que les pouvoirs publics camerounais développent, pour contrer ceux qui utilisent les outils numériques contre eux, faire face à la menace des mouvements connectés et contrôler la sphère publique connectée. En effet, les réseaux sociaux ont créé de nouveaux espaces de contestation, d’expression des revendications pour des populations souffrant le martyr de régimes monolithiques. Et de ce point de vue, l’attitude des pouvoirs gouvernants visant à museler la critique et l’information alternative en ligne, est révélatrice de la menace que les usages « contestataires » des réseaux sociaux numériques font peser sur leurs intérêts hégémoniques. C’est ainsi que s’est peu à peu développée une « répression 2.0 » (…) de la part du régime de Biya afin de neutraliser les effets des formes d’expression contestataires qui se développent sur la Toile numérique. Par moult tactiques et mécaniques d’obstruction, le régime autoritaire en place tente de vider les médias sociaux de leur teneur transformatrice en déployant des pratiques liberticides et autoritaires

2. 2. 1. La restriction ou le verrouillage de l’accès au réseau internet par le pouvoir politique

Par définition, la restriction ou la censure contre l’accès à l’internet, souvent appelée coupure d’Internet, est le blocage intentionnel de l’accès à Internet ou à certains services d’Internet comme les réseaux sociaux. La coupure d’Internet est principalement ordonnée par les gouvernements désireux de perturber les communications et de restreindre l’accès à l’information aux citoyen.ne.s, afin de réduire ce que les citoyen.ne.s peuvent y voir, faire ou transmettre. Au cours de ces dernières années, l’Afrique est désormais coutumière de la réduction d’accès à internet notamment en contexte électoral et de contestations sociopolitiques. Selon le rapport d’International ICT Policy for East an Southern Africa (2019)[5], les États autoritaires parmi lesquels le Cameroun, se présentent comme les champions en matière de verrouillage d’accès à Internet.

Au Cameroun, à l’épreuve des tensions sociopolitiques qui sévissent dans les régions anglophones du pays (Nord-Ouest et Sud-Ouest) depuis 2016, le pouvoir de Yaoundé a procédé à la coupure du réseau Internet pendant trois mois, du 17 janvier 2017 au 20 avril 2017. Cette coupure avait pour objectif d’empêcher les mouvements sécessionnistes d’activer le militantisme violent de leurs adeptes. Certains comptes Facebook et sites web ont été bloqués sur le territoire camerounais et donc ne pouvaient pas être consultés à partir du Cameroun. Toutefois, cette coupure d’Internet n’est pas parvenue à fragiliser la contestation. Des SMS ont pu être utilisés en contournant la censure. Les entrepreneurs de la cause anglophone ont alors lancé l’opération « Call Back Home » et mis sur pied un réseau de points focaux dans tous les arrondissements de la zone anglophone. Ces points focaux ont servi de relais d’information aux populations et facilitent la coordination des activités entre la base et le leadership, à travers les informations qu’ils fournissent aux uns et aux autres. Ils ont aussi créé une base de données comprenant des milliers de numéro de téléphones auxquels ils envoient régulièrement des SMS (Heungoup 2019 : 17). Internet est lui-même devenu un casus belli, mais la guérilla numérique est une pratique difficile à saisir et à suivre. En outre, le pouvoir de Paul Biya est aussi parfois soupçonné de faire ralentir la connexion internet dans des zones précises ou sous tensions, ou encore de faire appliquer par les opérateurs privés des coûts d’internet particulièrement élevés, afin de limiter l’accès. Ceci expliquerait en partie pourquoi le Cameroun est classé parmi ceux ayant les plus faibles taux de couverture Internet en Afrique. En même temps, ils sont aussi parmi ceux où l’accès à Internet coûte le plus cher. L’objectif caché de cette démarche serait d’empêcher une vraie démocratisation d’Internet susceptible de renverser son système hégémonique (Heungoup 2019 : 15).

