Espaces Africains

Revue Espaces Africains - Groupe de recherche pluridisciplinaire et international « Populations, Sociétés & Territoires » (PoSTer)

 


Spiritualité et représentation des espaces : l’animisme comme savoir endogène dans « Félix et la source invisible d’Éric-Emmanuel Schmitt » 

Spirituality and depiction of spaces : animism as an endogenous knowledge in “Felix et la source invisible by Eric-Emmanuel Schmitt” 

Jules Thérance MIHINDOU MI-MOUBAMBA


Résumé

Cet article propose une étude du conte initiatique d’Éric-Emmanuel Schmitt, Félix et la source invisible, dont l’animisme est érigé en problématique centrale. En effet, il s’agira pour nous de partir de la maladie dont souffre Fatou N’Diaye, de la mobilité/déspatialisation des personnages, et des multiples traitements qui lui sont prescrits afin de procéder à une analyse géocritique. Notre but est de montrer que l’animisme est représenté comme un savoir culturel donné, une connaissance vécue par la société comme partie intégrante de son héritage : comme une connaissance davantage africaine que parisienne. D’où le contraste qui caractérise la spatialisation de cette spiritualité dans la représentation qu’en fait Schmitt dans son récit, l’espace français apparaît pour l’animisme (et donc pour Fatou) comme un « espace de carcéralisation », quand l’Afrique est représentée comme un espace d’accomplissement, de plein essor.

Mots-clés : Espace, animisme, déterminisme spatiale, savoir endogène, hétérotopie, espace de carcéralisation

Abstract

This article proposes a study of Éric-Emmanuel Schmitt’s initiatory tale, Félix et la source invisible whose animism is erected as a central issue. Indeed, it will be for us to start from the disease from which Fatou N’Diaye suffers, the mobility/despatialization of the characters, and the multiple treatments that are prescribed to her in order to carry out a geocritical analysis. Our goal is to show that animism is represented as a given cultural knowledge, a knowledge lived by society as an integral part of its heritage: as a knowledge more African than Parisian. Hence the contrast that characterizes the spatialization of this spirituality in Schmitt’s representation of it in his narrative, the French space appears for animism (and therefore for Fatou) as a « space of prison », while Africa is represented as a space of fulfillment, of full expansion.

Keywords : Space, animism, spatial determinism, endogenous knowledge, heterotopia, prison space

Introduction

Félix et la source invisible est le huitième volume du « cycle de l’invisible ». Il problématise principalement la question de l’animisme associée à un déterminisme qui se donne à lire par une forme de spatialisation de la maladie, mais surtout du traitement médical. La diégèse du récit prend appui sur l’espace africain représenté comme lieu propice, voire indispensable, à l’initiation à la spiritualité animiste et aux forces invisibles. La trajectoire du personnage de Félix (qui rappelle fort bien celle d’Éric-Emmanuel Schmitt par sa vision du monde, son rapport à la rationalité, puis à la spiritualité,) ne peut se penser sans prendre en compte l’espace africain.

Justement, c’est sur le rôle déterminant de l’espace africain, mis en relation avec l’animisme en tant que spiritualité africaine, que porte cet article. La question de la spiritualité se conjugue ainsi à celle de la maladie. En ce sens, c’est par la spiritualité qu’un véritable diagnostic du mal qui accable Fatou N’Diaye est posé et que suit le processus de traitement qui en découle. Notre intention est de questionner la dichotomie spatiale de l’animisme qui se donne à lire dans ce récit de Schmitt. En cela, la réalité atavique, cet héritage ancestral jouerait sur une double spatialisation dans Félix et la source invisible : la spatialisation occidentale et la spatialisation africaine. Ainsi, nous partirons des configurations spatiales pour problématiser la question de l’animisme afin d’aboutir à la notion de déterminisme spatial sans laquelle l’expérience mystique animiste ne peut réellement se réaliser dans le texte à l’étude. En d’autres termes, la spiritualité animiste semble incapable de se concevoir dans ce texte sans systématiquement faire immersion dans l’espace africain.

Cette représentation de l’animisme dans les espaces français et africain induit de facto à formuler la problématique suivante : l’espace parisien serait-il inconciliable avec une pratique authentique de l’animisme ? La déspatialisation de l’animisme entrainerait-elle sa systématique dénaturation ? Les forces mystico-spirituelles seraient-elles efficaces qu’en Afrique ? Comment opérer plus radicalement des transformations avec ces réalités mystico-religieuses ?

Le cadre méthodologique qui structure notre article est la géocritique fondée sur la référentialité, la spatio-temporalité et la transgressivité. Elle met l’accent sur l’étude des espaces géographiques, en portant à l’évidence la particularité de leurs représentations et leurs incidences sur le processus de signification du texte. Nous nous baserons principalement sur les postulats de Bertrand Westphal, et sur ceux de Michel Foucault. Pour élucider les savoirs endogènes, nous puiserons dans les postulats de Paulin J. Hountondji.

Nous prenons le parti d’organiser cet article en trois articulations. En premier lieu, il sera question de retracer le parcours du personnage de Fatou N’Diaye afin de mettre en évidence les circonstances dans lesquelles elle tombe malade, et surtout l’échec de la médecine occidentale à la guérir. Dans la deuxième articulation, il s’agira pour nous de montrer comment l’espace parisien est vu comme en espace carcéralisant. Enfin, dans la troisième articulation, il s’agira pour nous de montrer comment, à partir de la guérison de Fatou, non seulement l’espace africain est représenté comme un espace de réalisation mais encore, comment l’animisme paraît comme un savoir endogène indéspatialisable.