Le pouvoir a également mis sur pied une cyber-police. Il a opéré de façon plus insidieuse, en lançant une grande campagne de piratage et de censure des comptes Facebook de certains webactivistes ou lanceurs d’alerte. Les cyberactivistes dénoncent ainsi l’« autoritarisme numérique » du régime en place. Plusieurs activistes et opposants au Cameroun accusent le pouvoir de « s’être mis Facebook dans la poche. Ils/elles accusent Facebook de pratiquer une politique du deux poids, deux mesures. Les comptes Facebook des activistes anti-régime et opposant.e.s sont systématiquement suspendus à la moindre publication d’images violentes, alors que ceux d’activistes pro-régime ne le sont jamais » (Heungoup 2019 : 14). Par ailleurs, certain.e.s cyberactivistes s’opposant au régime de Paul Biya et connu pour leurs partages de publications critiques du gouvernement ont fait l’objet d’arrestations. C’est le cas du bloggeur Paul Chouta[6] et le journaliste Michel Tong[7]. Ces stratégies de verrouillage et de surveillance autoritaire de la blogosphère camerounaise expriment l’incapacité des pouvoirs publics à dépasser la notion de territoire, d’imaginer d’autres formes d’espace et d’autres lieux de délibération.Les autorités sont malencontreusement encore prisonnières de « l’impératif territorial » (Rétaillé 1996 : 21-40). Ces cas de figures mettent donc en exergue l’implication des entorses à l’Internet dans une société politique en récession démocratique où les dirigeants n’ont qu’une vue étriquée des médias sociaux, qui porte davantage sur leur capacité à impulser les changements sociopolitiques.  Incidemment, c’est une adversité des gouvernants qui s’ajustent contre les valeurs numériques à partir du moment où la censure contre l’Internet débouche sur l’interdiction des manifestations publiques des opposants, le rejet de tout mouvement social ou citoyen dans l’espace et par ricochet l’obstruction à l’expression de tout mouvement contradictoire qui peut saper la légitimité des dirigeants et contrebalancer leur hégémonie sur la société […] (Alawadi 2019 : 16).

2. 2. 2. Le cyberespace n’est pas la propriété de l’opposition et des groupes contestataires

La mobilisation numérique n’est pas exclusivement le mode d’action des « outsiders » c’est-à-dire « des acteurs situés du mauvais côté des rapports de force » (Fillieule et Tartakowsky 2008 : 23). Des groupes assumant une proximité avec le pouvoir établi investissent eux aussi l’« e-rue » pour organiser la contre-résistance et supporter les régimes non-démocratiques, faisant frein au succès des mobilisations sociales populaires. En effet, en défendant l’idée que les régimes autocratiques sont fragilisés par les cybercontestataires et que la chute des dictatures maghrébines « souligne à quel point les régimes autoritaires peinent à comprendre et à contrôler le nouvel environnement médiatique » (Faris 2012 : 108), de nombreux auteurs ont sous-estimé la capacité adaptative de ces régimes comme celui du Cameroun. Les médias sociaux ne sont pas uniquement investis par des mouvements contestataires qui s’opposent au pouvoir en place, mais aussi par des acteurs du régime et par leurs soutiens, de sorte que leur potentiel contestataire est aisément verrouillé, en contexte autoritaire, faisant frein au succès des mobilisations sociales populaires (Manirakiza 2020 : 275). Au Cameroun comme dans bien d’autres pays africains, si la contestation s’organise, en partie, dans les médias sociaux, c’est aussi notamment sur ces médias sociaux que se joue la résistance gouvernementale à cette contestation. Les cyber-partisans du régime en place ont aussi le pouvoir grâce à internet de mobiliser les foules pour contrer et dénigrer les mouvements contestataires.

Par ailleurs, bien que l’internet soit utilisé à des fins protestataires, une autre face existe et se résume à l’usage de l’internet pour supporter les régimes autoritaires dictatoriaux. En effet, les régimes ont aussi profité des réseaux sociaux pour faire leur propagande politique. C’est le cas du régime de Paul Biya qui a fait recours à des entreprises de lobbying en ligne qui achètent ou créent des centaines de faux comptes Facebook et Twitter pour augmenter l’audience des personnalités et diffuser la propagande gouvernementale. Il a sollicité une société privée russe pour diffuser des contenus favorables au pouvoir et défavorables aux leaders de l’opposition sur les médias sociaux (De Marie Heungoup 2019 : 17). Sur les plateformes de Web social, surtout Facebook, on observe des agents du pouvoir s’immiscés au sein de diverses discussions, afin de tenter d’y contrebalancer les informations et dénonciations du pouvoir, d’y semer la confusion et la désinformation. Les réseaux télématiques sont autant un champ de bataille, qu’un lieu de collecte d’informations pour les services de renseignements. Aujourd’hui, l’usage politique des réseaux sociaux au profit des services de renseignements explique notamment pourquoi le pouvoir n’a pas besoin de brouiller cet outil pourtant hostile à son autorité. Les médias sociaux fournissent aussi aux agents des renseignements une fenêtre à travers laquelle ils épient et traquent les cyberactivistes les plus en vue, devenant par-là même un instrument de la répression (Morozov cité par Manirakiza 2020 : 292). À bien des égards, les dispositifs numériques peuvent servir de souricière aux censeurs pour ficher les dissidents (Ayari 2011 : 57) et peuvent installer une « société panoptique », une société disciplinaire où les citoyens sont constamment surveillés à leur insu (Foucault cité par Ayari 2011 : 57) et où l’œil du surveillant étant partout, ce dernier peut tout « voir sans être vu » (Laval 2012 : 53).