1. Fatou N’diaye ou l’itinéraire d’une maladie atypique

La trame de Félix et la source invisible est dominée par la maladie dont souffre le personnage de Fatou N’Diaye, mère de Félix, narrateur-personnage éponyme. La maladie dont souffre Fatou nécessite des déplacements des personnages induisant une mobilité dans l’espace. Elle offre ainsi une représentation folklorique de l’animisme entendue comme « une croyance aux forces vitales qui régissent la nature » (Tadjo 2018 : 181). En effet, chaque être vivant, animal ou végétal, serait habité par une âme avec une volonté et des intentions propres.

Fatou est une sénégalaise qui vit avec Felix, son fils de 12 ans. Elle tient un café qu’elle a appelé « au boulot » situé à Belleville, Rue Ramponeau dans le XXe arrondissement parisien. Elle tenait son café avec la finesse et le professionnalisme nécessaires pour le maintien et la fidélisation de la clientèle.

Le drame de Fatou commence lorsque monsieur Tchombé, son voisin immédiat, atteint d’un cancer de la gorge, lui propose de lui revendre son épicerie à un prix symbolique. Après moult hésitations, Fatou accepte la proposition. Pour acheter cette épicerie, elle entreprend de mettre son café en vente. Seulement, par le notaire de son potentiel client, elle apprend que pour des raisons juridiques, elle ne peut vendre son café ; auquel cas l’argent de la vente serait reversé à l’État. Après vérification, le résultat est sans appel ; elle ne peut vendre son café au risque de tout perdre. Cette situation occasionne une dépression nerveuse. En effet, après avoir réalisé l’ampleur de la situation, Fatou ôte l’affichette « A vendre » de la vitrine. Ensuite elle développe ce que Félix appelle une « manie de tout compter » (Schmitt 2019 : 62) ; un trouble obsessionnel compulsif (TOC) par lequel celui ou celle qui en est en proie ne peut s’empêcher de tout compter, de vérifier, de nettoyer. C’est d’ailleurs ce qu’illustrent les propos suivants (Schmitt 2019 : 62)

Elle entreprit d’inscrire sur un cahier le nombre de clients quotidiens, de cafés, de Ballons de vin, de verres d’alcool, de filets de liqueur. Puisque cela ne lui suffisait pas, elle commença à dénombrer les serviettes en papier qu’elle fournissait, les cacahuètes qu’elle disposait dans chaque soucoupe, les torchons et les éponges qu’elle utilisait

Son attitude est symptomatique du trouble dépressif. Cette pathologie s’accentue avec la mort de monsieur Tchombé son voisin qui avait manifesté l’intention de lui céder son épicerie.

Monsieur Tchombé succomba suite au désistement de Fatou d’acheter l’épicerie. Fatou se convainquit qu’elle était à l’origine de ce décès « je l’ai tué », dit-elle entre deux sanglots. Puis, elle finit par se renfermer sur elle-même sans dire mot à quiconque. Conduite par madame Simone chez un médecin généraliste. Celui-ci lui diagnostique alors une dépression et lui prescrit des pilules dont madame Simone doute a posteriori de l’efficacité.

C’est alors que Bamba, l’oncle de Félix venu tout droit du Sénégal, intervient dans le récit et regarde Fatou avec ses yeux d’animiste. Il estime dans un premier temps que sa petite sœur est spirituellement morte, du fait qu’il ne perçoive plus l’âme de celle-ci. Il entreprend alors de régler le problème par le biais des sciences occultes. En effet, Bamba fait appel aux services de deux marabouts, l’un plus extravagant que l’autre, qui se montrent incapables de guérir la malade.

Dès lors, Félicien Saint Esprit, le père de Félix entre en scène. Dans la même veine que Bamba, il se détourne de la voie de la médecine moderne et privilégie la médecine traditionnelle. Il prend le parti d’emmener Fatou au Sénégal dans un village où un féticheur, par le moyen de la spiritualité animiste parvient à aider Fatou à recouvrer sa santé mentale.

A partir des particularités de ce récit, notamment la problématisation dichotomique des espaces africain et parisien, l’occasion nous est donnée de procéder à une analyse géocritique. Ainsi, nous nous appuierons particulièrement sur des concepts westphaliens telles que la spatialisation afin de mettre en évidence la configuration et la représentation de l’animisme ; le déterminisme spatial afin de montrer comment l’espace détermine en soi la capacité d’un personnage à envisager une solution à une situation donnée. Les concepts foucaldiens que sont les hétérotopies de la déviation, les espaces de carcéralisation et de non vie nous serviront à déterminer comment, tel que représenté dans ce roman de Schmitt, l’espace parisien (dans un premier temps) est pour l’animisme un espace de déviation, c’est-à-dire un espace au sein duquel l’animisme connait une altération de son fonctionnement réel, un disfonctionnement. Paris devient alors un espace qui prend en otage l’animisme et ne permet pas son plein essor, contrairement à l’espace africain. L’Afrique est pour Fatou et pour l’animisme un espace de réalisation, de vie et de plein épanouissement.

2. Fatou N’diaye et l’animisme à paris : entre carcéralisation et espace de non vie

Félix et la source invisible est en fait le récit d’une déspatialisation, c’est-à-dire de la mobilité déterminante des personnages d’un espace à un autre, et d’un déterminisme spatial qui se caractérise par une configuration spatiale dont l’immersion détermine la condition physique et surtout mentale des personnages. En effet, à partir du moment où Fatou apprend que pour des raisons juridiques elle ne pourra pas accéder à la vente de son café, redoublé à cela sa culpabilité du décès de Monsieur Tchombé, Paris devient pour elle une « hétérotopie de la déviation » (Foucault 1966 : 26). A partir de ces événements, l’espace parisien est alors représenté comme un espace carcéral, de non vie (à distinguer d’un espace mort), d’autant plus qu’elle est comparée dans le texte à un « zombie[1] » car elle semble désormais cadavérique, vide. Tout le potentiel vital de Fatou (sa santé, sa joie de vivre, et le rayonnement qu’elle arborait) est comme happé par l’espace parisien. Sa guérison apparait dès lors envisageable qu’en dehors de celui-ci qui devient pour elle un espace carcéral. C’est-à-dire un espace de non vie même si Fatou est vivante.

Pour (Foucault 1966 : 26-27), la société ménage dans ses marges, dans les plages vides qui l’entourent. [Il s’agit généralement d’espaces réservés] aux individus dont le comportement est déviant, par rapport à la moyenne ou à la norme exigée. De là, les maisons de repos, de là les cliniques psychiatriques, de là également, bien sûr, les prisons. Il faudrait sans doute y joindre les maisons de retraite, puisqu’après tout l’oisiveté dans une société aussi affairée que la nôtre est comme une déviation.

Un espace, en effet, peut être considéré comme carcéral, comme une « hétérotopie de la déviation » à partir du moment où il se trouve configuré comme un espace . Ainsi, les hétérotopies de la déviation, ces « espaces autres », peuvent être considérées comme des espaces d’inaccomplissement, des espaces configurés pour retenir captifs ceux qui s’y trouvent (le cas des prisons par exemples). En regardant les espaces hétérotopiques pris en exemples par Michel Foucault (maison de retraite, asile psychiatrique, prison, cimetière, etc.) on se rend bien compte qu’il s’agit presque toujours d’espaces dont la construction, la configuration n’a pas pour objectif premier de favoriser l’épanouissement des personnes qu’ils accueillent. A la limite, il s’agit presque d’espaces de carcéralisation : si c’est le principe qui régit même la prison, il demeure que la liberté d’agir et de se mouvoir n’est pas le principe qui régit l’asile psychiatrique, les maisons de retraite et encore moins les cimetières. Ce sont pour la plupart des espaces qui peuvent vite avoir une ambiance « carcéralisante ».

Ainsi, l’espace parisien devient une hétérotopie de la déviation en ce sens qu’il se rapproche d’un asile psychiatrique pour Fatou. Clairement, sa santé mentale pose un problème. Surtout lorsqu’elle empoisonne à l’eau de Javel les cinq prometteurs qui ont acheté l’épicerie de monsieur Tchombé et qui proposent grossièrement d’acheter son café. Elle risquait ainsi d’être enfermée dans un asile psychiatrique (au sens propre). Le caractère hétérotopique de l’espace parisien est davantage lié au fait qu’il soit un espace au sein duquel il est impossible pour Fatou d’y trouver la guérison. Il est présenté comme un espace incompatible, étranger à sa santé mentale. Malgré l’usage de différents outils de la médecine moderne et les promesses de guérison, le problème de Fatou reste insoluble.

Bamba[2], présenté initialement comme le grand frère de Fatou, est un personnage construit sur une montagne de préjugés. Dès son arrivée, il décide de prendre les choses en main, avec des considérations présentées comme typiquement africaines : la dépression est une maladie des blancs. En tant que noire, Fatou ne saurait donc en souffrir. Il la conduit donc chez des marabouts de Paris qui échouent, eux aussi, à leur tour.

La représentation de l’espace parisien comme espace potentiellement carcéral ou encore comme une hétérotopie de la déviation est renforcée par l’intervention des marabouts qui exercent dans cet espace. En effet, la deuxième déviance, la plus ostensible, est liée à la présence de faux marabouts qui ont consulté Fatou, et par extension, à l’animisme dont ils sont l’incarnation. Rappelons que dans la spiritualité animiste, le marabout, encore appelé féticheur, guérisseur ou nganga, désigne une personne (Kuczynski 2002 : 17) douée « de perceptions surnaturelles, visions, inspirations, révélations, songes, autant d’indices jalonnant leurs itinéraires spirituels. Ils possèdent également des pouvoirs miraculeux qu’il leur est loisible d’exercer au profit d’autrui ». Ces personnes dotées de pouvoir mystico-spirituel mettent leurs sciences au service de la population. Ils jouent un rôle fondamental dans la société et jouissent de la confiance populaire. On les consulte pour de nombreuses raisons ; généralement pour des questions médicales, pour jeter ou pour conjurer des sorts, à apaiser les esprits courroucés des défunts et dans certains cas pour bénir des mariages ou pour diriger des prières.