Conclusion

De cette réflexion qui porte sur les usages contestataires des réseaux sociaux numériques et de leurs effets sur le changement politique et la transition du régime au Cameroun, on peut retenir trois choses :

D’abord, dans un pays connaissant un contrôle étatique de l’information et de l’espace physique, les réseaux télématiques numériques constituent désormais l’une des principales ressources pour constituer des collectifs et faire naître des mobilisations. Les médias sociaux en tant qu’espaces publics oppositionnels alternatifs sont désormais des outils de mobilisation avec une réappropriation inédite de l’espace public et de la rue. Ensuite, en constituant une alternative aux lieux traditionnellement voués au combat social, l’espace public numérique est devenu un nouveau terrain propice à la formation et à la propagation de nouveaux cadres contestataires. L’intérêt des pratiques de résistance qui structurent ces événements d’indignation tient au fait qu’ils recèlent selon Proulx (2013 :3), un désir d’affirmer une « puissance d’agir » des citoyens dans un contexte fortement contraint où la rue apparaît in fine comme un espace politique contrôlé. Par le concept de puissance d’agir, il fait allusion à l’affirmation de la vie, à l’affirmation du désir d’exister individuellement et collectivement et surtout de survivre dans un contexte sociopolitique difficile (Ibid : 37).

Bien que les réseaux télématiques soient devenus un lieu de contestation politique et de formulation des revendications sociales, cependant, leurs effets sur la révolution et le bouleversement du régime en place sont mitigés. Les réseaux sociaux sont donc des outils nécessaires mais non suffisants de la révolution : les mobilisations sur la toile numérique ne peuvent pas, à elles seules, faire tomber un régime autoritaire. Nous rejoignons ici Najar (2013 : 16), qui estime que les médias sociaux n’ont pas le pouvoir de faire tomber des dictateurs ou de bouleverser des régimes politiques et insistent plutôt sur le rôle de la rue et la réalité de la contestation physique. L’analyse ne doit pas seulement se limiter au cadre numérique sans s’attarder sur comment cette situation ou le sentiment de puissance d’agir des cybercontestataires peut se traduire concrètement sur le terrain. Selon Modeste Mba Talla (2012 : 9), le troisième espace doit absolument s’arrimer à un espace physique capable de changer ou de réordonner l’ordre ancien. En plus, il doit s’appuyer sur un faisceau de réseaux qui puise ses racines dans les forces sociales existantes structurées mais assez souples pour s’ajuster aux changements récurrents. Ce n’est qu’à travers ces réseaux que peut se construire cette sorte de contre-pouvoir à la manière gramscienne, sinon, il restera longtemps une sorte de mirage incapable de faire corps avec l’espace public matériel.

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Auteurs

Boris METSAGHO MEKONTCHO
Ph.D en Science Politique
Université de Dschang-Cameroun
Courriel : metsaghomekontcho@gmail.com

Boris Stéphane KOAGNE DEFO
Ph.D en Sociologie politique
Université de Dschang-Cameroun
Courriel : koagneboris@yahoo.fr

Auteur correspondant

Boris METSAGHO MEKONTCHO
Courriel : metsaghomekontcho@gmail.com

© Éditeur – Groupe de recherche Populations, Sociétés et Territoires (PoSTer) de l’UJLoG – Université Jean Lorougnon Guédé (UJLoG) – Daloa (Côte d’Ivoire) © Référence électronique Boris METSAGHO MEKONTCHO, Boris Stéphane KOAGNE DEFO, « Réseaux télématiques, mouvements sociaux contestataires et changements sociopolitiques au Cameroun : entre promesse et illusion révolutionnaire », Revue Espaces africains (En ligne), 1 | 2022, mis en ligne le 1er septembre 2022.
  1. Si des citoyens Camerounais qui aspirent au changement politique et en appellent à la démocratie ne parviennent pas à se servir de leur statut de citoyen, et par le bulletin du vote à renverser la donne politique, préférant plutôt la voie communicationnelle que leur offre le cyberespace, c’est parce qu’ils ont perdu la « foi » au « rituel républicain ». Il y a une perte de confiance de ces citoyens dans un processus électoral verrouillé, sans alternance politique et sans renouvellement de l’élite gouvernante. Cette perte de confiance dans le système électoral s’explique par l’encapsulation des règles et des normes qui organisent, encadrent l’espace de la compétition politique à l’ère du multipartisme. Les élections à l’aune du pluralisme politique ont perdu de leur superbe et se configurent désormais sous la forme des compétitions sans saveur, sans enjeux et accouchent in fine des résultats sans surprise, pour ne pas dire automatique et reproductifs (Alawadi 2016 : 57). Aujourd’hui, il y a une certaine prédisposition psychologique qui semble s’emparer de l’électorat jeune bien avant que les opérations électorales ne commencent ou au cours de celles-ci. Les élections ne sont plus perçues comme une possibilité de changement de régime au Cameroun. C’est la raison pour laquelle à l’occasion de la plupart des scrutins, les citoyens qui ne votent pas sont plus nombreux que ceux qui votent alors même que l’ancrage des normes démocratiques demeure un horizon. Les citoyens doutent de plus en plus de l’expression démocratique des urnes. Ainsi, dans ce contexte d’« inutilité » des élections pluralistes, les formes d’expression politique non conventionnelles constituent des modes d’action politique alternatifs au vote (Metsagho Mekontcho 2020 : 69).
  2. C’est dans le contexte de violence généralisée sécrétée par la secte terroriste Boko Haram dans l’Extrême-Nord du Cameroun, que l’Assemblée nationale camerounaise a voté en décembre 2014 une loi portant répression des actes de terrorisme qui a été promulguée le 23 décembre 2014 par Paul Biya. En son temps, l’adoption de cette loi a suscité une levée de bouclier.
  3. « Cameroun : un an après les manifestations réprimées, 124 personnes sont toujours en prison », Radio France Internationale (RFI), 22 septembre 2021. Disponible : https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210922-cameroun-un-an-apr%C3%A8s-les-manifestations-r%C3%A9prim%C3%A9es-124-personnes-sont-toujours-en-prison. Consulté le 12 juin 2022.
  4. Lambo Ebelle Darren, « Cameroun : marche du 22 septembre : Olivier Bibou Nissack et Alain Fogué incarcérés à la prison de Kondengui », Camer.be, 04 nov. 2020, Disponible en ligne : https://www.camer.be/82935/11:1/cameroun-marche-du-22-septembre-olivier-bibou-nissack-et-alain-fogue-incarceres-a-la-prison-de-kondengui-cameroon.html, consulté le 12 juin 2022 ; United States Department of State – Bureau of Democracy, Human Rights and Labor Country Reports on Human Rights Practices for 2021.
  5. Tous les pays qui ont coupé l’accès à Internet au cours de ces trois dernières années sont classés comme autoritaires selon l’indice économique de l’Economist Intelligence Unit (EIU). En effet, sur les 22 pays africains où les coupures d’Internet ont été enregistrées au cours des cinq dernières années, 77% disposent de régimes autoritaires, tandis que 23% sont classés comme hybrides (International ICT Policy for East an Southern Africa, Dictateurs et restrictions. Cinq dimensions de coupures d’Internet en Afrique, février 2019).
  6. Le blogueur Paul Chouta avait été interpellé en 2019 et mis en détention provisoire pendant plus d’un an. Il avait été arrêté suite à la plainte pour diffamation déposée contre lui par une autrice franco-camerounaise favorable au gouvernement pour avoir posté sur sa page Facebook, Le TGV de l’Info, une vidéo d’elle se disputant en public avec une autre personne. Voir « Continued Detention of Cameroonian Journalist an Afront to Freedom of Expression », PEN International, 19 novembre 2019.
  7. Dans une affaire, le 23 octobre 2018, les autorités ont arrêté le journaliste Michel Tong pour avoir diffusé des informations sur les violences commises dans les régions anglophones, l’accusant de soutien terroriste. Il a été libéré au mois de décembre de la même année (International Crisis Group 2020 : 22).
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