Avec l’immigration, de nombreux marabouts se sont installés en France pour exercer cette activité ancestrale. Pour (Globet & Guillon 1983 : 141) « L’installation en France de ces « marabouts voyants » apparaît, au même titre que la multiplication des vendeurs ambulants de bimbeloterie, comme un aspect de l’immigration d’Afrique Noire vers la France ». Ainsi, le développement de cette pratique est, dès le départ, rattaché à une forme d’escroquerie qui dénature son essence. L’usage excessif de la publicité, des flyers pour appâter la clientèle rabaisse cette pratique au rang d’une simple activité commerciale. Dans plusieurs études sur le sujet[3], on remarque que ces marabouts dit « tapageurs » ne seraient pas arrivés au terme de leur formation. C’est dans cette optique que (Globet & Guillon 1983 : 141) affirment que « les ‘’marabouts voyants’’ qui se multiplient à Paris sont des jeunes ayant abandonné en cours leur formation auprès d’un maître ». Ainsi, ces marabouts parisiens sont caractérisés davantage comme de simples commerçants que comme des êtres profondément spirituels.

Ainsi, la spatialisation de l’animisme, (c’est-à-dire la représentation de l’animisme dans un espaces donné) en territoire français par Schmitt prend considérablement en compte des réalités socio-anthropologiques : le professeur Koutoubou et le professeur Ousmane sont en réalité de faux marabouts. Cette idée se confirme avec l’inefficacité de leurs prescriptions. Ils ont tous les deux des attitudes d’escrocs et semblent davantage penchés sur le profit que sur la spiritualité. Ils prennent en otage l’animisme à Paris car leurs méconnaissances de cette science empêchent son bon fonctionnement, sa bonne pratique dans l’espace parisien. Cet espace devient ainsi un espace quelconque vidé du substrat qui fonde l’animisme. C’est-à-dire un espace au sein duquel l’animisme devient inopérant. A ce stade du récit, il est impossible de parler de l’animisme comme un véritable savoir, comme un domaine de la connaissance spirituelle vu qu’il est représenté comme un vulgaire moyen d’extorquer de l’argent à des individus naïfs. Toutefois, cette représentation négative change lorsque Fatou arrive au Sénégal.

3. Du déterminisme spatial au savoir endogène indéspatialisable

La mobilité des personnages s’accompagne toujours d’une intentionnalité. En effet, sous l’impulsion de Saint Esprit, le père de Félix, dans l’optique de trouver un traitement plus adéquat à Fatou, la petite famille se rend au Sénégal. Ce changement d’espace traduit l’échec de l’espace parisien perçu comme un espace de non vie, de non épanouissement tant pour Fatou que pour l’animisme. En d’autres termes, pour que Fatou trouve la guérison, elle est dans l’obligation de sortir de l’espace parisien pour se rendre dans un espace qui cadre avec la spiritualité et l’organisation des pratiques originelles. Cette déspatialisation évoque une forme de déterminisme spatial. Léon Noël nous rappelle au sujet de la notion de déterminisme (Noël 1905 : 5) que Certaines ou […] toutes choses sont déterminées, c’est-à-dire que certains facteurs internes ou externes en fixent d’avance, de façon précise et exacte, les manières d’être et d’agir. Une chose déterminée ne saurait être que ce qu’elle est ; dès que les éléments qui la composent sont posés, plus rien de ce qu’elle sera n’est laissé au hasard, au caprice, à la liberté : tout est fixé, arrêté, réduit à des termes entre lesquels il n’y a place pour aucune oscillation, pour aucun choix, pour aucune incertitude

Le déterminisme est donc cette doctrine qui pose qu’il est des événements ou des agissements dont les modalités de réalisation, du devenir ou même d’accomplissement préexistent, sont préétablis. Il s’agit ainsi d’une sorte de détermination préalable et inévitable de l’issue d’un événement. En d’autres termes, c’est l’espace qui va déterminer la possibilité ou non d’un événement.

Dans le cas de Fatou, parler de déterminisme spatial revient à évoquer sa guérison qui ne peut se réaliser, ni même s’accomplir en dehors du cadre africain. Autrement dit, c’est l’espace africain qui détermine la guérison de Fatou. Cette dernière ne serait pas guérie en dehors de ce déterminisme. « Seule l’Afrique peu la soigner » (Schmitt 2019 : 151). Cette même déspatialisation permet également d’aboutir à une autre vision de l’animisme dans toute sa dimension mystico-spirituelle, épurée de toute velléité mercantiliste.

La déspatialisation des personnages s’opère ainsi dans la fluidité d’une ellipse. La petite famille se retrouve ainsi dans l’agglomération dakaroise, en quête d’une solution qui permettrait à Fatou de trouver la guérison. Ils s’installent un moment dans un hôtel, puis, le lendemain, remontent le fleuve Sénégal jusqu’à Saint-Louis., en quête du village natal de Fatou. De là, ils empruntent une route non goudronnée qui les conduit au hasard dans un village folklorique où la tradition et les croyances africaines semblent avoir été préservées de toute corrosion possible. C’est dans ce village que Félix, Saint Esprit et Fatou rencontrent un guérisseur disposant de véritables pouvoirs mystiques. En fait, au Sénégal, la représentation de l’espace n’est pas aussi précise qu’elle a pu l’être dans le cas de Paris. Le cas de Paris représente ce que Bertrand Westphal appelle un « consensus homotopique ». Ce procédé qui consiste pour un auteur à mettre nommément en relation l’espace fictif avec un référent du monde réel. Dans ce cas de figure, selon (Westphal 2007 : 169) « on assiste non pas à une construction ex nihilo, mais à la reconfiguration d’un réalème, à la mise en forme d’une ou de plusieurs de ses virtualités ». Aucun mystère ne se rattache à la représentation de l’espace parisien. La Situation géographique du café de Fatou, par exemple, (Belleville, Rue Ramponeau dans le XXe arrondissement parisien) découle de cette précision, de cette fidélité dans le couplage entre espace fictif et espace réel.

En revanche, lorsqu’il s’agit de l’espace sénégalais, sa représentation commence, certes, par une fidélité de couplage, surtout quand il est question de décrire la ville de Saint Louis, (Schmitt 2019 : 158) « Nous remontâmes le pays jusqu’à Saint-Louis, une ville qui me déconcerta moins que Dakar avec ses élégantes maisons passées à la chaux, ses rambardes en fer forgé, ses faîtages en tuiles. […] Une cité blanche édifiée par les Blancs. Un souvenir du colonialisme ». Son Architecture, sa dimension coloniale sont autant de points qui permettent de mettre en place, comme cela a été le cas pour l’espace parisien, une véritable, selon (Riffaterre 1978) « illusion référentielle ». Ce procédé par lequel la « vraisemblabilité », tout à fait convaincante, de l’espace représenté rend quasiment insaisissable toute limite entre espace fictif et espace réel.

Pourtant, la situation géographique du village où Fatou trouve la guérison rend compte d’un « brouillage hétérotopique[4] » qui donne à cet espace un caractère mystérieux, voire mystique. En effet, Éric-Emmanuel Schmitt confère à ce village un caractère merveilleux. Il lui donne les allures qui n’existe pas dans le monde réel, un village où la magie opère et dont le mode de vie est rythmé par des traditions ancestrales. Cet anonymat peut être perçu comme l’expression d’une idéalisation de la part de Schmitt ; d’où l’intérêt de brouiller les pistes et de n’associer ce village à aucun référent réel, afin d’éviter tout transfère de valeur que ce soit.

C’est aux portes de ce village anonyme que Fatou, inanimée depuis bien longtemps et atteinte de cécité, semble reprendre conscience de l’environnement qui l’entoure. Elle est attirée par l’ombre d’un acacia, s’en approche, le touche, et perd connaissance. Elle est emmenée chez le féticheur du village, Papa Loum, qui, dès le premier contact, contraste radicalement avec les marabouts parisiens (Schmitt 2019 : 163) :

Une sorte d’énergie calme émana de lui qui nous réconforta. Il me semblait plus millénaire que centenaire. Ses doigts gercés, plissés, raides moulèrent les joues de Maman, tandis que ses yeux, deux trous percés au milieu de son visage fané, la scrutaient. Il lui parla d’une voix fruitée, un peu nasale, aux voyelles rondes, aux consonnes tranchantes ; quoique je ne comprisse pas un mot, j’en ressentis l’effet. Maman aussi, sans doute, qui tremblait moins.

Dès la description de ce féticheur, on s’aperçoit bien qu’il s’agit d’un être hors du commun, qu’il est quelqu’un dont l’apparence laisse transparaître la somme des expériences accumulées au fil des ans ; d’autant plus que son âge est très avancé. Papa Loum est donc un Féticheur[5] qui rassure, un homme doté d’un réel pouvoir mystique et de réelles capacités de guérison[6]. Celles-ci ne tardent d’ailleurs pas à se faire ressentir vue que par sa voix, par son aura, par les formules qu’il prononce, il parvient à calmer Fatou et à rassurer Félix.

A partir du moment où papa Loum prend en main le traitement de Fatou, la représentation de l’animisme prend un tout autre contour. Elle se démarque du mercantilisme, de l’escroquerie, de la supercherie et même de l’imposture qui le caractérise dans l’espace parisien pour réellement devenir d’après (Freud 1900 : 59) une « doctrine de la vivification de la nature ». On assiste ainsi à cette situation où il y a dans la représentation de l’animisme cette conception. Au regard de (Freud 1900 : 59) :

Le monde serait peuplé d’un grand nombre d’êtres spirituels, bienveillants ou malveillants à l’égard des hommes qui attribuent à ces esprits et démons la cause de tout ce qui se produit dans la nature et considèrent que ces êtres animent non seulement les animaux et les plantes, mais même les objets en apparence inanimés.

Il s’agit ainsi d’une « philosophie de la nature » ou plutôt d’une philosophie des forces de la nature qui seraient toutes animées par des esprits, des entités spirituelles. Il est donc question d’un système de croyance basé sur l’omniprésence des esprits dans la nature, sur leur implication dans des phénomènes naturels et surnaturels.

Cette philosophie de vivification de la nature, d’entités spirituelles antagoniques est matérialisée dans Félix et la source invisible, notamment à travers le personnage de papa Loum, Féticheur du village anonyme au sein duquel Fatou finit par trouver la guérison. En effet, lorsqu’il explique à Félix et à son père que la nuit, les ténèbres abritent des dangers plus grands que des bêtes sauvages, il débouche sur un discours qui rend bien compte du système de pensée animiste, surtout lorsqu’il parle à Félix du cosmos. Pour (Schmitt 2019 : 180),

Le cosmos ignore la paix : toujours des forces s’affrontent, un équilibre ne dure jamais. Autour de nous grouillent des entités, des âmes d’humains, des âmes d’animaux, des âmes d’arbres, le génie du fleuve, le génie de la brousse, le génie du vent que nous ne devons pas fâcher. Si l’on percevait toutes les puissances spirituelles, on n’oserait plus poser un pied devant l’autre.

On est bien face à une philosophie de vivification de la nature qui admet qu’en plus des êtres humains les animaux et les végétaux disposent également d’une âme. L’équilibre fragile du cosmos, l’omniprésence d’entités spirituelles en perpétuel mouvement, en perpétuel affrontement, sont autant d’éléments qui rendent perceptible la pensée animiste. En outre, ces propos de papa Loum caractérisent bien la pensée animiste et contrastent clairement le discours et l’attitude des marabouts parisiens davantage porté sur le profit et l’appât du gain. On se rend vite compte qu’on est face à un féticheur réellement dépositaire d’un savoir ancestral.

La réussite de l’entreprise de papa Loum et le déterminisme spatial qui s’y rattache fondent dans un premier temps la représentation de l’animisme et de l’expérience mystique qui en découle comme un « savoir endogène indéspatialisable ». Le concept de savoir endogène désigne un domaine de savoir, un mode de connaissance propre à une communauté, un village, un pays, ou tout espace spécifique. Paulin J. Hountondji définit justement ce concept (Hountondji 1994 : 15) de la manière suivante :

« Savoirs endogènes », dans une configuration culturelle donnée, une connaissance vécue par la société comme partie intégrante de son héritage, par opposition aux savoirs exogènes qui sont encore perçus, à ce stade au moins, comme des éléments d’un autre système de valeurs.

Le savoir endogène relève ainsi d’un héritage culturel, d’un ensemble de connaissances qui nait, se déploie et se transmet à l’intérieur d’une communauté. Il s’agit ainsi d’un savoir local généralement expérientiel qui se transmet soit par imitation, soit par initiation. Nous accolons au concept de savoir endogène l’adjectif « indespatialisable[7] » pour désigner cette situation par laquelle Éric-Emmanuel Schmitt donne l’impression au lecteur que la spiritualité animiste ne peut être portée, pratiquée efficacement hors de l’Afrique. Le fait que tous les Marabouts de Paris soient vus comme des imposteurs, des escrocs, et que papa Loum, le premier féticheur que rencontre Félix et Saint Esprits en Afrique soit un vrai féticheur conforte l’idée que la vraie spiritualité animiste se trouve indissociable de son berceau. En ce sens, aucune expérience mystique animiste véritable, aucune pratique réelle de cette spiritualité ne saurait se penser en dehors de l’espace africain. C’est du moins cette idée qui se rend la plus perceptible quant à la représentation de l’animisme dans la plus grande partie du récit. Une idée qui viendra trouver une nuance à l’excipit.

La fin de la trame de Félix et la source invisible retrace le retour de Fatou et sa petite famille en France. Ce voyage en Afrique les a tous radicalement changé, du moins sur le plan spirituel : ils sont entrés dans la forêt africaine athées, incapable de se pencher sur l’invisible, sans conscience spirituelle, et ils en sont ressortis « croyants », spirituels. En effet, après ce retour, cette conversion, Paris est toujours perçu comme un espace inapproprié pour la pratique de l’animisme et est présenté comme un espace qui a « assassiné la nature » (Schmitt 2019 : 220). A Paris, le béton, les pavés et le goudron ont remplacé tout ce qu’il y a de naturel. Pourtant, l’animisme prend d’autres contours dans cet espace parisien. Il cesse d’être ce moyen d’escroquerie pour devenir une véritable croyance, une vision du monde (Schmitt 2019 : 224) :

Noël a déplacé les tropiques à Paris. Grâce aux milliers de guirlandes lumineuses qui couvrent les rues de leurs branches, tapissent les façades, échevellent les toits, Maman retrouve les palétuviers moelleux, proches des rivières, dont les lianes tombent et s’entrelacent pour devenir à leur tour des racines, elle perçoit le chatoiement du soleil qui pénètre les ramures, les couleurs des oiseaux, la touffeur, l’abondance. Nous ressentons le bourdonnement de la matière, les maisons remuent sans remuer, ça oscille, ça danse, ça frémit. L’énergie de Paris se répand, se manifeste, en transe […] Depuis une semaine, nous tentons de localiser l’âme de cette rivière souterraine, plus effacée que la Seine, pourtant aussi présente.

Ainsi, après leurs conversions à l’animisme, en Afrique, Félix et sa mère pratiquent désormais ce qu’ils appellent « l’exercice d’Afrique » qui consiste à s’ouvrir à l’invisible et à voir le monde par les yeux d’un animiste, c’est-à-dire des yeux qui parviennent à voir l’âme. On est pour ainsi dire dans un monde surnaturel, dans une philosophie qui ne coïncide pas nécessairement avec une pratique fétichiste, mais avec une manière d’habiter le monde. Une perception du monde qui rappelle fort bien celle développée dans Le Dieu caché dans l’herbe (Effa 2015 : 7) :

Dès qu’un être respire, s’alimente, se reproduit, il est doté d’une âme. Le citronnier, la petite fourmi, l’humain ont tous une âme. Apprends donc que nous n’avons pas le monopole de l’âme […]. Les animaux, les plantes, les insectes, tous les éléments portent l’influence des astres ; certains comme le lion sont solaires, d’autres lunaires comme le buffle, d’autres stellaires comme le cerf ou certains patrons ou plantes. Le dehors et le dedans se croisent et se rejoignent sous le règne de l’âme. Si tu écoutes ton âme, tu comprends qu’il n’y a pas d’horizon clos car le monde est nu comme un cri. Tout parle. L’eau, le feu, la poussière, le vent, le bois, l’oiseau. Même le plus petit insecte, invisible quand tu marches, parles.

Ces propos expliquent que l’animisme est plus qu’une philosophie, plus qu’une vision du monde : elle est perçue, à ce stade, comme un modèle cosmogonique, comme un mythe originel qui expliquerait l’origine du monde. Ainsi, l’animisme, c’est de reconnaitre que l’être humain partage un espace commun avec les autres êtres vivants qui disposent eux aussi d’âmes. C’est donc plus qu’une façon de voir le monde, c’est une façon de le comprendre et de faire corps avec lui, de l’habiter.

Conclusion

La représentation de l’animisme est somme toute consubstantielle à la notion de l’espace dans Félix et la source invisible. Elle est inféodée à une forme de déterminisme spatial qui, dans le récit, conditionne son déploiement. En effet, à Paris, elle est représentée dans un premier temps comme une escroquerie. Elle est rattachée à une forme de mercantilisme qui configure l’espace parisien comme une « hétérotopie de la déviation ». C’est pourquoi d’une part, l’espace parisien devient ainsi un espace de carcéralisation pour la santé mentale de Fatou qui ne dispose d’aucun moyen médical ou mystico-spirituel pour la ramener à elle-même. D’autre part, Paris est représenté comme un espace qui accueille essentiellement, une pratique foncièrement déviante, corrompue de l’animisme. Les marabouts sont sans moralité, vicieux et manipulateurs.

Seulement, après la déspatialisation du récit et des personnages au Sénégal, l’animisme revêt une tout autre définition, et une autre représentation. De cette déspatialisation, en découle dans un premier temps une perception de l’animisme représentée comme un « savoir endogène indéspatialisable ». Elle sous-tend d’une part l’idée que la vraie spiritualité africaine ne peut se penser ou être pratiquée sans systématiquement intégrer l’espace africain et que toute expérience mystique qui s’y rattache serait jalonnée par cette configuration spatiale. D’autre part, en Afrique, l’animisme est représenté avec l’idée qu’elle est un savoir ancestral, local, qui ne saurait être déporté sur un autre espace. Que toutes les tentatives d’une telle déportation aboutissent à des échecs, d’où le foisonnement de marabouts sans réel pouvoir mystique à Paris. Mais cette idée est nuancée par l’épilogue de ce roman, vu qu’on y retrouve une Fatou et un Félix totalement convertis à l’animisme et qui ont une vision du monde totalement gouvernée par cette spiritualité. Félix et la source invisible est ainsi le récit d’une déspatialisation en Afrique, et d’une (re)conversion à l’animisme.

En somme, il ne s’agit pas dans cet article de faire de l’animisme une exclusivité africaine. La France, la Russie, l’Espagne sont des espaces qui connaissent des formes d’animisme qui leur sont propres. Il s’agit pour nous de montrer comment le récit d’Éric-Emmanuel Schmitt entreprend une forme de restitution qui voudrait faire de cette spiritualité une spiritualité véritablement endogène à cet espace, contrairement aux autres spiritualités qui s’y déploient, mais qui sont bien souvent importées par la colonisation, ou par d’autres types de contact avec un peuple étranger.

Références bibliographiques

EFFA, Gaston Paul, 2015. Le Dieu caché dans l’herbe. L’animisme, une philosophie africaine, Paris, Presse du Châtelet, 181 p.
FOUCAULT Michel, [1966] 2009. Le corps utopique, Les hétérotopies, Paris, Nouvelles Éditions Lignes, 64 p.
FREUD, Sigmund, [1913] 2019. Totem et tabou. Interprétation par la psychanalyse de la vie sociale des peuples primitifs, Traduit de l’Allemand par Florian Astor, Paris, Flammarion, Coll. « GF », 386 p.
GLOBET, Francine et GUILLON Michelle. « Les ‘’Marabouts voyants’’ africains à Paris : un aspect marginal de l’immigration ». In : Espace, populations, sociétés, 1983-2. L’immigration étrangère en Europe occidentale. p.141-145; https://www.persee.fr/doc/espos_0755 7809_1983_num_1_2_922, [dernier accès le 03 février 2022].
HOUNTONDJI, J. Paulin, 1994. Les Savoirs endogènes : pistes pour une recherche. Paris, Karthala, 357 p.
KUCZYNSKI, Liliane, 2002. Les marabouts africains à Paris, Paris, Éditions du Cnrs, 439 p.
LE PRIOL Mélinée, 2018. « Comprendre l’animisme. La croyance en l’existence d’être de nature spirituelle est répandue sur tous les continents ». Disponible sur :
https://www.la-croix.com/Journal/Lanimisme-2018-06-02-1100943817,[dernier accès le 10 février 2022].
NOËL, Léon, 1905. « Le principe du déterminisme », dans : Revue néo-scolastique. 12ᵉ année, no 45, p. 5-26 :https://www.persee.fr/doc/phlou_07765541_1905_num_12_45_1869, [dernier accès le 08 février 2022].
RIFFATERRE Michael, [1978] 1982. « Illusion référentielle », dans Littérature et réalité, Paris, Éditions du seuil, p. 91-118.
SCHMITT, Éric-Emmanuel 2019. Félix et la source invisible, Paris, Albin Michel, 192 p.
TADJO, Véronique, 2018. « Agir par l’imagination, » Entretien de Lucile Schmid, Revue Esprit, Comprendre le monde qui vient. Les mondes de l’écologie, Paris, no 441, Paris, p. 180-183.
WESTPHAL, Bertrand 2007, La Géocritique réel, fiction Espace, Paris, Les éditions de Minuit, 278 p.


Auteur

Jules Thérance MIHINDOU MI-MOUBAMBA
Doctorant en littératures française et francophones
Formation doctorale Littératures, Arts et imaginaires culturels
Université Omar Bongo (Libreville-Gabon)
Courriel : Jules.mihindou@gmail.com

 © Édition électronique

 URL – Revue Espaces Africains  https://espacesafricains.org/
Courriel – Revue Espaces Africains : revue@espacesafricains.org
ISSN : 2957-9279
Courriel – Groupe de recherche PoSTer : poster_ujlog@espaces.africians.org
URL – Groupe PoSTer  https://espacesafricains.org/poster/

© Éditeur
– Groupe de recherche Populations, Sociétés et Territoires (PoSTer) de l’UJLoG
– Université Jean Lorougnon Guédé (UJLoG) – Daloa (Côte d’Ivoire)

© Référence électronique

Jules Thérance MIHINDOU MI-MOUBAMBA, « Spiritualité et représentation des Espaces : l’animisme comme savoir endogène dans Félix et la source invisible d’Éric-Emmanuel Schmitt », Revue Espaces Africains (En ligne), 2 | 2022 (Varia), Vol. 3, ISSN : 2957- 9279, mis en ligne, le 30 décembre 2022.

  1. Elle est comparée à un zombie à deux occurrences. Par son frère Bamba dans un premier temps (« Erreur de diagnostic. Moi, je te garantis que ta mère est morte. Tu loges avec le zombie de ta mère » Schmitt 2019 : 14) et par son fils Félix dans un second temps (« Décidément, je séjournais en enfer ces dernières semaines…Maman virait zombie, un père inconnu m’idolâtrait ». Schmitt 2019 : 130)
  2. Bamba est en fait un personnage qui est fondé sur un certain nombre de stéréotypes : il semble croire que les blancs et les noirs ne sont pas soumis aux mêmes maladies, qu’il existe des maladies de blancs et des maladies de noirs, toutes les femmes blanches se ressemblent, etc.
  3. Au nombre desquelles on peut compter (J.) Degos, Les Marabouts africains à Bordeaux : des gris-gris à la montée de l’Islam, Sud-Ouest,3-4-83 (J.) Expert, Voyants : la marée noire. Enquête sur le monde mystérieux des marabouts africains, Lui, 1983 ; (E.) De Rosny, Les yeux de ma chèvre. Sur les pas des maîtres de la nuit en pays Douala (Cameroun).
  4. Le brouillage hétérotopique est un procédé théorisé par Bertrand Westphal qui consiste pour les auteurs à brouiller l’espace réel auquel ils se réfèrent dans le déploiement de leurs espaces fictifs. Westphal le subdivise en trois procédés : juxtaposition, interpolation, et la surimpression. Dans le cas de ce village, Éric-Emmanuel Schmitt procède par interpolation, puisqu’il s’agit de l « inclusion d’un espace sans référent dans un espace plus vaste qui, lui, est référencé » (Westphal 2007 : 174)
  5. Il est à noter que le mot féticheur, lorsqu’il désigne papa Loum, est écrit dans le texte avec un « F » majuscule. Lorsqu’il désigne la fonction de féticheur, il est écrit avec un « f » minuscule. A contrario, quand il faut désigner les marabouts parisiens, que ce soit pour désigner le professeur Koutoubou ou le professeur Ousmane, le mot marabout est toujours écrit avec un m minuscule. Cet usage unilatéral de la majuscule grandit l’un et diminue les autres. En d’autres termes, Papa Loum est présenté comme un vrai Féticheur. Les autres, de simples imposteurs.
  6. Contrairement aux féticheurs parisiens, papa Loum dispose d’une capacité de guérison qui s’est avérée indispensable au rétablissement de Fatou. A ce stade du récit l’animisme est associé à une faculté commune à de nombreuses spiritualités (ou même dans des sciences qui n’ont rien de spirituel) : la faculté de guérison. Loin de nous l’idée de faire de la guérison une faculté exclusive de l’animisme, il s’agit pour nous de montrer que la démarche empruntée par papa Loum, incarnation textuelle de l’animisme, est indispensable dans le processus de guérison de Fatou.
  7. Que nous entendons comme l’antonyme de déspatialisable, de déspatialiser, c’est-à-dire qu’on ne peut mouvoir dans l’espace. Qui ne peut être porté hors d’un espace spécifique, hors de son espace d’origine.